Je l’ai entendu lui, le commandant du centre, expliquer : ‘Le gratin des officiers disent qu’on appelle Sde Teiman un cimetière.’ Pourtant, les médias et le public israéliens ignorent délibérément le tableau d’ensemble écœurant qu’est ce centre de détention.
Mes nerfs étaient à vif alors que j’attendais que le rapport d’enquête sur les événements survenus dans le centre de détention de Sde Teiman pendant la guerre Israël-Gaza, où j’ai servi en tant que réserviste, soit diffusé cette semaine sur la télé publique israélienne. Ce ne fut pas une décision facile pour moi d’y participer quand les producteurs de l’éminente série documentaire israélienne d’investigation ont demandé de m’interviewer.
Les médias israéliens montrent rarement au public ce que l’on fait en son nom, et le public, de son côté, préfère garder les yeux étroitement fermés. Et, une fois de plus, mon interview n’a pas été retenue dans le rapport, ni rien d’autre à propos des maltraitances systématiques et de la mort des détenus, à propos desquelles de nombreux hauts responsables israéliens étaient au courant.
« Zman Emet » s’est concentré sur cet incident et sur la façon dont l’enquête qui a suivi a été transformée, avec l’aide de politiciens cyniques, en une quasi mutinerie contre l’État de droit. Le point culminant de cet incident a été une foule en colère, dans laquelle se trouvaient quantité de responsables du gouvernement israélien, qui a fait irruption dans Sde Teiman et dans une autre base militaire voisine pour soutenir les présumés coupables. En ne retenant que ce seul cas, l’émission a délibérément ignoré l’ampleur du contexte, le tableau d’ensemble écœurant qu’est Sde Teiman.
Comme le sait quiconque y est allé, Sde Teiman est un camp de torture sadique. Depuis fin 2023, des dizaines de détenus y sont entrés en vie et en sont sortie dans des sacs mortuaires. Il existe des témoignages de gardiens, de médecins et de détenus, tous racontant des événements similaires. Aucun d’entre eux n’a été mentionné dans l’enquête. Comme si l’enfer sur terre que nous y avons créé se réduisait à un simple événement que l’on pourrait expliquer avec une discussion abstraite sur la légitimité de différents types de punition corporelle. Mais j’ai vu l’enfer.
J’ai vu un détenu mourir sous mes yeux. Il était assis avec d’autres prisonniers, les yeux bandés, et à un moment donné, nous avons simplement réalisé qu’il était parti. J’ai observé le commandant de l’établissement qui a réuni tout le monde pour essayer de tempérer la routine quotidienne de la maltraitance, de l’utilisation irraisonnée de la force, les conditions inhumaines dans lesquelles les prisonniers étaient maintenus. Je l’ai entendu expliquer : « Le haut du panier dit que Sde Teiman est qualifié de cimetière », et ça, « nous devons l’arrêter ».
J’ai vu des gens arriver de la Bande de Gaza dans l’établissement, blessés, puis être affamés pendant des semaines sans soins médicaux. Je les ai vus uriner et déféquer sur eux parce qu’ils n’avaient pas l’autorisation d’utiliser les toilettes. Je peux encore en sentir l’odeur. Beaucoup d’entre eux n’étaient même pas membres de la Nukhba (la force commando du Hamas qui a conduit l’attaque du 7 octobre), juste de simples civils palestiniens de Gaza détenus pour enquête qui, après avoir subi une maltraitance brutale, étaient libérés quand il s’avérait qu’ils étaient innocents. Ce n’est pas étonnant si des gens y mouraient. L’étonnant, c’est qu’il y ait des survivants.
Les enquêteurs de « Zman Emet » ont été choqués quand je leur ai dit tout cela, mais rien de cela n’a figuré dans le rapport. Qu’est-ce qui a été retenu dans le montage final ? La direction du département d’enquête de la police militaire feignant l’ignorance : « Jusqu’à cet instant », voulant dire jusqu’à la réception du rapport sur sur un détenu blessé et saignant, « nous n’avions aucun signal d’alerte ».
Vraiment ? A ce moment-là, d’anciens détenus, ainsi que des soldats et des membres du personnel médical qui ont servi Sde Teiman avaient publié des témoignages de maltraitance extrême, de conditions inhumaines et du manque des soins médicaux élémentaires. Tout ce qu’ils avaient à faire, c’était écouter, ou même simplement compter le nombre de détenus qui entraient et le comparer avec le nombre de ceux qui n’en sortaient pas. Pas besoin d’être Sherlock Holmes.
Toux ceux qui ont servi à Sde Teiman le savent. Ils sont au courant de la torture, des opérations faites sans anesthésie et des conditions sanitaires effroyables. Mais rien de cela n’a été diffusé. Comme si un camp de torture de l’armée, qui fonctionne en pleine connaissance des hauts gradés, était moins intéressant ou important qu’un simple cas isolé de maltraitance qu’on peut nier ou confirmer – un programme entièrement consacré à Sde Teiman, sans réellement parler de Sde Teiman.
Ce qui s’est passé à Sde Teiman n’est pas un secret, et pourtant la plupart des Israéliens ne savent rien à ce sujet, même maintenant, parce que les médias israéliens l’ont presque entièrement ignoré. C’est aussi ce pourquoi j’ai accepté l’interview. Parce que les Palestiniens continuent de quitter nos centres de détention dans des sacs mortuaires et que la plupart des gens autour de moi n’en ont jamais entendu parler.
Mais plus que révéler la vérité à propos de Sde Teiman, le programme a montré comment une telle réalité peut perdurer. La raison en est que les journalistes israéliens, qui sont parfaitement au courant des faits, choisissent des les taire, afin de les remplacer par une petite histoire localisée à propos de quelques « pommes pourries ». Sde Teiman n’est pas un incident isolé. C’est, très nettement, une histoire de politique – une politique installée et soutenue avec la complicité active des médias israéliens.
Cet article existe grâce à la contribution d’un réserviste anonyme des FDI.