Un projet de loi baptisé « projet de loi contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur » a été déposé en octobre 2024 au Sénat, et y a été discuté en séance publique fin février 2025. On trouvera ici la succession des textes. Il est maintenant discuté à l’Assemblée nationale et consiste principalement à expliciter l’antisémitisme (et parfois le racisme) parmi les discriminations susceptibles de poursuites dans le cadre de l’université. Si l’on ne peut qu’agréer avec la volonté de ne tolérer aucune discrimination, à l’université ou ailleurs, c’est le dispositif proposé https://www.senat.fr/rap/l24-335/l24-3353.html) pour atteindre cet objectif qui posait plusieurs problèmes graves, se référant par exemple pour définir l’antisémitisme aux exemples contestés de l’IHRA (Alliance internationale pur la mémoire de l’Holocauste) et à des associations dont le comportement à cette date pouvait faire douter de l’objectivité et de la hauteur de vues nécessaires. Soulignons aussi que les référents contre les discriminations (y compris antisémites) existent déjà dans de nombreux établissements d’enseignement supérieur. À l’occasion de la discussion au Sénat, la lettre suivante a été adressée le 18 février par Catherine Goldstein, à titre personnel, à plusieurs sénateurs et sénatrices. Une seule a répondu.
Monsieur, Madame,
Je vous écris dans une grande inquiétude à propos d’une discussion annoncée au Sénat ce jeudi concernant l’antisémitisme : Proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, présentée par MM. Pierre-Antoine LEVI, Bernard FIALAIRE et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n° 336, 2024-2025).
L’antisémitisme, comme tout racisme ou discrimination, est odieux et doit être combattu, et l’on peut se réjouir qu’il soit pris au sérieux. Mais le texte du projet manifeste une confusion et une méconnaissance affligeantes, susceptibles de créer le désordre et la discrimination même qu’il prétend combattre.
Tout d’abord il indique que ce sont les manifestants en faveur de la Palestine qui ont créé l’amalgame entre juifs et Israéliens, aboutissant à une augmentation des actes antisémites sur fond de guerre de représailles à Gaza après les attaques horribles du Hamas en octobre 2023. C’est évidemment inexact, les gouvernements israéliens ayant à de multiples reprises depuis des années essayé de se garantir de critiques de leur action en assimilant toute attaque contre eux à de l’antisémitisme, un point de vue repris de manière répétée par des groupes de pression variés et, malheureusement, d’autres gouvernements plus récemment. Et ce malgré les prises de position de nombreuses personnes de religion juive, y compris de nationalité israélienne, qui souhaitent pouvoir critiquer les actions d’un gouvernement, comme la liberté d’opinion et d’expression que nous défendons tous et toutes – ou devrions défendre – le leur permet. Il est d’ailleurs remarquable qu’en Allemagne, récemment, ce sont les artistes et intellectuels juifs qui ont vu proportionnellement le plus leurs interventions annulées, prétendument au nom de la lutte contre l’antisémitisme.
Le projet présenté au Sénat est une caricature déprimante de cette inversion de rôles. Par exemple, et à ma grande surprise, il mentionne l’UEJF comme une organisation référente pour évaluer l’antisémitisme. Or cette association vient la semaine dernière de déverser sur son site des insultes ahurissantes contre un séminaire de recherche de l’Ecole normale supérieure sur la Palestine – séminaire interdisciplinaire examinant l’histoire, l’économie, l’enseignement et la géographie de la région et fournissant donc aux élèves une information, et une formation, intellectuelles pour comprendre les enjeux entrecroisés d’une situation complexe d’actualité. Ayant assisté à quelques séances, je peux témoigner que les organisateurs et organisatrices les ouvrent en rappelant que le séminaire vise, comme tout séminaire universitaire, à présenter des faits et des données et à discuter des concepts adéquats pour les décrire, et qu’aucune prise de parole antisémite ou raciste n’y sera tolérée (je n’en ai d’ailleurs jamais entendue). Paradoxalement, l’UEJF a cependant qualifié sur les réseaux sociaux l’Ecole d’antisémite et les intervenants de talibans (!), dont plusieurs intellectuels juifs de renom, etc. Il semble clair que cette association n’a pas la hauteur de vue et la modération informée qui convient pour être chargée d’une tâche aussi délicate que celle qui leur semblerait attribuée dans le projet de loi, voire même contredit l’objectif même du projet de loi.
La confusion qui en découle ne permettra pas de lutter efficacement contre le fléau de l’antisémitisme, et au contraire, en constitue une facette, en aboutissant à associer encore plus étroitement (et contre le discours et les opinions multiples et variées des intéressés), les personnes de religion juive au soutien de la politique d’un gouvernement étranger et à discréditer toute critique de cette politique.
Le sujet est à mon avis trop grave pour souffrir de telles approximations et de telles confusions.
La France a déjà des lois pour réprimer le négationnisme, l’antisémitisme et le racisme, et elles peuvent être appliquées utilement.
En espérant que votre intervention pourra aboutir à l’abandon ou au moins à la réécriture d’un projet qui semble profondément mal informé et de nature à aggraver le crime de haine horrible et global qu’il souhaite pourtant vouloir réprimer, je vous adresse, Monsieur le Sénateur, Madame la Sénatrice, l’expression de ma haute considération,
Catherine Goldstein