A la suite de réactions négatives, une conférence écarte un archéologue israélien à cause de ses liens avec une université coloniale

Des archéologues ont critiqué la participation de deux chercheurs de l’Université d’Ariel à l’événement international, en invoquant l’illégalité de fouilles sur le territoire occupé.

Un archéologue israélien, basé à l’Université d’Ariel en Cisjordanie occupée, a vu son intervention à une conférence internationale annulée la semaine dernière à la suite de pressions de collègues chercheurs. L’intervention d’un doctorant, lui aussi basé à l’Université d’Ariel, s’est déroulée comme prévu. A la différence d’autres participants à la conférence, dont les affiliations institutionnelles figuraient à côté de leur nom dans le programme, un couple – Prof. David Ben Shlomo et Yair Elmakias, tous deux du Département d’Études et d’Archéologie de la Terre d’Israël – n’ont pas été cités comme appartenant à l’Université d’Ariel.

Le Congrès International d’Archéologie de l’Ancien Proche Orient (ICAANE) – qui se tient tous les deux ans et est considéré comme l’un des deux plus prestigieux rassemblements à ce sujet – s’est tenu à Copenhague du 22 au 26 mai. La conférence de cette année, réunie pour la 13ème fois, a rassemblé environ 20 participants d’Israël, venus de l’Université Hébraïque de Jérusalem, de l’Université de Haïfa, de l’Université de Tel Aviv, et de l’Université Ben-Gourion dans le Negev.

Le fait que deux chercheurs issus d’une université coloniale aient été invités mérite d’être signalé, à la fois parce que l’institution est située dans un territoire occupé, et parce que faire des fouilles dans une zone occupée est considéré comme une violation du droit international.

L’un des chercheurs qui s’est opposé à la participation de Ben Shlomo et d’Elmakias était le Dr. Brian Boyd, codirecteur du Centre pour les Études Palestiniennes à l’Université Columbia de New York. Dans un post sur Facebook, Boyd a cité la décision du Congrès Mondial d’Archéologie de 2013, selon laquelle « il est contraire à l’éthique pour des Archéologues Professionnels et des institutions académiques de mener un travail archéologique professionnel et des fouilles dans des zones occupées acquises par la force ».

Faisant remarquer que « l’entreprise coloniale israélienne constitue un crime de guerre selon le droit international, « Boyd a écrit que l’omission par la conférence de l’affiliation institutionnelle de Ben Shlomo et Elmakias dans le programme « semble suggérer qu’ils sont bien conscients de la situation juridique et qu’ils ont agi ainsi afin d’éviter la critique internationale de la communauté archéologique ». Il a plus tard fait savoir que la conférence de Ben Shlomo avait été annulée. Boyd a refusé d’être interviewé pour cet article.

Selon le programme d’origine de la conférence, Ben Shlomo était supposé présenter des recherches sur les découvertes depuis l’Age de Fer au Sud de la Vallée du Jourdain. Les détails de son exposé ont été retirés du site internet de la conférence après l’annulation de sa présentation.

Violation d’Oslo et du droit international

Ben Shlomo a confirmé la séquence des événements à +972. « [Les organisateurs de la conférence] ont annulé mon intervention sur les fouilles à Khirbet Aujah el-Foqa près de Jéricho en zone C [qui est sous contrôle total d’Israël] », a-t-il écrit. « Ils l’ont tout d’abord confirmé, puis plusieurs personnes s’en sont plaintes, et il existe une sensibilité à cette question en Europe. Spécialement, je présume, parce que l’un des organisateurs de la conférence est basé à l’Institut d’Archéologie de Damas. »

Elmakias, qui a aussi pris la parole à la conférence, était impliqué dans un projet d’avril 2022 qui a pris des tonnes de terre du Mont Ebal près de Naplouse, dans lesquelles a été découverte une ancienne amulette avec inscription en Hébreu, datant apparemment du 13ème siècle avant J.C. Ceci en ferait la plus vieille inscription en Hébreu jamais découverte ; cependant, d’autres recherches ont semé le doute sur cette déclaration.

La terre a été retirée d’un site en Zone B de Cisjordanie, sur laquelle Israël détient le contrôle sécuritaire et l’Autorité Palestinienne le contrôle administratif. D’après les Accords d’Oslo et le droit international, Israël n’a pas le droit d’émettre des permis de fouilles sur le site et ne peut extraire des découvertes sans ce permis.

Comme rapporté par Nir Hasson dans Haaretz en 2019, un groupe de chercheurs américains et israéliens est arrivé sur le site du Mont Ebal, travaillant avec l’Association pour la Recherche Biblique et sous les auspices du Conseil Régional de Samarie, organisme colonial. Avec l’aide de volontaires, ils ont déplacé trois gros monticules de terre qui avaient été laissés après les fouilles menées là dans les années 1980. Ils ont emporté la terre au centre académique que dirige Elmakias, avant de la tamiser et de découvrir l’amulette.

Répondant à +972, Elmakias a prétendu que sa participation à l’histoire de Copenhague n’est « pas une histoire ».

« Finalement, les organisateurs ont accepté toutes nos demandes, dont [le fait que nous] apparaissions sous le nom de l’Université d’Ariel et que nous présentions les recherches conduites en Samarie et dans la Vallée du Jourdain. » Elmakias n’a pas expliqué qui demandait que son affiliation institutionnelle soit retirée du programme et s’il avait reçu une demande de la part des organisateurs à la suite de la manifestation contre son inclusion et celle de Ben Shlomo.

‘Une grave érosion’

De leur côté, les organisateurs de l’ICAANE ont déclaré à +972 qu’ils « ne discutaient pas de situations individuelles dans le public », mais que le congrès « respecte les conventions de l’UNESCO et que si on découvrait qu’une présentation se faisait en violation des conventions, elle serait rejetée de toute présentation ou publication. Ce peut [être] avant ou après le congrès ».

Les organisateurs ont ensuite déclaré qu’ils n’invitaient pas de chercheurs à la conférence, mais plutôt que « des chercheurs universitaires soumettent un résumé et un comité décide s’il entre dans les thèmes du congrès ». Concernant l’omission de l’Université d’Ariel dans le programme, ils ont dit : « Si certains chercheurs n’ont pas d’affiliation, il s’agit très vraisemblablement d’une erreur. Les chercheurs sont normalement bien connus par leur seul nom. »

D’après un rapport publié en 2017 par les associations israéliennes de défensecdes droits Emek Shaveh et Yesh Din, « Du point de vue du droit international, les sites archéologiques et les antiquités sont des biens culturels, la propriété du territoire occupé. » En tant que tel, poursuit le rapport, « les activités autorisées au Commandant Militaire et à ceux qui agissent en son nom sont limitées aux actions qui cherchent à sauver et à préserver les antiquités. Israël, cependant, interprète son obligation de protéger les biens archéologiques de façon ouverte, et ses activités archéologiques s’écartent des restrictions que lui impose sa position de puissance occupante et aboutissent à des violations du droit international ».

Aujourd’hui, l’Autorité des Antiquités Israéliennes (AAI) est techniquement responsable des fouilles dans les zones qui se trouvent à l’intérieur des frontières officielles d’Israël, tandis que les fouilles en Cisjordanie sont sous la responsabilité de la Division des Antiquités de l’Administration Civile. Pourtant, le gouvernement actuel d’Israël veut transférer la responsabilité des fouilles de Cisjordanie à l’AAI, qui tombe sous le ministère des Affaires et du Patrimoine de Jérusalem, maintenant dirigé par Amichai Eliyahou, du parti d’extrême droite Otzma Yehudit.

Alon Arad, à la tête d’Emek Shaveh, a dit à +972 que « si les membres de la communauté archéologique d’Israël veulent faire partie de la communauté professionnelle internationale, ils doivent travailler en accord avec les règles et l’éthique de l’archéologie. Malheureusement, nous sommes témoins d’une grave érosion de tout ce qui a trait à la compréhension par Israël que la Cisjordanie n’est pas un site légitime pour des activités académiques concernant l’archéologie israélienne ».

Arad a ajouté qu’il y a eu, ces dernières années, un nombre croissant de cas dans lesquels Israël essaie d’« appliquer sa souveraineté indirectement en faisant conduire des fouilles par des universités israéliennes ou, plus directement, via l’AAI ». Il a averti que, si Israël continuait à ignorer le droit international à cet égard, « l’archéologie israélienne en serait endommagée, et les archéologues israéliens deviendraient des parias dans la communauté mondiale ».