Briser la pauvreté à Gaza pousse certains enfants sur le marché du travail

Des enfants, comme les frères Makram et Yassin Tilbani, travaillent jusqu’à 12 heures par jour pour seulement 10 shekels, dans le but d’aider leurs familles à survivre.

Tous les matins, Wesam al-Louh réveille ses deux enfants, Muhammad âgé de 12 ans et Rami de 11 ans, pour qu’ils prennent leur petit déjeuner avant de quitter la maison pour aller travailler.

Les enfants s’habillent en hâte dans leurs vêtements de travail usagés, tâchés de graisse pour pneus.

On est dans la période des vacances d’été et les deux frères travaillent à plein temps dans deux ateliers différents de réparation de pneus de voitures et cela fait trois ans qu’ils y travaillent pour subvenir aux besoins de leur famille de 8 personnes.

Leur père, Ali, a épousé une autre femme il y a cinq ans, abandonnant sa femme et ses enfants. De plus, il a fait de la prison depuis 2019 pour n’avoir pas honoré des remboursements de dettes.

La famille est sensée recevoir 1 100 shekels (338,5 €) d’aide sociale trimestrielle du gouvernement, mais du fait de la diminution de l’aide étrangère à l’Autorité Palestinienne, la famille n’a reçu que 400 shekels (123 €) il y a deux mois, sur plus d’une année.

Des pré-ados techniciens en réparation de pneus

À son arrivée à l’atelier, Muhammad a trouvé deux voitures et une moto qui l’attendaient, tous avec des pneus crevés.

« Je travaille de 7h du matin à 20h » a dit Muhammad après avoir réparé les pneus. « Mon travail est dur mais je suis habitué. Je dois travailler pour aider ma famille. Quand je rentre à la maison à 20h, je prends une douche et je m’endors tout de suite ».

Quand il va à l’école, il ne rentre pas chez lui étudier, il va à l’atelier de pneus. « Je vais au travail après l’école et je rentre à la maison vers 20h. À ce moment-là je prends une douche et j’apprends mes leçons mais mon travail a gravement affecté mon travail scolaire » dit-il. « Ma Moyenne était de 80% il y a trois ans, mais elle est maintenant à 65%. Je n’aime pas travailler mais je sens que j’ai une lourde responsabilité ».

Le frère de Muhammad, Rami, travaille dans un atelier proche.

« Cela fait deux ans que je travaille ici » di Rami, tandis qu’il plonge un pneu dans un bain d’eau sale pour trouver la crevaison. « Je travaille de 7h à 20h pour 5 shekels (1,50 €). Changer et réparer des pneus est fatigant. Quand je porte un pneu, je sens que je pourrais tomber. Mais je ne peux pas demander de l’aide à mon patron, sinon il va me crier dessus ».

Il poursuit : « Tout ce que je veux en rentrant de l’école à la maison c’est dormir, mais je ne peux pas, parce que je dois travailler à l’atelier. Quand je quitte le travail, je me sens souvent si épuisé que je ne peux étudier, alors je prends juste une douche et je m’endors ».

Depuis que leur père est en prison, les deux garçons ont toujours dû travailler. Leur mère sait bien ce que cela signifie pour leur avenir.

« Quand je les vois au travail, mon cœur se brise », dit Wesam en pleurant. « Ils sont privés de leur enfance, des plaisirs de la vie, et ils sont privés de leur père. Ils ne peuvent pas jouer, ils ne peuvent pas aller à la mosquée, ils ne peuvent pas aller dans des camps d’été. Ils n’ont le temps de jouer que le vendredi, leur jour de repos ».

Wesam remarque aussi comment leur travail a eu un effet négatif sur leur bien-être psychologique. « Ils sont tout le temps tristes » se lamente-t-elle avec désespoir. « Ils sont sensés jouer et aller à la mosquée pour apprendre et réciter le Coran comme d’autres enfants de leur âge ». Puis, elle ajoute, résignée : « Mais nous sommes dans une situation si dure ».

Les garçons des vélos

Dans le camp de réfugiés d’Al-Maghazi, situé au centre de la bande de Gaza, Yassin Tibani, âgé de 11 ans, était en train de remplacer une roue de vélo pour un autre enfant dans un atelier de réparation de vélos tenu par son cousin. Le remplacement de la roue lui a pris dix minutes.

« Je travaille ici pendant les vacances d’été depuis deux ans » dit Yassin en s’essuyant le front de ses mains noircies. « Je travaille de 8h du matin à 20h, pour 5 à 10 shekels (1,50 à 3 €). Je déteste ça ».

Son honnêteté est désarmante. « Je travaille pour avoir plus d’argent pour acheter ce dont j’ai besoin » poursuit-il. « Franchement, j’aimerais arrêter de travailler pour aller dehors jouer comme mes camarades de classe ».

Avec une assurance de fer, il ajoute : « Quand je serai un homme, je veux être médecin et je ne laisserai jamais mes enfants travailler ».

Le frère aîné de Yassin, Makram, a 17 ans. Il était assis à côté de lui sur une petite chaise de bois au dossier cassé.

« Je travaille ici depuis trois ans » dit-il. « Mon père m’a dit de travailler et de payer mes dépenses. Si j’avais le choix de quitter le travail, je le ferais et profiterais de mes vacances. Mais je travaille de 10 à 12 heures chaque jour pour dix shekels ».

Akram, Makram et le père de Yassin pensent que les enfants devraient travailler pour devenir indépendants en grandissant et être des adultes autonomes à l’avenir.

« Je travaille dans une station d’essence pour 1 000 shekels par mois (308 €). Je ne peux pas toujours subvenir aux besoins de ma famille, donc mes fils doivent aussi travailler pour couvrir leurs dépenses » dit ce père de cinq enfants. « Leur travail permet de payer des choses comme leurs uniformes scolaires et aide à acheter des vêtements. Je veux qu’à l’avenir, ils soient des hommes indépendants. La situation économique est rude ici. Mon fils Khaled a 21 ans et depuis cinq ans il travaille dans la distribution de produits alimentaires à de petites épiceries. C’est un homme maintenant ».

Le tailleur adolescent

Dans un petit atelier de couture d’Al-Shuja’iya, dans l’Est de Gaza, Muhannad Al-Ghrarabli âgé de 13 ans coupait une pièce de tissu, le front dégoulinant de sueur.

Il travaille ici depuis trois ans avec son père, Muhammad qui n’a pas les moyens d’employer un autre tailleur.

Avant les 15 ans de siège, son père exportait des vêtements en Cisjordanie et en Israël et il gagnait jusqu’à 7 000 dollars par mois (même montant en euros). Maintenant il travaille pour le marché local et fait à peine 200 dollars, ce qui l’oblige à lutter pour subvenir aux besoins de sa famille.

« Je ne peux pas participer aux sorties de la mosquée à la mer, parce que ça coûte 10 shekels » dit Muhannad. « Je suis triste quand je vois mes amis et camarades de classe prendre du bon temps avec leur famille pendant que je suis au travail ».

« Je ne laisserai pas mes enfants travailler quand je serai un père de famille. Si je pouvais quitter le travail, je resterais à la maison et jouerais » a-t-il poursuivi.

La scolarité de Muhannad a bien sûr été gravement affectée. « Depuis que je travaille, mes notes ont baissé de 95% à 80% » nous a-t-il dit.

Les effets du travail des enfants

0,9% des enfants travaillent à Gaza (tranche de 10 à 17 ans). En Cisjordanie c’est légèrement plus élevé : 3,8% d’après le Bureau Central de Statistiques Palestinien.

Cette statistique n’est pas forcément exacte étant donné le grand nombre d’enfants qui travaillent sans être déclarés.

Le siège israélien de Gaza, qui dure depuis 2007 sans interruption, s’ajoutant aux guerres consécutives et aux destructions visitées dans la bande côtière, la plus récente étant celle de l’Aube Récente, ont paralysé l’économie. La hausse des prix de l’alimentation résultant de ces facteurs et de la guerre entre la Russie et l’Ukraine a augmenté la pression sur les familles dans leur recherche d’emploi, enfants compris. Le taux de pauvreté dans la bande de Gaza appauvrie est de 53% en 2022 et l’insécurité alimentaire est à 68,5%.

Le travail des enfants est un phénomène dangereux parce qu’il expose les enfants à d’innombrables formes de préjudices et d’exploitation, dont le harcèlement sexuel et l’exploitation du travail. Il affecte sévèrement leur réussite scolaire, les forçant à quitter l’école. Et même au-delà de cela, la prévalence du travail des enfants est en soi un indicateur alarmant de désespérance des familles face à la pauvreté écrasante – sans surprise, la majorité des familles dont les enfants travaillent vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Yahya Khader, the Directeur Général de la santé mentale du ministère de la santé de Gaza a parlé des effets du travail des enfants sur le développement de la santé mentale des enfants.

« Le travail des enfants a un effet négatif sur les enfants, sur l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, sur leurs capacités, et sur leur regard sur l’avenir » a-t-il dit. « Mais telle est la situation dans notre pays”