Relations glauques entre l’Université Hébraïque et le village palestinien voisin

Un nouveau bâtiment de l’Université Hébraïque offre au regard la révélation à la fois d’un misérable village de Jérusalem Est qui jouxte l’université et du contraste frappant entre les deux sites.

Un nouveau bâtiment se tient en bordure des jardins botaniques du campus du Mont Scopus de l’Université Hébraïque : il s’agit de l’école Mandel pour les études avancées en sciences humaines, achevé l’an dernier. Les vastes fenêtres du côté Est du bâtiment ainsi que le quatrième étage donnent, de l’intérieur, une vue sur l’étalement et la beauté du village palestinien d’Isawiyah, situé à quelques centaines de mètres de la limite du campus.

La vue peut toutefois être perturbante pour les étudiants et les conférenciers qui, jusqu’à présent pouvaient entendre l’appel du muezzin à la prière ou même, dans le parking, ressentir l’émanation de gaz lacrymogènes du village, mais étaient généralement protégés de ces visions.

La semaine dernière, le bâtiment a accueilli sa première conférence, au sujet de la relation compliquée entre le campus et le village de Jérusalem Est.

« Vous voyez l’inégalité » a dit le doctorant Omri Shafer Raviv. « Il n’y a pas de routes ni de parking (à Isawiyah). Les ordures ne sont pas ramassées. Pendant que je fais de la recherche (ici), quelqu’un prend les ordures de la poubelle et les met dans un sac ».

Raviv dit qu’il peut entendre des boums et voir des officiers de la police des frontières lancer des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes. « Ça fait peur mais vous vous sentez en sécurité dans ce bâtiment » dit-il. « Au début, vous dites ‘qu’est ce qui se passe ici’ ? Mais j’ai remarqué que je commence à y être habitué et que ça fait partie du décor ».

Les relations entre le village et l’université sont principalement négatives : le campus constitue une autre part de l’espace israélien restreignant le village ; un barrage policier empêche les véhicules de quitter le village en direction du Mont Scopus depuis 12 ans ; étudiants et enseignants doivent s’adapter aux bombes incendiaires lancées sur les rues environnant l’université ; et les étudiantes se plaignent de harcèlement sexuel et d’un manque de sécurité quand il fait nuit.

« La présence la plus visible d’Isawiyah sur le campus est celle des travailleurs du nettoyage qui viennent ici sous contrat » dit Ouri Agnon, un militant politique qui travaille aussi dans le village. « Le travail sous contrat est un moyen d’exploiter les gens sans être celui qui les exploite. C’est aussi la meilleure métaphore sur les relations université-Isawiyah. Ce ne sont pas les conférenciers qui ont créé les barrages empêchant les véhicules de quitter Isawiyah. La police l’a fait, mais au nom de l’université ».

Il dit que le pire exemple de leur relation problématique est le système des égouts. « En hiver, quand il pleut, les égouts de la Ville emportent la merde à Isawiyah. Je ne pense pas que ce soit intentionnel, mais cette université est un très gros corps apathique » dit Agnon. « Quand ils parlent de relations de voisinage, ils suggèrent une symétrie – mais il n’y a pas de symétrie entre un contractuel et son employeur. Nous sommes à proximité l’un de l’autre mais non voisins ».

Dans l’enclave

Ces relations troubles ont une longue histoire. Isawiyah est unique parmi les villages de Jérusalem Est parce que c’est le seul qui faisait partie de l’enclave juive du Mont Scopus avant 1967. Des soldats déguisés en policiers (étant donné qu’il était interdit à l’armée d’opérer dans cette zone) ont patrouillé dans le mont de 1948 à 1967 et ont eu des accrochages graves avec les habitants de Isawiyah.

La professeure Yfaat Weiss, une historienne de l’Université Hébraïque qui mène des recherches sur l’enclave, a présenté ses principales découvertes à la conférence – dont une plainte de 1953 de la part des villageois palestiniens sur le fait qu’Israël détruisait la voie menant d’Isawiyah à la partie jordanienne de Jérusalem :

« Nous nous interrogeons sur le plaisir que les soldats juifs de la Hadassah et du gouvernement israélien peuvent tirer du fait de rendre pénible la vie des gens d’Issawiya (sic) ou de voir un vieil homme glisser et tomber dans la boue, ou de jeunes élèves, garçons ou filles aller à l’école et revenir à moitié trempés » est-il dit dans la plainte. « Peut-être tirent-ils plus de plaisir d’une jeune femme mourant en accouchant parce qu’elle ne peut pas aller à l’hôpital ».

Le villageois palestinien Hani Issawi qui est un militant politique, évoque le souvenir des soldats israéliens qui ont conquis le village en 1967. « Les balles qu’ils ont tirées depuis l’université sont toujours sur les murs des maisons », dit-il, en remarquant que le nouveau bâtiment de l’université a été construit sur des terres dont sa famille a été expropriée.

Le village sous le campus s’est beaucoup développé depuis 1967 mais les autorités l’ont négligé, comme les autres quartiers palestiniens de Jérusalem. La plupart des maisons du village ont été construites sans permis, puisqu’elles ne peuvent pas bénéficier de permis dans une zone pour laquelle aucun programme de construction n’a été élaboré. La mairie a contrecarré une tentative de villageois d’élaborer un tel programme, avec l’aide de Bilkom – Urbanistes pour les droits de l’urbanisme.

Les relations se sont détériorées pendant la deuxième intifada, lorsque la police a fermé la sortie du village vers l’université. Isawiyah a été un des villages de Jérusalem Est les plus agités au cours des dernières années, lieu des manifestations les plus importantes, probablement celui d’où ont été lancées le plus de pierres et de bombes incendiaires et qui a été la source de nombreuses attaques. La maison de Samer Issawi qui est en détention administrative est à quelques pas de l’immeuble Mandel. Sa grève de la faim il a deux ans a menacé d’enflammer toute la Cisjordanie.

Pour autant, les habitants d’Isawiyah souffrent aussi de la politique policière. Les checkpoints sont de routine, avec l’usage massif et souvent arbitraire de gaz lacrymogènes, de balles enrobées d’éponge et d’arrestations. Aidés par une poignée de militants israéliens, les gens du village ont essayé de lutter pour l’avenir d’Isawiyah, mais la plupart des batailles se sont soldées par des échecs. Depuis des années, le quartier de la Colline des Français, l’hôpital de la Hadassah, la route de Jérusalem à la mer morte et la barrière de séparation vers la Cisjordanie l’ont isolé. Et maintenant, une décharge et un parc national qui empêcherait tout développement futur sont programmés. Les doctorants peuvent voir tout cela depuis les grandes fenêtres du magnifique immeuble.

« Nous nous sommes tellement habitués à ne regarder que vers l’Ouest pour voir la beauté de Jérusalem que nous sommes mal à l’aise lorsque nous regardons vers l‘Est et que nous voyons l’arrière cour du Mont Scopus », dit Israël Youval, le directeur du bâtiment Mandel, qui a été à l’initiative de la conférence. Se référant à un chant hébraïque célèbre, il demande : « Faut-il comprendre les paroles de Salut à toi Jérusalem depuis le Mont Scopus en sens inverse ? Au revoir Jérusalem telle que nous t’avons connue. Devrions nous avoir honte de nous trouver dans un si beau bâtiment qui donne sur un environnement inhospitalier » ?

Nitzan Tal, une chercheure de l’université , croit que le malaise suscité par le village sert aussi à éveiller l’esprit. « Je me demande combien de blocus de villages sont le résultat direct de ma venue tellement fréquente chaque semaine » dit-elle. Une autre chercheure, Adi Livny, remarque que Isawiyah est un des sujets favoris de conversation dans les couloirs du bâtiment. « Qu’avons nous à sacrifier pour nous rapprocher ? » a-t-elle demandé à la conférence, lorsqu’elle a proposé de rendre l’étude de l’Arabe obligatoire.

Voir Isawiyah d’ici est très différent d’y vivre » a dit Hani Issawi à l’assistance. « Vous pouvez voir Isawiyah d’ici et penser que les gens y vivent normalement. Je suis venu ici à pied de chez moi. Cela m’a pris peut-être quatre minutes, mais on passe d’un siècle à un autre. Il faut que le gens le sachent et comprennent combien la vie est difficile à Isawiyah ».