Plus de 14 millions de personnes, dont à peu près la moitié sont juives et l’autre moitié palestiniennes, vivent entre le Jourdain et la Méditerranée sous un seul et même….
Plus de 14 millions de personnes, dont à peu près la moitié sont juives et l’autre moitié palestiniennes, vivent entre le Jourdain et la Méditerranée sous un seul et même régime. Dans le discours public, politique, juridique et médiatique, la perception courante celle de deux régimes séparés opérant côte à côte dans cette zone, séparés par le Ligne verte. Le premier régime, à l’intérieur des frontières de l’État souverain d’Israël, est une démocratie permanente avec une population d’environ 9 millions de personnes, tous citoyens israéliens. Le second régime, dans les territoires dont Israël s’est emparé en 1967, et dont le statut final doit supposément être déterminé dans de futures négociations, est une occupation militaire temporaire imposée sur quelque cinq millions de sujets palestiniens.
Au cours du temps, cette distinction entre deux régimes s’est de plus en plus éloignée de la réalité. Cette situation existe depuis plus de 50 ans — deux fois plus longtemps que l’état d’Israël a existé sans celle-ci. Des centaines de milliers de colons juifs résident maintenant dans des colonies permanentes à l’est de la Ligne verte, vivant comme s’ils étaient à l’ouest. Jérusalem-Est a été officiellement annexée au territoire souverain d’Israël et la Cisjordanie a été annexée en pratique. Plus important encore, la distinction obscurcit le fait que la région entière entre la Méditerranée et le Jourdain est organisée selon un unique principe : faire progresser et renforcer la suprématie d’un groupe — les Juifs — sur un autre — les Palestiniens. Tout ceci conduit à la conclusion que ce ne sont pas là deux régimes parallèles dont le principe suprémaciste se trouverait, par hasard, être le même, mais bien un régime, gouvernant la zone entière et les gens qui y vivent, sur la base d’un seul principe d’organisation unique.
Quand B’Tselem a été fondé en 1989, nous limitions notre mandat à la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la Bande de Gaza, et nous nous abstenions d’aborder les questions de droits humains à l’intérieur de l’État d’Israël tel qu’établi en 1948, ou de porter un regard global sur l’entièreté de la région entre le Jourdain et la Méditerranée. Pourtant, la situation a changé. Le principe d’organisation du régime a gagné en visibilité au cours des dernières années, comme en témoignent la « Loi fondamentale : Israël — État nation du peuple juif », promulguée en 2018, ou la promotion ouverte d’une annexion formelle de portions de la Cisjordanie en 2020. En lien avec les éléments décrits ci-dessus, tout cela signifie que ce qui arrive dans les territoires occupés ne peut plus être traité séparément de la réalité de l’ensemble de la zone sous contrôle israélien. Les termes que nous avons utilisés ces dernières années pour décrire la situation —comme « occupation prolongée » ou « réalité à un État » — ne sont plus adéquats. Pour continuer à combattre efficacement les violations des droits humains, il est essentiel d’examiner et de définir le régime qui gouverne la région entière.
Cette publication analyse comment fonctionne le régime israélien pour promouvoir ses objectifs dans l’ensemble de la zone sous son contrôle. Nous n’offrons pas de synthèse historique ou d’évaluation, ni des mouvements nationaux palestinien et juif, ni de l’ancien régime sud-africain. Si ce sont des questions importantes, elles sont au-delà de la compétence d’une organisation de défense des droits humains. Ce document présente plutôt les principes qui guident le régime, démontre comment il les met en œuvre, indique la conclusion qui en émerge sur la manière dont ce régime devrait être défini, et ce que cela signifie pour les droits humains.
Diviser, séparer, régner
Dans la région entière entre la Méditerranée et le Jourdain, le régime israélien applique des lois, des pratiques et une violence d’État conçues pour cimenter la suprématie d’un groupe — les Juifs— sur un autre — les Palestiniens. Une méthode clé pour poursuivre cet objectif est de construire l’espace différemment pour chaque groupe.
Les citoyens juifs vivent comme si la région entière était un espace unique (à l’exception de la Bande de Gaza). La Ligne verte ne signifie à peu près rien pour eux : qu’ils vivent à l’ouest, à l’intérieur du territoire souverain d’Israël, ou à l’est, dans des colonies qui ne sont pas formellement annexées à Israël, cela n’a pas d’importance pour leurs droits ou leur statut.
L’endroit où les Palestiniens vivent, en revanche, est crucial. Le régime israélien a divisé la zone en plusieurs unités qu’il définit et gouverne différemment, accordant aux Palestiniens des droits différents dans chacune. La division n’est pertinente que pour les Palestiniens. L’espace géographique, qui est d’un seul tenant pour les Juifs, est une mosaïque fragmentée pour les Palestiniens :
- Les Palestiniens (aussi appelés Arabes israéliens) qui vivent sur le territoire défini en 1948 comme territoire souverain israélien sont des citoyens israéliens ; ils représentent près de 17% des citoyens de l’État. Si ce statut leur offre beaucoup de droits, ils ne jouissent pas des mêmes droits que les citoyens juifs, en théorie comme en pratique — comme expliqué en détail ci-dessous.
- Environ 350 000 Palestiniens vivent à Jérusalem-Est, qui s’étend sur quelque 70 000 dunams [1 dunam = 1000 mètres carrés] qu’Israël a annexés à son territoire souverain en 1967. Ils sont définis comme « résidents permanents » d’Israël, un statut qui leur permet de vivre et de travailler en Israël sans avoir besoin de permis spéciaux, de recevoir les bénéfices sociaux et l’assurance maladie, et de voter dans les élections municipales. Malgré tout, la résidence permanente, contrairement à la citoyenneté, peut être révoquée à tout moment, à la discrétion totale du ministre de l’Intérieur. Dans certaines circonstances, elle peut aussi expirer.
- Bien qu’Israël n’ait jamais annexé formellement la Cisjordanie, il traite ce territoire comme lui appartenant. Plus de 2,6 millions de sujets palestiniens vivent en Cisjordanie, dans des dizaines d’enclaves cloisonnées, sous un gouvernement militaire rigide, et sans droits politiques. Dans environ 40% de ce territoire, Israël a transféré certains pouvoirs civils à l’Autorité palestinienne (AP). Mais l’AP est encore subordonnée à Israël et ne peut exercer ses pouvoirs limités qu’avec son consentement.
- La Bande de Gaza abrite près de deux millions de Palestiniens, lesquels sont également dépourvus de droits politiques. En 2005, Israël a retiré ses forces armées de la Bande de Gaza, démantelé les colonies qu’il y avait construit et abdiqué toute responsabilité pour le sort de la population palestinienne sur place. Mais après la prise de contrôle par le Hamas en 2007, Israël a imposé un blocus sur la Bande de Gaza qui est encore en vigueur. Pendant toutes ces années, Israël a continué à contrôler, de l’extérieur, presque chaque aspect de la vie à Gaza.
Israël accorde aux Palestiniens un ensemble de droits bien distinct dans chacune de ces unités — mais toujours inférieur à celui accordé aux citoyens juifs. L’objectif de la suprématie juive est poursuivi différemment dans chaque unité et les formes d’injustice qui en résultent diffèrent : l’expérience vécue par les Palestiniens de Gaza sous blocus n’est pas la même que celle des Palestiniens de Cisjordanie, des résidents permanents de Jérusalem-Est ou des Palestiniens citoyens à l’intérieur du territoire israélien souverain. Néanmoins, toutes ces situations sont des variations sur le thème de la domination israélienne et du traitement d’infériorité des droits et du statut des Palestiniens, comparativement à leurs voisins juifs.
Quatre méthodes principales utilisées par le régime israélien pour promouvoir la suprématie juive sont détaillées ci-dessous. Deux d’entre elles sont mises en œuvre de manière uniforme dans la région entière : la restriction de la migration des non-juifs et l’accaparement de terres palestiniennes pour construire des communautés réservées aux Juifs, tout en reléguant les Palestiniens à de petites enclaves. Les deux autres sont principalement mises en œuvre dans les Territoires occupés : des restrictions draconiennes sur le déplacement des Palestiniens non-citoyens et le déni de leurs droits politiques. Le contrôle sur ces aspects de la vie se trouve entièrement dans les mains d’Israël : dans la région entière, Israël a le monopole du pouvoir sur l’enregistrement de la population, l’allocation des terres, les listes d’électeurs et le droit (ou l’interdiction) de voyager à l’intérieur de la région, d’entrer à n’importe quel endroit de la région, ou d’en sortir.
A. Immigration – exclusivement pour les Juifs :
Toute personne juive dans le monde, ainsi que ses enfants, petits-enfants et conjoint ou conjointe, est habilitée à immigrer en Israël à n’importe quel moment et à recevoir la citoyenneté israélienne, avec tous ses droits associés. Ils reçoivent ce statut même s’ils choisissent de vivre dans une colonie de la Cisjordanie qui n’est pas formellement annexée au territoire souverain d’Israël.
En revanche, les non-Juifs n’ont pas droit à un statut juridique dans les zones contrôlées par Israël. Accorder un statut est laissé à la discrétion presque totale des représentants du gouvernement — le ministre de l’Intérieur (là où Israël a la souveraineté territoriale) ou le commandant militaire (dans les Territoires occupés). En dépit de cette distinction officielle, le principe d’organisation reste le même : les Palestiniens vivant dans d’autres pays ne peuvent immigrer vers la région située entre la Méditerranée et le Jourdain, même si eux-mêmes, leurs parents ou leurs grands-parents y sont nés et y ont vécu. La seule façon dont les Palestiniens peuvent immigrer vers des zones contrôlées par Israël est d’épouser une Palestinienne ou un Palestinien qui y vit déjà — comme citoyen, résident ou sujet —, tout en remplissant une série de conditions et en recevant l’approbation d’Israël.
Israël n’empêche pas seulement l’immigration palestinienne mais bloque aussi le déménagement palestinien entre les zones, si le déplacement « améliore » son statut aux yeux du régime. Par exemple, des citoyens palestiniens d’Israël ou des résidents de Jérusalem-Est peuvent facilement déménager en Cisjordanie (bien qu’ils risquent leurs droits et leur statut en le faisant). Les Palestiniens des Territoires occupés ne peuvent pas obtenir la citoyenneté israélienne et déménager vers le territoire où Israël a la souveraineté, sauf dans de très rares occasions, qui dépendent de l’approbation des responsables israéliens.
La politique d’Israël sur le regroupement familial illustre ce principe. Pendant des années, le régime a placé de nombreux obstacles devant les familles dans lesquelles chaque conjoint vit dans une unité géographique différente. Au cours du temps, ceci a gêné et souvent empêché les Palestiniens épousant un Palestinien ou une Palestinienne d’une autre unité d’acquérir le statut de cette unité. En conséquence, des dizaines de milliers de familles n’ont pas pu vivre ensemble. Quand l’un des époux est résident de la Bande de Gaza, Israël autorise à la famille à y vivre, mais si l’autre conjoint est résident de Cisjordanie, Israël exige que les deux déménagent de manière permanente à Gaza. En 2003, la Knesset a voté une Ordonnance temporaire (encore en vigueur) interdisant la délivrance de la citoyenneté israélienne ou de la résidence permanente aux Palestiniens des Territoires occupés qui épousent des Israéliens ou Israéliennes — contrairement aux citoyens d’autres pays. Dans des cas exceptionnels approuvés par le ministre de l’Intérieur, des Palestiniens de Cisjordanie qui épousent des Israéliens ou Israéliennes peuvent se voir accorder le statut en Israël — mais uniquement de façon temporaire et sans accès aux avantages sociaux.
Israël sape aussi le droit des Palestiniens des Territoires occupés — y compris Jérusalem-Est — à continuer à vivre là où ils sont nés. Depuis 1967, Israël a révoqué le statut de quelque 250000 Palestiniens en Cisjordanie (Jérusalem-Est inclus) et dans la Bande de Gaza, dans certains cas pour le motif qu’ils avaient vécu à l’étranger pour plus de trois ans. Cela inclut des milliers de résidents de Jérusalem-Est qui ont déménagé à quelques kilomètres à peine à l’est de leurs maisons vers des parties de la Cisjordanie qui ne sont pas officiellement annexées. Toutes ces personnes ont été volées de leurs droits à retourner à leurs maisons et dans leurs familles, où elles sont nées et ont été élevées.
B. S’emparer des terres pour les Juifs tout en entassant les Palestiniens dans des enclaves :
Israël pratique une politique de « judaïsation » de la région, basée sur la pensée que la terre est une ressource censée bénéficier presque exclusivement au public juif. La terre est utilisée pour développer et étendre les communautés juives existantes et en construire de nouvelles, alors que les Palestiniens sont dépossédés et regroupés dans de petites enclaves surpeuplées. Cette politique a été pratiquée pour la terre dans le territoire israélien souverain depuis 1948, puis appliquée aux Palestiniens des Territoires occupés depuis 1967. En 2018, le principe sous-jacent a été inscrit dans la Loi fondamentale : Israël — Etat nation du peuple juif, qui stipule que « l’État considère que le développement des colonies juives est une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir l’établissement et le renforcement de telles colonies ».
A l’intérieur de son territoire souverain, Israël a promulgué des lois discriminatoires, et tout particulièrement la Loi sur la propriété des absents, autorisant à exproprier de vastes parcelles de terres détenues par des Palestiniens, y compris des millions de dunams dans des communautés dont les résidents ont été expulsés ou ont fui en 1948 et ont été empêchés d’y retourner. Israël a aussi réduit de manière importante les zones désignées pour les communautés et les conseils locaux palestiniens, qui ont maintenant accès à moins de 3% de la surface totale du pays. La plupart des terres désignées sont déjà saturées de constructions. En conséquence, plus de 90% des terres dans le territoire souverain d’Israël sont maintenant sous le contrôle de l’état.
Israël a utilisé ces terres pour construire des centaines de communautés pour les citoyens juifs — et pas une seule pour les citoyens palestiniens. Il y a une seule exception : une poignée de villes et de villages construits pour concentrer la population bédouine, qui a été dépouillée de la plupart de ses droits de propriété. La majeure partie des terres sur lesquelles les Bédouins vivaient a été expropriée et enregistrée comme terre domaniale d’État. Beaucoup de communautés bédouines ont été définies comme « non-reconnues » et leurs résidents comme « envahisseurs ». Sur des terres historiquement occupées par des Bédouins, Israël a bâti des communautés exclusivement pour les Juifs.
Le régime israélien restreint sévèrement la construction et le développement dans le peu de terres qui reste aux communautés palestiniennes à l’intérieur de son territoire souverain. Il s’abstient aussi de préparer des plans d’urbanisation qui reflètent les besoins de la population, et garde les zones de juridiction de ces communautés virtuellement inchangées en dépit d’un accroissement de la population. Le résultat est un ensemble de petites enclaves surpeuplées où les résidents n’ont d’autre choix que de construire sans permis.
Israël a aussi voté une loi permettant aux communautés avec des comités d’admission, qui se comptent par centaines dans tout le pays, de rejeter des candidats palestiniens pour raison d’«incompatibilité culturelle ». En pratique, cela empêche les citoyens palestiniens de vivre dans des communautés conçues pour les Juifs. Officiellement, tout citoyen israélien peut vivre dans n’importe laquelle des municipalités du pays ; en pratique, 10% seulement des citoyens palestiniens le font. Ils sont alors généralement relégués dans des quartiers séparés, à cause du manque de services éducatifs, religieux ou autres, du coût prohibitif d’acheter une maison dans d’autres parties de la ville ou des pratiques discriminatoires dans les ventes de terrains et de maisons.
Le régime a utilisé le même principe d’organisation en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) depuis 1967. Des centaines de milliers de dunams, incluant des terres agricoles et des pâturages, ont été pris à des sujets palestiniens sous des prétextes variés, et utilisés, entre autres choses, pour établir et étendre des colonies, y compris des quartiers résidentiels, des terres agricoles et des zones industrielles. Toutes les colonies sont des zones militaires fermées où les Palestiniens sont interdits d’entrée sans permis. Pour le moment, Israël a établi plus de 280 colonies en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), qui sont maintenant le domicile de plus de 600 000 juifs. D’autres terres encore ont été réquisitionnées pour construire des centaines de kilomètres de routes de contournement pour les colons.
Israël a institué un système de planification urbaine séparé pour les Palestiniens en Cisjordanie, conçu principalement pour empêcher la construction et le développement. De vastes étendues de terrain ne sont pas disponibles pour la construction, car elles ont été déclarées terres d’État, zones de tir, réserves naturelles ou parcs nationaux. Les autorités s’abstiennent aussi de rédiger des plans d’urbanisation adéquats reflétant les besoins présents et futurs des communautés palestiniennes dans les quelques terres encore épargnées. Le système de planification séparé est centré sur la démolition des structures construites sans permis — là encore, en l’absence d’alternative. Tout cela a parqué les Palestiniens dans des dizaines d’enclaves densément peuplées, le développement en dehors de celles-ci – que ce soit pour un usage résidentiel ou public, y compris l’infrastructure — étant presque complètement interdit.
C. Restriction de la liberté de déplacement des Palestiniens
Israël permet à ses citoyens et résidents juifs et palestiniens de voyager librement dans toute la région. Les exceptions sont l’interdiction d’entrer dans la Bande de Gaza, définie comme « territoire hostile » et l’interdiction (de pure forme pour l’essentiel) d’entrer dans des zones qui sont censées être sous la responsabilité de l’AP (zone A). Dans de rares cas, des citoyens ou des résidents palestiniens sont autorisés à entrer à Gaza.
Les citoyens israéliens peuvent aussi quitter le pays et y revenir à n’importe quel moment. En revanche, les résidents de Jérusalem-Est n’ont pas de passeport israélien et une absence de longue durée peut avoir pour conséquence la révocation de leur statut.
Israël restreint systématiquement le déplacement des Palestiniens des Territoires occupés et leur interdit en général de se déplacer entre les unités. Les Palestiniens de Cisjordanie qui souhaitent entrer en Israël, à Jérusalem-Est ou dans la Bande de Gaza doivent faire une demande auprès des autorités israéliennes. Dans la Bande de Gaza, qui a été sous blocus depuis 2007, la population entière est emprisonnée puisqu’Israël interdit presque tout déplacement, pour entrer ou sortir — sauf dans les rares cas définis comme humanitaires. Les Palestiniens qui souhaitent quitter Gaza ou les Palestiniens d’autres unités qui souhaitent y entrer doivent aussi soumettre une demande spéciale de permis auprès des autorités israéliennes. Les permis ne sont accordés qu’occasionnellement et ne peuvent être obtenus que par un mécanisme strict et arbitraire, ou régime des permis, qui manque de transparence et de clarté dans les règles d’attribution. Israël traite chaque permis accordé à un Palestinien comme un acte magnanime, plutôt que comme le respect d’un droit acquis.
En Cisjordanie, Israël contrôle toutes les routes entre les enclaves palestiniennes. Cela permet à l’armée d’installer des checkpoints mobiles, de fermer des points d’accès aux villages, de bloquer des routes et de stopper le passage aux checkpoints à son gré. De plus, Israël a construit la Barrière de séparation à l’intérieur de la Cisjordanie et désigné la terre palestinienne, y compris agricole, coincée entre la barrière et la Ligne verte comme une « zone charnière ». Les Palestiniens de Cisjordanie ne sont pas autorisés à entrer dans cette zone, soumis au même régime de permis.
Les Palestiniens des Territoires occupés doivent aussi avoir une permission israélienne pour aller à l’étranger. En général, Israël ne leur permet pas d’utiliser l’aéroport international Ben Gourion, qui se trouve à l’intérieur de son territoire souverain. Les Palestiniens de Cisjordanie doivent emprunter des vols à l’aéroport international de Jordanie — mais ne peuvent le faire que si Israël leur permet de traverser la frontière avec la Jordanie. Chaque année, Israël refuse des milliers de demandes pour traverser cette frontière, sans explication. Les Palestiniens de Gaza doivent traverser par le point de passage de Rafah, contrôlé par l’Egypte — à condition qu’il soit ouvert, les autorités égyptiennes les laissent passer et ils peuvent entreprendre le long trajet à travers le territoire égyptien. Dans de rares exceptions, Israël permet aux Gazaouis de voyager à travers le territoire souverain, dans une navette sous escorte, de manière à atteindre la Cisjordanie et de là à continuer vers la Jordanie et leur destination.
D. Déni du droit des Palestiniens à une participation politique
Comme leurs homologues juifs, les citoyens palestiniens d’Israël peuvent entreprendre une action politique pour promouvoir leurs intérêts, par exemple voter ou être candidat à une fonction publique. Ils peuvent élire des représentants, établir des partis ou rejoindre des partis existants. Cela dit, les élus palestiniens sont continuellement vilipendés — un sentiment propagé par des personnalités politiques clés – et le droit des citoyens palestiniens à la participation politique est constamment attaqué.
Les quelque cinq millions de Palestiniens qui vivent dans les Territoires occupés ne peuvent pas participer au système politique qui gouverne leurs vies et détermine leur avenir. Théoriquement, la plupart des Palestiniens sont éligibles pour voter dans les élections de l’AP. Pourtant, comme les pouvoirs de l’AP sont limités, même si les élections se tenaient régulièrement (les dernières étaient en 2006), le régime israélien gouvernerait encore les vies des Palestiniens, puisqu’il se réserve le contrôle d’aspects majeurs de la gouvernance dans les Territoires occupés. Cela inclut le contrôle sur l’immigration, l’enregistrement de la population, les politiques de planification et d’aménagement du territoire, l’eau, les infrastructures de communication, les importations et exportations, et le contrôle militaire sur la terre, la mer et l’espace aérien.
A Jérusalem-Est, les Palestiniens sont pris entre le marteau et l’enclume. Comme résidents permanents d’Israël, ils peuvent voter dans les élections municipales, mais pas pour le parlement. D’un autre côté, Israël rend difficile leur participation aux élections de l’AP.
La participation politique englobe plus de choses que le vote ou la candidature à une fonction publique. Israël dénie aussi aux Palestiniens des droits politiques comme la liberté de parole et la liberté d’association. Ces droits permettent aux individus de critiquer des régimes, de manifester contre des politiques, de former des associations pour faire avancer leurs idées et plus généralement de travailler à promouvoir le changement social et politique.
Une kyrielle de lois, comme la loi sur le boycott et la loi sur la Nakba, a limité la liberté des Israéliens à critiquer les politiques liées aux Palestiniens dans toute la région. Les Palestiniens des Territoires occupés sont confrontés à des restrictions encore plus dures : ils ne sont pas autorisés à manifester ; beaucoup d’associations ont été interdites ; et presque toute déclaration politique est considérée comme une incitation à la violence. Ces restrictions sont assidument appliquées par les tribunaux militaires, qui ont emprisonné des centaines de milliers de Palestiniens et sont un mécanisme clé pour soutenir l’occupation. A Jérusalem-Est, Israël œuvre à empêcher toute activité sociale, culturelle ou politique associée de quelque façon que ce soit avec l’AP.
La division de l’espace empêche aussi une lutte palestinienne unifiée contre la politique israélienne. La variation dans les lois, les procédures et les droits au sein des unités géographiques et les restrictions de déplacement draconiennes ont séparé les Palestiniens en groupes distincts. Cette fragmentation n’aide pas seulement Israël à promouvoir la suprématie juive, elle entrave aussi la critique et la résistance.
Non à l’apartheid : Ceci est notre combat
Le régime israélien, qui contrôle tout le territoire entre le Jourdain et la Méditerranée, cherche à faire avancer et à cimenter la suprématie juive dans toute la région. A cette fin, il a divisé la région en plusieurs unités, chacune dotée d’un ensemble différent de droits pour les Palestiniens — toujours inférieurs aux droits des Juifs. Dans le cadre de cette politique, les Palestiniens se voient refuser de nombreux droits, dont le droit à l’auto-détermination.
Cette politique est mise en œuvre de plusieurs façons. Israël moule la démographie et l’espace par des lois et des ordonnances qui permettent à tout Juif dans le monde ou à sa famille d’obtenir la citoyenneté israélienne, mais dénie presque complètement cette possibilité aux Palestiniens. Il a physiquement reconstruit la région entière en s’emparant de millions de dunams de terre et en établissant des communautés réservées aux Juifs, tout en repoussant les Palestiniens vers des petites enclaves. Le déplacement est contraint par des restrictions sur les sujets palestiniens, et le régime politique exclut des millions de Palestiniens de la participation aux processus qui déterminent leur vie et leur avenir, tout en les maintenant sous occupation militaire.
Un régime qui utilise lois, pratiques et violence organisée pour cimenter la suprématie d’un groupe sur un autre est un régime d’apartheid. L’apartheid israélien qui promeut la suprématie des Juifs sur les Palestiniens n’est pas né en un seul jour, ni d’un seul discours. C’est un processus qui est graduellement devenu plus institutionnalisé et plus explicite, avec des mécanismes introduits au cours du temps dans la loi et dans la pratique pour promouvoir la suprématie juive. Ces mesures accumulées, leur omniprésence dans la législation et la pratique politique, et le soutien public et judiciaire qu’elles reçoivent — tout cela forme la base de notre conclusion : la barre pour qualifier le régime israélien d’apartheid a été atteinte.
Si ce régime s’est développé pendant autant d’années, pourquoi publier cet article en 2021 ? Qu’est-ce qui a changé ? Les dernières années ont vu un accroissement de la motivation et la volonté des institutions et des responsables israéliens d’inscrire la suprématie juive dans la loi et de déclarer ouvertement leurs intentions. La promulgation de la Loi fondamentale : Israël – l’état nation du peuple juif et le plan proclamé d’annexer formellement des parties de la Cisjordanie ont ébranlé la façade qu’Israël a œuvré pendant des années à maintenir.
La loi fondamentale de l’État-nation, promulguée en 2018, enracine le droit du peuple juif à l’auto-détermination à l’exclusion de tous les autres. Elle établit que distinguer les Juifs en Israël (et partout dans le monde) des non-Juifs est fondamental et légitime. Sur la base de cette distinction, la loi permet la discrimination institutionnalisée en faveur des Juifs dans l’implantation, la domiciliation, le développement des terres, la citoyenneté, la langue et la culture. Il est vrai que le régime israélien a largement suivi ces principes auparavant. Mais maintenant, la suprématie juive est inscrite dans la loi fondamentale, ce qui en fait un principe constitutionnel contraignant — contrairement à la loi ordinaire ou aux pratiques des autorités qui pouvaient être remises en question. Cela signale à toutes les institutions d’État, non seulement qu’elles peuvent, mais qu’elles doivent, promouvoir la suprématie juive dans la région entière sous contrôle israélien.
Le plan d’Israël pour annexer formellement des parties de la Cisjordanie comble aussi le fossé entre le statut officiel des Territoires occupés, qui est accompagné d’une rhétorique vide sur la négociation et son avenir, et le fait qu’Israël a annexé de facto la majeure partie de la Cisjordanie depuis longtemps. Israël n’a pas mis en pratique ses déclarations sur l’annexion formelle après juillet 2020 et différents responsables ont depuis rendu publiques des déclarations contradictoires à propos de ce plan. Indépendamment de comment et quand Israël poursuit son plan d’annexion formelle, d’une façon ou d’une autre, son intention de réaliser un contrôle permanent sur la région entière a déjà été ouvertement déclarée par les plus hauts responsables de l’État.
La logique du régime israélien et les mesures utilisées pour l’appliquer rappellent le régime sud-africain, qui cherchait à préserver la suprématie des citoyens blancs, en partie par une partition de la population en classes et sous-classes et l’attribution de différents droits à chacune. Il y a bien sûr des différences entre les deux régimes. Par exemple, la division en Afrique du Sud était basée sur la race et la couleur de peau, alors qu’en Israël elle est basée sur la nationalité et l’ethnicité. La ségrégation en Afrique du Sud se manifestait aussi dans l’espace public, sous la forme d’une séparation contrôlée, formelle, publique entre les personnes, basée sur la couleur de peau — un degré de visibilité qu’Israël évite habituellement. Pourtant, que ce soit dans le discours public ou le droit international, l’apartheid ne signifie pas une copie exacte de l’ancien régime sud-africain. Aucun régime ne sera jamais identique. « Apartheid » a depuis longtemps été un terme indépendant, enraciné dans des conventions internationales, se référant au principe d’organisation d’un régime : promouvoir systématiquement la domination d’un groupe sur un autre et travailler à la cimenter.
Le régime israélien n’a pas à se déclarer régime d’apartheid pour être défini comme tel, pas plus qu’il n’est pertinent que les représentants de l’État proclament largement que c’est une démocratie. Ce qui définit l’apartheid, ce ne sont pas des déclarations, mais des pratiques. Si l’Afrique du Sud s’est déclaré régime d’apartheid en 1948, il est déraisonnable d’attendre que d’autres États lui emboitent le pas, étant donné les répercussions historiques. Il est plus probable que la réponse de la plupart des pays à l’apartheid de l’Afrique du Sud soit de dissuader les États d’admettre qu’ils appliquent un régime similaire. Il est ainsi tout à fait clair que ce qui était possible en 1948 n’est plus possible de nos jours, tant juridiquement que vis-à-vis de l’opinion publique.
Aussi douloureux qu’il soit de regarder la réalité en face, vivre sous asservissement est une douleur plus grande encore. La dure réalité décrite ici peut continuer de se détériorer si de nouvelles pratiques sont introduites — avec ou sans la législation pour les accompagner. Cela étant dit, cette situation a été mise en place par des personnes, et d’autres personnes peuvent la faire empirer — ou œuvrer à la remplacer. Cet espoir est la force motrice derrière ce communiqué. Comment combattre une injustice si elle n’est pas correctement identifiée ? L’apartheid est le principe organisateur ; le reconnaître n’est pas un fatalisme. Au contraire : c’est un appel au changement.
Aujourd’hui plus que jamais, lutter pour un avenir basé sur les droits humains, la liberté et la justice est crucial. Il existe des chemins politiques variés vers un avenir juste, ici, entre le Jourdain et la Méditerranée, mais nous devons d’abord tous choisir de dire non à l’apartheid.