Un étudiant palestinien attendait son véhicule. Un sniper de l’armée israélienne l’a abattu

Une unité de l’armée israélienne déferle dans un paisible village palestinien de Cisjordanie. Des jeeps foncent dans les rues pendant que des soldats s’emparent d’un domicile familial. Depuis une fenêtre, un sniper repère un étudiant qui attend un taxi collectif, et le tue. Porte-parole des FDI : “Un terroriste a lancé un engin explosif”.

Il est 7h 30 du matin dans un petit village palestinien tranquille près de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Une unité des Forces de défense d’Israël (FDI) envahit la localité au moment même où les élèves se rendent à l’école. On ne sait clairement ni pourquoi les FDI ont choisi d’entrer dans ce village, ni pourquoi le moment de cette incursion a été réglé de façon à coïncider avec le début de la journée scolaire.

Comme personne n’a été interpellé au cours de cette invasion, à l’exception d’un jeune homme qui a été libéré immédiatement, on peut considérer qu’en dehors d’un exercice destiné aux troupes et de la volonté habituelle de semer la peur au cœur des habitants, cette action n’avait pas de véritable but. C’est la même histoire pour la plupart des incursions quotidiennes de l’armée. L’Unité du porte-parolat des FDI allait affirmer plus tard que cette action faisait partie d’une “opération de brigade”, sans exposer ses objectifs, bien que cette question ait été posée.

Quoi qu’il en soit, quatre jeeps militaires blindées sont entrées dans le village et ont commencé à foncer dans les rues, en marche avant, en marche arrière, cherchant visiblement à provoquer et à intimider les habitants. Immédiatement après, le rituel habituel s’est mis en place : les jeunes du village, dont certains étaient en route vers l’école, ont commencé à jeter des pierres sur la carrosserie des jeeps, sans mettre quiconque en danger.

Pendant que les jeeps sillonnaient les rues sans but, quatre soldats sont entrés dans une maison au centre du village – le domicile d’un enseignant et de sa femme, qui ont demandé que leur nom ne soit pas rendu public. Ils les ont enfermés dans une pièce au premier étage et sont allés au deuxième étage, une sorte de grenier avec une fenêtre munie de barreaux et, à côté, une petite ouverture. Un des soldats a placé un tabouret sur la vieille machine à laver du couple, s’est positionné près de l’ouverture, a braqué son fusil et s’est mis en embuscade.

Entre temps, un jeune homme est arrivé dans la rue et s’est dirigé vers la station de taxis collectifs du village. Il devait aller s’inscrire en deuxième année d’université, les cours reprenant la semaine prochaine. Quand il a quitté la maison, ont dit ses parents, il ne savait pas que des troupes étaient dans le village – sans quoi, disent-ils, ils ne l’auraient pas laissé marcher dans le village grouillant de soldats. 

Ils vivent dans une maison tranquille, bien tenue, à la périphérie du village. Les quatre enfants sont à l’université ou déjà diplômés. Une des filles est médecin, sa sœur est pharmacienne, le fils aîné, ingénieur en génie civil, travaille à Dubai, et le plus jeune des frères, celui qui est sorti dans la rue, étudiait l’électrotechnique à l’Université technique de Palestine – Kadoorie, à Tulkarm.

Ahmed Barahmeh, 19 ans, est arrivé au centre du village. Les chauffeurs de taxis, sachant que des soldats étaient entrés dans le village, ont rapidement quitté les lieux. Trois jeunes hommes sont restés dans la rue, attendant près de la station de taxis. Ils auraient peut-être jeté des pierres sur les jeeps, mais le matin, à 7h58, il n’y avait pas de jeep dans la rue et donc aucune pierre n’était jetée, selon des témoignages recueillis par Abdulkarim Sadi, un enquêteur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem.

Peut-être que Barahmeh tenait une pierre, en attendant qu’une jeep de l’armée apparaisse. Il ne savait pas qu’à 40 mètres de là, au bout de la rue, au deuxième étage de la maison de l’enseignant et de sa femme, un sniper caché près de la fenêtre attendait. Un voisin a dit avoir vu le canon d’un fusil qui dépassait de l’ouverture ; il est peu probable que Barahmeh l’ait aperçu à cette distance.

Subitement, il y a eu un claquement. Depuis ce canon de fusil, un coup unique a été tiré, qui a atteint l’étudiant en pleine poitrine. Il est tombé à terre, en sang. Ses deux amis l’ont emporté immédiatement et ont appelé une ambulance en urgence, mais le temps que le véhicule atteigne l’Hôpital gouvernemental de Jénine, Barahmeh avait rendu son dernier souffle. Ainsi s’est terminé la vie de ce jeune étudiant, avec un seul coup de feu inutile et criminel. Un drapeau palestinien flotte maintenant à l’endroit où il est tombé.

Le village d’Anza, qui compte environ 3000 habitants, est situé au sud de Jénine. Selon Thaisir Sadaqa, chef du conseil local, au cours des mois qui ont précédé le meurtre de Barahmeh, l’armée y a multiplié ses incursions et venait dans le village en moyenne tous les deux jours. Il ne sait pas pourquoi. Quand les réseaux sociaux du village signalent l’entrée des troupes, la plupart des habitants rentrent chez eux. Seuls les jeunes vont dehors et jettent des pierres qui ne frappent pratiquement jamais quelqu’un et n’endommagent même pas les jeeps. Ce rituel s’est répété le matin du 24 septembre.

Le jardin de la maison familiale – de l’herbe synthétique, des chaises en plastique. La mère endeuillée, Fatma, 52 ans, est inspectrice au sein de la branche de Jénine du ministère palestinien de l’Éducation. Son mari, Jihad, 57 ans, est contrôleur à la retraite au ministère palestinien des Transports. Assis près d’eux, l’aîné de leurs enfants, Mohammed, 30 ans, un homme de grande taille, venu de Dubai pour enterrer son frère.

La dernière fois qu’il a vu Ahmed, c’était en avril, lors de sa visite la plus récente au village. Il vit dans les pays du Golfe depuis 10 ans et n’a pas l’intention de revenir tant que durera l’occupation . Son jeune frère étudiait l’ingénierie comme lui, explique-t-il, après qu’il lui avait dit que la demande d’ingénieurs était élevée dans les pays du Golfe et qu’il pourrait suivre ses traces.

Le matin du 24 septembre, raconte Fatma, Ahmed a dit à sa mère qu’il avait prévu d’aller à Tulkarm avec un ami pour s’inscrire à l’université. Ayant quitté la maison à environ 7h40, il a fait quelques minutes de marche jusqu’à la station de taxi, où il a retrouvé son ami. Il a dit à sa mère qu’il reviendrait tôt.

Après le départ de son fils, elle a vu les messages concernant la présence de l’armée dans le village. Elle a téléphoné à Ahmed immédiatement, mais il lui a dit qu’il attendait un taxi et qu’il n’y avait pas de soldats dans le secteur. Fatma est sortie – le bruit que fait l’armée est généralement audible dans le village. Elle a croisé sa sœur Atayni, 60 ans, et son fils près du centre du village. Atayni a dit à sa sœur qu’à la station, un conducteur de taxi collectif avait dit de partir aux passagers qui attendaient, qu’il était lui-même parti car il avait peur de l’armée, et qu’Ahmed attendait.

Un peu plus tôt, deux coups de feu tirés à distance s’étaient fait entendre dans le village, mais personne n’avait été touché. Des habitants racontaient que les soldats avaient interpellé un jeune homme, l’avaient brutalisé puis l’avaient laissé partir. Fatma, soucieuse, a poursuivi sa marche. Une femme rencontrée en chemin lui a dit qu’Ahmed avait été blessé.

Elle s’est mise à courir vers le centre du village. Quand elle y est arrivée elle n’a pas vu son fils — il avait déjà été emporté par ses amis – mais les soldats sont sortis de la maison dans laquelle ils s’étaient cachés et d’où avait été tiré le coup de feu qui avait touché son fils, et ils l’ont chassée en hurlant. Jihad est arrivé en voiture et ils sont allés ensemble à l’hôpital de Jénine.

Chez elle, Fatma empoigne maintenant la main du fils qui lui reste et, tous les deux, ils sanglotent en silence.

Pendant qu’ils roulaient rapidement vers Jénine, le père ne savait pas non plus que son fils était mort. C’est en arrivant à l’hôpital qu’ils ont appris les terribles nouvelles. La balle était entrée dans la poitrine d’Ahmed et elle était ressortie de son dos. Le soignant de l’ambulance a dit à Sadi, l’enquêteur, qu’Ahmed était mort à mi-chemin de l’hôpital.

Maintenant, dans la maison, tout le monde pleure.

Cette semaine, l’Unité du porte-parolat des FDI a répondu à l’interrogation d’Haaretz en répétant le communiqué émis le jour de l’évènement. “Au cours d’une opération de brigade dans le village d’Anza, dans [le secteur relevant de la compétence de] la Brigade Menashe, un terroriste a jeté un engin sur des forces de l’unité de reconnaissance de troupes aéroportées qui opéraient dans le secteur. En riposte, les forces ont fait usage de leur puissance de feu et ont éliminé le terroriste. Nos forces n’ont subi aucune perte.”

“Ahmed n’a rien fait”, dit sa tante. “Je l’ai vu quelques minutes avant qu’il soit tué. Il attendait un taxi.” Sa mère ajoute : “Toute ma vie j’ai veillé sur mes enfants. Ils avaient tous de très bons résultats scolaires.” Le chef du conseil dit qu’Ahmed était timide et qu’il rougissait quand il lui adressait la parole. Les membres de la famille montrent des albums de photos sur leurs téléphones : Voilà Ahmed montant le cheval qui avait été acheté pour lui, appelé Ra’ed – tonnerre en arabe.

Alan Rusbridger, ancien rédacteur en chef du Guardian et rédacteur aujourd’hui du magazine Prospect, qui nous accompagnait lors de cette visite, a demandé : “Qu’est-ce qui est passé par la tête du soldat qui a tué Ahmed ?” La question est restée en suspens, n’ayant aucune réponse réelle.Bas du formulaire