Un spécialiste connu d’Études Amérindiennes, nommé doyen à Dartmouth se retire de cette position, suite à des critiques sur son soutien passé au boycott d’Israël. Certains craignent un impact sur la liberté académique.
N. Bruce Duthu, un spécialiste des études sur les Amérindiens, était un candidat attractif pour le poste de doyen de la faculté des Arts et des Sciences du Dartmouth Collège, du moins sur le papier. Entre autres compétences, il est très apprécié, il a une expérience de l’administration, il défend les arts et les lettres, en tant que membre de la Nation Unie Houma, il aurait aidé, à son niveau de doyen, à atténuer le problème de diversité qui est dit exister à Dartmouth. Il aurait été parmi les Amérindiens de plus haut rang dans la direction de l’enseignement supérieur d’élite.
Pourtant, Duthu, qui a été nommé doyen en mars et devait prendre son poste en juillet, vient de démissionner de sa position et de ses obligations administratives actuelles à cause de problèmes sur le soutien qu’il a apporté au boycott académique d’Israël.
« Comme beaucoup d’entre vous le savent, l’annonce de ma nomination, du moins dans certains cercles, reste une source de problèmes et de discorde » a écrit Duthu dans un mail envoyé lundi à ses collègues où il dit qu’il s’est aussi retiré du poste de doyen associé de la chaire Frank J. Guarini de la faculté d’études internationales et de programmes interdisciplinaires. Il restera dans le corps enseignant comme professeur de la chaire Samson Occom d’Études Amérindiennes.
« Qu’il soit justifié ou non, ce sujet a été et restera sans doute pour moi une confusion importante du point de vue professionnel et une souffrance considérable et une frustration au plan personnel » a écrit Dhutu. « Cela sera aussi très probablement dommageable au collège à long terme, étant données le niveau de visibilité et d’implication auprès du grand public associé à la position de doyen».
Le Dartmouth Review, une publication conservatrice du campus, avait déjà critiqué Duthu comme « candidat de la discrimination positive dangereusement inacceptable » pour le poste de doyen, citant son implication passée dans BDS. Mais il jouissait toujours d’un large soutien jusqu’au début de ce mois, lorsque Alan Gustman, professeur de la chaire Loren M. Berry d’Économie à Dartmouth, a rappelé à des collègues professeurs par mail que l’implication de Duthu dans BDS incluait sa qualité de co-auteur de la déclaration de 2013 de l’Association des Études Amérindiennes et Indigènes en soutien au boycott des institutions académiques israéliennes.
Duthu ne s’est jamais fait beaucoup entendre en soutien au BDS, mais il était le trésorier de l’association à ce moment-là et a signé le document. Gustman, dans la lettre, dit qu’il n’avait « pas de raison de croire que Duthu soit antisémite » mais que le problème est « qu’il soutient un mouvement qui est en substance antisémite et qu’il a pris position sur le mouvement (de boycott, désinvestissement, sanctions) qui est en contradiction avec la position et les responsabilités qu’il aura comme doyen de la faculté. Plus important, il n’a pas renoncé publiquement à sa (déclaration) publique sur le mouvement BDS ».
Pour faire simple, dit-il, il « ne convient pas de nommer un partisan de BDS » au poste de doyen, ce qui donnerait au mouvement BDS un ancrage au plus haut niveau de notre administration ».
La lettre a rapidement été postée sur FrontPage Mag, un blog conservateur très largement suivi, donnant au débat interne une audience internationale. Le titre pas très subtil était « Dartmouth engage un vecteur antisémite du terrorisme pour le poste de nouveau doyen ». Des mails faisant montre d’une certaine préoccupation ont commencé à inonder les boîtes mail de Dartmouth. Même le sénateur Ted Cruz, un Républicain du Texas, ancien candidat aux présidentielles est intervenu.
Duthu a répondu à cette controverse qui prenait de l’ampleur, par un mail envoyé à tout le personnel enseignant quelques jours plus tard. Il n’a pas exactement désavoué la déclaration de l’association en faveur du boycott, en disant qu’il continuait à croire « au droit des citoyens dans leur expression privée d’exprimer des critiques à l’égard de la politique du gouvernement de n’importe quel pays ». Mais il a dit qu’il ne croyait pas « qu’un boycott des institutions académiques soit la réponse appropriée. Je soutiens au contraire un engagement durable, ouvert et collégial envers des collègues universitaires, incluant la recherche collaborative et l’enseignement ».
Notant que Dartmouth avait dit qu’il n’y aurait de soutien aux boycotts académiques de quelque université que ce soit, Duthu a dit qu’il acceptait cette politique en tant que doyen associé et qu’il continuerait à le faire en tant que doyen. Il a aussi condamné l’antisémitisme de même que les préjugés et les agissements de parti pris de toute sorte.
Gustman a répondu par un autre mail aux enseignants, disant que Duthu avait échoué à réconcilier son soutien passé au boycott avec sa position actuelle, et affirmant que le boycott d’Israël est fondamentalement antisémite.
« La réponse de Duthu au corps enseignant est une tentative d’éviter la colère que son soutien public à BDS a entraînée sans commencer par rejeter les raisons pour lesquelles ses positions ont entraîné cette colère » a dit Gustman. Les slogans du mouvement BDS, du début à la fin, sont anti israéliens, antisionistes et profondément antijuifs… Je répète, ce mouvement est devenu une couverture pour beaucoup d’antisémites qui n’aiment rien tant qu’une fois encore avoir la liberté d’afficher leurs préjugés ».
Une grande partie de l’opposition publique au boycott s’appuie sur l’argument qu’il y a peu de différence entre le mouvement BDS et l’antisémitisme. Pourquoi cibler Israël pour de prétendus manquements au respect des droits des êtres humains parmi tant de nations accusées de la même chose, disent les critiques. Beaucoup d’autres critiquent les boycotts académiques comme antithétiques à la liberté académique, étant donné que des professeurs en Israël et ailleurs peuvent ne pas soutenir la politique de leur gouvernement, pas plus que les professeurs de Dartmouth ne soutiennent celle du président Trump. Pour autant, les défenseurs disent que la relation étroite qu’Israël entretient avec les États Unis mérite une vigilance particulière.
D’une façon ou d’une autre, les arguments de Gustman ont trouvé une oreille attentive et Dartmouth a été confronté à une critique croissante de la nomination de Duthu. Duthu a aussi reçu du soutien, notamment de la part d’un groupe d’étudiants appelé Amérindiens de Dartmouth. Ses membres ont écrit dans une lettre ouverte que diverses critiques sur Duthu ignoraient sa longue carrière de spécialiste du droit et son dévouement à la justice sociale sur le campus, y compris vis-à-vis des étudiants de couleur.
Il n’empêche, Duthu a apparemment été trop éprouvé par la controverse. En répondant lundi à sa décision, le président et vice-recteur de Dartmouth a dit que, par principe, « ils condamnent les préjugés contre tout groupe ou individu et ont totalement confiance qu’il en est de même pour (Duthu)… En fait, le travail de toute sa vie a été dédié à soutenir la justice sociale et à combattre les préjugés sous toutes leurs formes ».
Une critique erronée
Cary Nelson, professeur émérite d’Anglais à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign et professeur associé à l’Université d’Israël à Haïfa, est un critique véhément du mouvement de boycott d’Israël, mais il a dit qu’il pensait que Duthu avait été traité de façon injuste.
Disant qu’il avait suivi l’affaire de Dartmouth et été en contact avec des membres du corps enseignant, Nelson a qualifié la protestation de la nomination de Duthu de « profondément erronée ». Nelson a décrit Duthu comme un « allié et non un ennemi » et comme un soutien fervent des études juives, qui « est loin d’être un soutien inconditionnel du boycott ».
À part Duthu, Nelson a dit qu’il est possible que « certaines personnes puissent signer une pétition BDS sans que ce programme d’action ne s’impose dans leur vie professionnelle, alors que d’autres n’en sont pas capables ». Mais « une épreuve de vérité sans concession » en la matière n’est pas une manière de procéder.
John K. Wilson, un spécialiste indépendant de la liberté académique et co-éditeur du blog « Academe » de l’Association Américaine des Professeurs d’Université, s’oppose aux boycotts comme incompatibles avec la liberté académique. Eu égard à Duthu, a-t-il dit, « il n’y a absolument pas de bonne raison pour laquelle quelqu’un ne pourrait pas être doyen d’un collège pour avoir pris une position personnelle par le passé ou dans le présent, sur une question politique, qu’elle soit pro-boycott ou anti-boycott ».
Duthu n’a jamais « indiqué qu’il maltraiterait jamais qui que ce soit sur la base d’une divergence avec lui sur les boycotts d’Israël et il n’y a pas de preuve qu’il ait mal agi en quoi que ce soit » a ajouté Wilson.
Lisant entre les lignes de la lettre de Duthu, en particulier sa référence au « grand public», Wilson s’est demandé si la capacité de Duthu à lever des fonds avait été en question, puisque les doyens sont de plus en plus responsables de ces actions.
Se doutant que Duthu « a dû réaliser que le fait de soutenir BDS signifie être effectivement sur une liste noire académique des positions dirigeantes de tout grand collège », Wilson a dit qu’il y a désormais plus de certitude que des administrateurs américains craindront d’exprimer à l’avenir toute critique d’Israël et que c’est une menace pour la liberté académique ».
Susannah Heschel, présidente des Études Juives de Dartmouth, a dit au magazine juif The Algemeiner que la plupart de ses collègues de Dartmouth « sont très attristés par cette nouvelle ».
« J’ai été très déçue qu’autant de gens attaquent Bruce au lieu de lui parler » a-t-elle dit.