Un pic dans le harcèlement et les arrestations des organisateurs palestiniens montre que les universités israéliennes sont loin d’être les bastions progressistes qu’elles prétendent être.
Les universités ont traditionnellement été le foyer de la pensée révolutionnaire et les plaques tournantes de la liberté d’expression. Mais sur les campus israéliens, les organisateurs étudiants palestiniens sont confrontés à la violence et au harcèlement, tant de la police que des étudiants.
Depuis plus d’une décennie, à part les deux dernières années à cause de la pandémie de COVID-19, les étudiants palestiniens de l’université de Tel Aviv ont organisé un événement annuel pour la Journée de la Nakba afin de commémorer le nettoyage ethnique de leurs familles. L’événement a lieu Entin Square, qui est juste à l’extérieur de l’entrée principale de l’université et qui accueille toutes sortes de manifestations et d’autres événéments sociaux — dont la plupart se produisent sans beaucoup d’agitation.
Mais comme la suppression par Israël d’expressions de l’identité palestinienne s’est intensifiée récemment des deux côtés de la Ligne verte, les campus universitaires israéliens n’ont pas fait exception.
L’événément de cette année a eu lieu, comme chaque année, le 15 mai. Une heure avant le début prévu, alors que les organisateurs étaient encore en train de s’installer, des activistes de l’organisation sioniste d’extrême-droite Im Tirtzu — qui a des branches dans 20 universités israéliennes et cherche régulièrement à saper tous les efforts palestiniens pour protester ou exprimer leur identité sur le campus — sont arrivés pour affronter l’un des étudiants palestiniens, Rami Khatib. Khatib a échappé à la foule, mais a réalisé rapidement qu’il était aussi pourchassé par des policiers en civil.
Khatib a été arrêté avec deux autres étudiants palestiniens : Nimer Abu Ahmad et Ahmad Jabareen. Ils ont été accusés, entre autres choses, d’obstruction et d’attaques contre des officiers de police, et Khati a été accusé en plus d’attaquer des civils. Khatib et Abu Ahmad ont été relâchés au cours de la nuit ; Jabareen a été détenu pendant trois jours avant d’être relâché par manque de preuve suffisante.
Les étudiants ont rapporté après leur arrestation qu’ils avaient été maltraités, et ont montré les ecchymoses et les marques de menottes qu’ils avaient subies au cours de leur épreuve. Aucun membre du groupe d’Im Tirtzu n’a été arrêté.
Les trois étudiants palestiniens n’ont pas été autorisés à revenir sur le campus pendant une semaine. Abu Ahmad a fait appel contre la décision et a pu retourner sur le campus, mais les deux autres étudiants ont choisi de ne pas le faire. Des vidéos de l’incident filmées par d’autres étudiants montrent ce qui s’est réellement passé, et prouvent la force excessive utilisée par la police contre des étudiants palestiniens pour s’être seulement trouvés là.
« La police voit seulement un Palestinien »
Les règles tacites pour survivre en tant que Palestinien avec la citoyenneté israélienne ne changent pas sur les campus universitaires. Vous faites profil bas et vous essayez d’atteindre la fin de votre formation avec le moins de heurts possibles. Vous vous habituez aux remarques méprisantes racialement, et ne vous exprimez que si un autre Palestinien est là pour témoigner — et alors vous payez le prix de votre opinion par d’autres remarques méprisantes, des regards furieux, des commentaires à voix basse et au mieux un semestre inconfortable, parce qu’un professeur essaiera de « maintenir la paix » en écartant les discussions importantes qui doivent exister sur un campus.
Les événements qui se sont déroulés Entin Square le 15 mai avant la cérémonie de commémoration de la Nakba sont le résultat d’injustices systématiques accumulées contre les étudiants palestiniens, favorisées par l’attitude « au mieux tolérante » de l’université envers elles, attitude qui laisse les étudiants contraints à se défendre eux-mêmes tout en étant néanmoins tenus pour responsables de tout incident qui se produit.
Une des différences les plus importantes entre cette année et les années précédentes était que la police, qui est d’habitude présente à une certaine distance de Entin Square, était autorisée sur la place elle-même. Parce que celle-ci est techniquement en dehors du campus, l’université ne revendique pas de responsabilité sur elle. Cependant, toute personne qui a l’intention de l’utiliser pour un événement doit se coordonner étroitement avec la sécurité du campus de l’université — comme m’a expliqué Ahmad, un membre du collectif étudiant Jaffra à Tel Aviv qui était impliqué dans l’organisation de l’événement.
Rizeq Salman, un étudiant en droit qui a aidé à organiser la commémoration de la Nakba sur le campus pendant cinq ans, a remarqué que l’entrée de la police sur la place, au lieu de la sécurité du campus, a complètement changé la dynamique de l’événement. Alors que la sécurité du campus connait les étudiants et les organisateurs, dit-il, la police se moque de qui vous êtes — elle voit seulement un Palestinien.
Les années précédentes, la police avait même rejoint les manifestants Im Tirtzu en hurlant des insultes et des injures aux étudiants palestiniens. Contrairement aux employés de l’université, tels que le personnel de sécurité du campus, qui ont une obligation d’impartialité envers leurs clients payants, la police est protégée par le système de justice partial d’Israël.
Adi Mansour, avocat au Centre juridique Adalah pour les droits de la minorité arabe en Israël et ancien organisateur de l’événement commémoratif de la Nakba à l’université de Tel Aviv, a confirmé que la police serait d’habitude restée en dehors de la place pendant tous les événements étudiants. Cependant, cette année, la police est venue en masse, y compris avec des agents en civils. Ils avaient aussi mis des barrières métalliques qui étaient supposés protéger les étudiants, mais ont au contraire provoqué plus de conflit en forçant les étudiants palestiniens à passer au milieu de la foule d’Im Tirtzu pour accéder à la commémoration.
Harcelés par d’autrs étudiants
Le lendemain de l’événement commémorant la Nakba, les provocations contre les étudiants palestiniens ont continué. Des étudiants israéliens en droit ont partagé les profils sur les réseaux sociaux d’Aleen Nassra, une étudiante de première année co-organisatrice de l’évenement, et l’ont harcelée sur Instagram, la bombardant de malédictions et lui disant de « dégager ». Sur Twitter, un utilisateur a commencé à informer ses followers en temps direct de tous les mouvements de Nassra et a appelé à ce qu’elle soit déportée.
Khatib a reçu un traitement similaire de la part d’Im Tirtzu : des étudiants ont distribué des prospectus dans tout le campus après son arrestation, avec le nom et la photo de Khatib, ainsi que les mots : « Ensemble nous mettrons fin aux crimes de haine contre les étudiants juifs. » Il y a eu aussi des posts sur lui dans les réseaux sociaux et la campagne cherchant à le faire renvoyer de l’université de Tel Aviv est encore en cours sur la page d’accueil du site web d’Im Tirtzu.
La nuit du 17 mai, deux jours après l’événement commémoratif de la Nakba, le harcèlement des étudiants palestiniens par les extrêmistes sionistes a dépassé la sphère numérique. Après que la sécurité du campus a fermé les grilles et est partie pour la nuit, un groupe d’Israéliens d’extrême-droite est arrivé sur Entin Square, en chantant « Mort aux Arabes ».
Ils sont allés à la fois aux grilles de l’université et à la résidence universitaire des étudiants, criant aux étudiants palestiniens de sortir ; l’un d’eux a menacé : « Nous allons vous tuer ». Quand un étudiant a demandé à l’un des officiers de police qui était encore présent sur le campus s’il avait entendu la foule chanter « Mort aux Arabes », il a dit qu’il n’avait pas fait attention.
Les étudiants palestiniens n’ont eu aucune garantie de protection cette nuit-là. Face à la menace réelle de la violence d’extrême-droite, la sécurité de l’université n’était pas en service, la police a négligé de faire son travail, les étudiants n’avaient qu’eux-mêmes et leurs caméras.
Malgré les menaces contre elle en ligne, Nassra a pris le risque d’aller voir ce qui se passait, parce que « sans documentation, vous n’avez rien. Ils peuvent simplement mentir autant qu’ils veulent ». Khatib, que la police avait interdit de campus pendant une semaine après son arrestation, n’a pas pris le même risque que Nassra. « La nuit où ils sont venus dans la résidence universitaire, j’étais hors de la grille et ils sont passés à côté de moi », s’est-il souvenu. « Je n’avais pas peur parce qu’il y avait d’autres personnes là, mais je n’ai pas pris de risque, j’ai rabattu mon chapeau et je suis rentré directement chez moi. »
« Progressiste, pluraliste et tolérante »
Les étudiants palestiniens d’autres universités israéliennes ont subi des menaces similaires dans les semaines passées — aussi bien d’autres étudiants que des ministres du gouvernement. Après l’organisation d’un événement pour la Journée de la Nakba par des Palestiniens, à l’université Ben Gourion dans le Néguev, le ministre des Finances Avigdor Liberman a menacé de couper le budget de l’université pour avoir permis que l’événement ait lieu.
Parallèlement, à l’Académie Bezalel des arts et du design, à Jérusalem, un groupe d’étudiants juifs israéliens a été filmé en train de harceler verbalement un étudiant palestinien sur le campus, l’accusant de soutenir le terrorisme. Ayant reçu peu de soutien de l’administration de l’école, les étudiants palestiniens de Bezalel ont déposé plainte contre le harceleur.
Dans une lettre envoyée aux étudiants à la suite des incidents dans son université le mois dernier, le président de l’université de Tel Aviv, Ariel Porat, a cité la violence lors de l’événement du 15 mai comme venant « des deux côtés de la barrière politique », a renoncé à toute responsabilité dans les événements qui se sont produits Entin Square parce que c’était sous contrôle policier et a crédité la police de la dispersion des extrêmistes le 17 mai.
« Nous sommes fiers que l’université de Tel Aviv soit progressiste, pluraliste et tolérante », a-t-il continué. « La signification de cela est que tout étudiant, toute étudiante, a droit à exprimer ses opinions librement, à condition qu’il ou elle ne traverse pas la ligne entre des expressions permises et celles de la haine et de la provocation. »
Abu Ahmad voit cette tentative pour distribuer le blame aux « deux côtés » comme rien moins qu’une équivoque. « Nous avions un message, nous avions quelque chose à dire et leur message était que nous mentons », a dit Abu Ahmad. « Nous avons accueilli trois étudiants qui venaient parler de leurs familles déplacées, en trois langues différentes, pendant qu’ils jouaient des chants d’Eyal Golan [pour essayer de nous noyer] ».
Plus encore, pour les étudiants qui ont vécu ces événements en direct, ce n’était certainement pas une preuve de leur possibilité de s’exprimer « sans peur ». Alors qu’ils commémoraient le massacre et le déplacement de leur peuple il y a 74 ans lors de l’événement de la Journée de la Nakba, les étudiants palestiniens ont été déstabilisés, menacés et laissés sans protection. Et après l’émeute de la nuit, Nassara a réalisé à quel point elle était en fait effrayée : « Si quelque chose devait m’arriver, il n’ y a aucune garantie que la police ne m’ignore pas, simplement, et dise qu’ils n’ont rien vu, comme ils ont fait cette nuit-là. »