Sans eau ni électricité provenant d’Israël, les Gazaouis risquent la déshydratation et la maladie

Même en “période ordinaire” 90% de l’eau du robinet à Gaza est non potable, et la situation s’aggrave pendant la guerre

Les proches de mon amie M. ont décidé de ne pas fuir vers le sud, mais de rester chez elle dans le quartier de Tel al-Hawa, à Gaza City. Cette famille n’a nulle part où aller dans le sud, personne à y retrouver, m’a dit M.

De plus, il est difficile de partir avec une mère âgée et un fils handicapé en fauteuil roulant, et de vivre avec eux dans une des écoles gérées par l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine) transformées en abris pour des centaines de milliers de personnes.

Selon les estimations de l’ONU,  plus d’un million de personnes ont été arrachées à leur maison et ont fui vers la partie sud de la Bande en raison des bombardements directs, suivis par l’annonce de l’armée israélienne leur enjoignant d’évacuer les lieux. Mais il y a encore un nombre inconnu de familles qui, comme la famille de M., ont décidé de ne pas quitter la partie nord de la Bande et de rester chez elles. Certaines sont allées chercher un refuge dans les hôpitaux de Gaza, m’a écrit M., la veille de la frappe sur l’hôpital Al Ahli.

“Aujourd’hui nous avons échappé à 30 bombes et missiles largués sur le quartier”, m’a-t-elle dit dans un texto le 16 octobre au matin, poursuivant ainsi : “La Hajja (la mère de M.) dit : ‘Dieu soit loué, nous avons encore une goutte d’eau à boire.’”

Même en “période ordinaire” la Bande de Gaza souffre d’une pénurie d’eau chronique. Environ 90 pour cent de l’eau du robinet n’est pas potable. La majorité des 2,2 millions d’habitants dépendent d’eau dessalée et purifiée dans des installations spéciales, qui est vendue ou distribuée dans des citernes ou à des points d’eau spéciaux dans les villes. Seule une classe particulière et peu nombreuse de personnes a les moyens d’acheter de l’eau minérale en bouteille.

La situation s’aggrave lors des guerres. Aujourd’hui en particulier, outre le danger physique constant lié au pilonnage israélien, outre la terreur, le deuil et la peur ressentie constamment quant au sort des parents et amis, la soif et la conscience de la nécessité de boire le moins possible sont constamment à l’esprit de tous les habitants de la Bande.

L’annonce d’Israël selon laquelle “l’approvisionnement en eau du sud de la Bande a repris”, à la suite d’une demande des États-Unis, environ une semaine après que le ministre de l’Énergie Israel Katz a ordonné que cesse toute fourniture d’électricité, d’eau et de carburant, a donné à tort l’impression qu’un geste significatif avait été fait. Mais ce n’est pas le cas.

La consommation annuelle d’eau à Gaza est d’environ 110 millions de mètres cubes. Selon Gisha, le centre de défense des droits humains qui axe ses efforts sur la situation à Gaza et maintient un contact constant avec les services des eaux dans les localités gazaouies, cela représente environ 85 pour cent de la quantité nécessaire aux besoins humains.

Cette eau provient de trois sources. La première est l’aquifère côtier, dans lequel sont pompés annuellement environ 85 millions de mètres cubes par environ 300 forages et puits. C’est le seul réservoir d’eau de la Bande et il a fait l’objet d’un excès de pompages au fil des décennies en raison de la croissance démographique. Cet aquifère étant contaminé par l’intrusion de l’eau de mer et des eaux usées, son eau n’est pas potable et doit être purifiée. Dans bien des lieux, ce n’est même pas sûr de l’utiliser pour se laver. Seules de très rares personnes ont les moyens de se laver avec de l’eau pure qu’elles ont achetée.

La deuxième source est constituée par trois stations de dessalement de l’eau de mer mises en place grâce à des dons de la communauté internationale et en collaboration avec l’Autorité palestinienne (AP). Elles produisent environ 8 millions de mètres cubes d’eau par an et, en temps normal, approvisionnent environ 300 000 personnes de la Bande.

La troisième source est l’eau provenant de la compagnie nationale des eaux d’Israël Mekorot. L’AP la paie (au moyen d’une déduction automatique sur les taxes douanières qu’Israël prélève sur les marchandises importées destinées aux territoires palestiniens). Il y a environ deux ans, la quantité achetée était de 15 millions de mètres cubes par an et, selon Gisha, à la veille de la guerre la quantité a augmenté jusqu’à environ 18 millions de mètres cubes d’eau par an.

Mais l’utilisation de ces trois sources d’eau dépend d’un approvisionnement régulier en électricité et en carburant stocké afin de faire fonctionner ces générateurs. Donc, même en temps « normal », l’approvisionnement en eau est irrégulier et n’a pas un caractère quotidien, parce que l’approvisionnement en électricité, lui non plus, n’est pas suffisant pour répondre aux besoins dans la Bande. Israël vend à la Bande 120 mégawatts d’électricité par jour.

Cet approvisionnement a été interrompu sur ordre de Katz dès le début de la guerre. La centrale électrique locale, qui dépend du carburant, produit 60 mégawatts de plus quotidiennement et a cessé de fonctionner à la fin de la semaine dernière. Le carburant utilisé par les propriétaires de grands générateurs à l’échelle d’un quartier, qui fournissaient de l’électricité pendant plusieurs heures par jour, est épuisé. (Le besoin quotidien total de la Bande de Gaza s’élève à environ 500 mégawatts).

Les trois installations de dessalement de l’eau de mer ont elles aussi cessé de fonctionner, faute de carburant et d’électricité – la dernière, c’était dimanche dernier, selon le rapport de l’ONU. Plusieurs installations privées ou publiques de purification de l’eau ont peut-être encore une réserve de carburant diesel pour leurs générateurs, mais ce stock sera épuisé d’ici quelques jours ou heures.

Pour les camions qui livrent l’eau purifiée encore disponible, il devient plus difficile d’atteindre les quartiers d’habitation parce que les routes sont sous les bombes. Selon un reportage de l’agence de presse AP, en l’absence d’électricité, la plupart des secteurs n’ont pas d’eau courante, et l’eau qui sort goutte à goutte du robinet pendant une trentaine de minutes par jour est une eau saumâtre, contaminée, impropre à la consommation. Les gens continuent à acheter de l’eau aux stations municipales qui en fournissent, mais il y en a de moins en moins. Les bouteilles d’eau purifiée dans les magasins encore ouverts deviennent rares.

Les Nations Unies ont confirmé que Mekorot avait recommencé à acheminer de l’eau jusqu’à la station de Khan Yunis dans le sud de la Bande. Gisha indique ne pas savoir de quelle quantité d’eau il s’agit, et il n’y a pas moyen de savoir, sur cette quantité limitée, ce qui parvient effectivement aux habitants, en l’absence d’électricité et de carburant. Ces constatations étant faites avant d’examiner les dégâts infligés aux infrastructures hydrauliques du fait des bombardements.

Comme la plupart des habitants de la partie nord de la Bande affluent dans le sud de toutes les façons possibles, la quantité d’eau se trouvant dans l’infrastructure locale, ou stockée par les familles avant la guerre dans des citernes sur le toit ou des bidons dans la maison, doit servir à deux fois plus de gens. Dans les écoles et les bâtiments publics où s’entassent des centaines de personnes chassées du nord, le problème est beaucoup plus grave.

En raison du manque d’eau courante et de la situation d’entassement dans tous les bâtiments, privés ou publics, remplis de réfugiés, les gens s’efforcent d’utiliser les toilettes le moins possible. C’est aussi une raison pour moins boire.

Les habitants disent qu’ils essaient de boire environ un demi-litre d’eau par jour. Les gens prennent au maximum une douche par semaine. Dans les bâtiments publics il est d’ailleurs impossible de prendre une douche. En l’absence d’eau purifiée en quantité suffisante, les hôpitaux sont forcés de nettoyer les plaies avec de l’eau saumâtre et polluée (quand il y en a).

Les installations de traitement des eaux usées vont bientôt cesser de fonctionner, si ce n’est pas déjà fait, et les quantités d’eaux usées qui vont s’accumuler, créer des lacs dans la Bande et couler jusqu’à la mer accroîtront le risque de maladies et d’épidémies. C’est pourquoi Philippe Lazzarini, Commissaire général de l’UNRWA, a qualifié la crise actuelle de l’eau dans la Bande de Gaza de question de vie ou de mort. Au début de cette semaine, il a lancé une mise en garde : si le carburant et l’eau n’arrivent pas rapidement dans la Bande, “des personnes commenceront à mourir de déshydratation sévère.”