Je ne vais pas écrire de critiques d’une série d’expositions qui vont avoir lieu cette année dans le cadre d’une « Saison France Israël »… J’invite tous les critiques d’art à refuser d’écrire sur ces manifestations.
Je suis peut-être le critique d’art français ayant le plus écrit sur les artistes contemporains israéliens (juifs) : Micha Ullman, Yael Bartana, Sigalit Landau, Michal Rovner, Ori Gersht, Avner Katz, Guy Ben-Ner, Dani Karavan, Moshe Gershuni, Miri Segal, Omer Fast, Aïm Deüelle Lüski, Miki Kratsman (dont j’ai même présenté le travail lors d’une conférence en 2012 au Musée d’Art Moderne d’Alger), mais aussi des artistes un peu moins connus (Joseph Dadoune, Pavel Wolberg, Guli Silberstein, Nurith Aviv, Lili Almog, Haim Maor, Shuka Glotman, Gal Weinstein, Yaron Leshem, Igael Shemtov, Tami Notsani, Maya Zack, …) et bien d’autres, à l’occasion d’expositions ici ou là-bas. Je témoigne beaucoup d’intérêt, et beaucoup de respect pour cette scène artistique, ce qui ne m’empêche pas de garder (comme toujours) un oeil critique, en particulier en démontant certains mythes (ici aussi), et de m’intéresser aussi à la scène artistique palestinienne, de Mona Hatoum à Ahlam Shibli et Taysir Batniji, et à celle du Golan occupé.
Mais je ne vais pas écrire de critiques d’une série d’expositions qui vont avoir lieu cette année dans le cadre d’une « Saison France Israël » (qui, outre les arts plastiques, comprend aussi des manifestations musicales, théâtrales, chorégraphiques, etc.). Cette « Saison » va être inaugurée le 5 juin, Emmanuel Macron invitant (pour la troisième fois en un an) Netanyahou à Paris pour l’occasion. Sous couvert d’événements culturels, cette « Saison » est une manifestation de propagande de la part du gouvernement de l’état d’Israël, tentant par tous les moyens (« greenwashing » écologique, « pinkwashing » homophile, « techwashing » de la « start-up nation », etc.) de faire oublier sa nature violente, belliqueuse et coloniale, et espérant que quelques manifestations culturelles effaceront dans l’esprit des Français l’évidence que ce gouvernement d’extrême-droite refuse toute solution autre que la colonisation. Au lendemain des tueries de Gaza, l’inauguration de cette « Saison » est une infâmie dont se rendent coupables nos gouvernants, les institutions culturelles et les artistes qui y participent.
De ce fait, je ne rendrai compte d’aucune des manifestations artistiques qui vont se dérouler en France dans le cadre de cette « Saison » dans les lieux suivants : Musée de la Chasse et de la Nature, Centre Pompidou, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Frac Provence Cöte d’Azur (Pascal Neveux récidive..), Fondation Vasarely et quelques autres institutions en PACA (la seule région à avoir accepté de s’enrôler sous cette bannière). Il est regrettable que ces institutions officielles n’aient pas la moindre conscience que leur participation à cette « Saison » sert avant tout de propagande pour le gouvernement d’extrême-droite d’un état criminel. Elles vont se justifier en disant « nous ne faisons pas de politique », « nous montrons aussi des artistes arabes / palestiniens ». Or participer à cette « Saison » est un acte politique, et montrer des artistes arabes n’est en rien une justification : on ne peut mettre sur le même plan oppresseur et opprimé, colonisateur et colonisé.
Je dois avouer une certaine ambiguïté sur la question du boycott culturel, d’autant plus que certains des artistes montrés à Paris (Roee Rosen, Ron Amir) ont, je crois, une position politique plutôt opposée à celle de leurs gouvernants. Je pense avoir amplement démontré que je ne boycotte pas les artistes israéliens, mais j’ai jugé que, comme cet effort concerté utilise l’art à des fins propagandistes, il devait être boycotté. J’irai peut-être voir certaines de ces expositions, mais je n’écrirai pas.
J’invite tous les critiques d’art à refuser d’écrire sur ces manifestations. Et s’ils sont contraints de le faire, qu’au moins ils remettent cette « Saison » dans son contexte, celui d’un effort de propagande visant à dissimuler des crimes.
Par ailleurs, cette « Saison » a aussi un volet en Israël, où trois artistes plasticiens de la scène française vont exposer : Christian Boltanski, Tatiana Trouvé et Loris Gréaud. A l’heure où de nombreux artistes du monde entier refusent de se rendre en Israël pour protester contre la politique de colonisation et les tueries de Gaza, ces trois-là n’ont pas le courage et la dignité d’une Natalie Portman, dernière en date à avoir refusé d’être instrumentalisée par cette propagande. Christian Boltanski, que j’ai contacté, m’a répondu que son exposition Lifetime (qui vient d’ouvrir) était une exposition itinérante (Shanghaï, Tokyo, ..) programmée longtemps à l’avance et que c’était un hasard qu’elle soit présentée à Jérusalem au moment de cette « Saison » (il a aussi utilisé l’argument classique « j’ai aussi des projets avec des Palestiniens »); en somme, il a accepté d’être instrumentalisé au service de cette propagande, même s’il n’a pas été moteur. Tatiana Trouvé, dont l’exposition commence le 7 juin, n’a pas daigné me répondre. Quant à Loris Gréaud (au Musée de Tel-Aviv en octobre), contacté le 23 mai, il a promis de me répondre, et je citerai sa réponse ici quand il l’aura fait.
Autant je pense que le fait d’écrire à Macron ne sert pas à grand’chose (mais voici quelques artistes français qui l’ont fait, et quelques Israéliens) et écrire aux musées non plus, autant on peut espérer que des hommes et femmes respectables comme Boltanski, Trouvé et Gréaud, ayant montré en d’autres occasions qu’ils étaient porteurs de valeurs humaines de dignité et de justice, puissent être sensibles à une opinion publique leur demandant de ne pas participer à cet effort honteux de propagande, et se resaississent
J’invite donc tous les amateurs d’art à leur écrire pour leur demander d’annuler leur participation. Je ne peux vous donner leurs adresses mail personnelles, mais ils sont joignables via Facebook, leur galerie, ou leur site, respectivement.