Qu’est ce qui se passera lorsque l’holocauste n’empêchera plus le monde de voir Israël tel qu’il est ?

Pour quiconque voulait bien voir, la vérité était déjà parfaitement claire en 1955 : « Ils traitent les Arabes, ceux qui sont encore là, d’une manière qui, en elle-même suffirait à rassembler le monde contre Israël » écrivait Hannah Arendt en 1955.

Mais c’était en 1955, à peine une décennie après l’holocauste – notre grande catastrophe et en même temps l’enveloppe protectrice du sionisme. Donc, non, ce qu’Arendt a vu à Jérusalem à l’époque ne suffisait pas à rassembler le monde contre Israël.

Près de 70 ans ont passé depuis. Pendant ce temps, Israël est devenu addict à la fois à son régime de suprématie juive sur les Palestiniens et à la capacité à exploiter la mémoire de l’holocauste de façon que les crimes qu’il commet contre eux ne rassemblent pas le monde contre lui.

Le premier ministre Benjamin Netanyahou n’invente rien : pas les crimes et pas l’exploitation de l’holocauste pour faire taire la conscience du monde. Mais cela fait presque une génération qu’il est premier ministre. Pendant cette période, Israël, sous sa direction, a fait un autre grand pas vers un avenir dans lequel le peuple palestinien sera effacé de la scène historique, c’est certain si la scène en question est la Palestine, la patrie historique.

Tour cela a non seulement été effectué progressivement : un dounam après un autre et une chèvre après une autre, un avant-poste après un autre et une ferme après une autre – mais il a finalement été déclaré publiquement, à partir de la loi fondamentale de 2018, Israël État Nation du Peuple Juif et des principes directeurs du gouvernement actuel, que « (le) peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la terre d’Israël ». Et en vérité, le consensus sur ces points est bien plus large et plus considérable que le soutien à Netanyahou lui-même. Après tout, qui en Israël n’a pas aimé le geste brillant, à la veille du 7 octobre, de normalisation avec l’Arabie Saoudite conçu pour graver dans la conscience des Palestiniens le fait qu’ils sont un peuple vaincu ?

Mais les Palestiniens, ce peuple entêté, n’ont pas quitté la scène. D’une certaine manière, durant toutes ces années et l’oppression et les colonies et les pogromes en Cisjordanie ; et les « tournées » de conflit avec Gaza et la violence de l’armée et l’absence de reddition de comptes et l’expropriation de terres à Jérusalem, dans le Néguev et dans la Vallée du Jourdain, effectivement chaque fois qu’un Palestinien essaie de s’accrocher à sa terre, après toutes ces années et beaucoup de sang et de crimes, la vieille astuce de la hasbara israélienne a commencé à perdre de son mordant, car la vérité est que non, toute personne qui voit les Palestiniens comme des êtres humains ayant des droits n’est pas antisémite.

Pendant ce temps est venue la guerre à Gaza et ses destructions d’ampleur biblique, que nous avons menée sur ce territoire et sur les dizaines de milliers de Palestiniens qui sont morts. Il y a eu tant de sang et de destructions que la question de savoir s’il s’agit d’un génocide a commencé à être sérieusement discutée à la Cour Internationale de Justice de La Haye.

Dans les mots d’Arendt, ce que nous faisons aux Palestiniens – ceux qui sont toujours à Gaza – ne rassemble toujours pas le monde contre Israël. Mais le monde se permet déjà d’y penser haut et fort.

Tout cela ne nous amène pas à repenser la manière dont nous « traitons les Arabes ». Au contraire, nous essayons une fois de plus de prendre un nouveau souffle de vie dans le ballon usagé de la hasbara. Si, en 2019, Netanyahou a déclaré que l’enquête de la Cour Pénale Internationale (CPI) était un « décret antisémite » (ce qui n’a pas arrêté l’enquête) et si, en 2021 il a affirmé que c’était « du pur antisémitisme » (et cela n’a pas arrêté l’enquête), alors il y a une semaine il a commencé à crier à un « crime de haine antisémite ».

Netanyahou, comme d’habitude, intègre quelques mots de vérité entre deux mensonges. Dans son discours à la veille du Jour du Souvenir au mémorial de l’holocauste Yad Vachem, lorsqu’il a décrit la CPI comme un organe « établi en réponse à l’holocauste et à d’autres horreurs », pour garantir le « Plus jamais ça », c’était vrai. Mais, avec un culot exceptionnel (chutzpah), si l’on tient compte du lieu et du moment, tout ce qu’a dit Netanyahou autour de cette déclaration était mensonge, en particulier lorsqu’il a affirmé que si un mandat d’arrêt était lancé contre lui, « cette mesure serait une tache indélébile sur l’idée même de la justice et du droit international ».

En vérité, la tache sur les fondements du droit international, c’est le fait que même après toutes ces années d’enquête, pour ce que nous en savons, il doit toujours y avoir un mandat d’arrêt contre Netanyahou et d’autres criminels de guerre. Et ce, en dépit du fait que depuis des décennies Israël perpétue, en pleine lumière, des crimes contre les Palestiniens, des crimes qui sont une politique gouvernementale, des crimes qui sont approuvés par la Haute Cour de Justice, qui sont protégés par l’opinion des procureurs généraux et blanchis par les avocats généraux de l’armée – bien que tout cela soit manifeste et connu, rapporté et publié, personne n’en est tenu responsable, ni en Israël, ni ailleurs, du moins jusqu’à présent.

Nous approchons du moment, et peut-être y sommes-nous déjà, où le souvenir de l’holocauste n’empêchera pas le monde de voir Israël tel qu’il est. Le moment où les crimes historiques commis contre notre people cesseront d’être notre Dôme d’acier qui nous protège d’être tenus responsables des crimes que nous commettons présentement contre la nation avec laquelle nous partageons la patrie historique.

Même si le moment est repoussé, il est temps qu’il arrive. Israël sera sans l’holocauste. Son image devra désormais être protégée par deux des allumeurs de flambeaux de la prestigieuse cérémonie nationale du Jour de l’Indépendance au mont Herzl, le génie arabe israélien de la hasbara Yoseph Haddad et la créatrice de contenu Ella Travels. Allons !

Peut-être ferions-nous mieux d’ouvrir les yeux et d’adopter une attitude différente à l’égard des Palestiniens en les traitant comme des êtres humains égaux. C’est certainement une leçon bien meilleure de l’holocauste. Arendt approuverait certainement.

  • Cet article a été initialement publié en hébreu le 11 mai, une semaine et demie avant que le procureur de la CPI n’annonce le 20 mai ses demandes de mandat d’arrêt dans le cadre de la situation de l’État de Palestine.