Quand la CIJ parle d’un seul et même « territoire palestinien occupé »

La Cour internationale de justice insiste sur l’unité fondamentale de l’ensemble des territoires palestiniens occupés par Israël, qu’il s’agisse de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza.

La paix peut parfois se jouer au Moyen-Orient sur un article, voire sur un singulier plutôt qu’un pluriel. L’Etat d’Israël, qui s’était établi en 1948 sur 77 % du territoire de la Palestine (jusque-là sous mandat britannique), s’empare en 1967 des 23 % restants, soit Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Cette guerre des Six-Jours permet aussi à l’Etat hébreu d’occuper la péninsule égyptienne du Sinaï et le plateau syrien du Golan. De laborieuses tractations au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) conduisent à l’adoption de la résolution 242, qui proclame « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre ».

Mais les deux versions du texte, française et anglaise, pourtant de même valeur juridique, divergent quant à l’obligation d’un « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit », français, ou « de territoires occupés » (« from territories occupied »), en anglais. C’est finalement la seule version anglaise qui s’impose, du fait de la prééminence des Etats-Unis au Moyen-Orient.

L’enjeu d’un article ou d’un singulier

L’omission d’un simple article va avoir des conséquences considérables, puisqu’elle justifiera le retrait partiel et négocié de la part d’Israël, sous l’égide de Washington, « de territoires occupés », en lieu et place de l’exigence de l’évacuation de tous les territoires conquis par les armes. C’est le fameux principe de « la terre contre la paix » dont découlent les traités de paix signés par Israël avec l’Egypte, en 1979, puis avec la Jordanie, quinze ans plus tard. En revanche, les accords israélo-palestiniens sont conclus, de 1993 à 1995, sur la base de la reconnaissance d’Israël par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), mais sans qu’Israël s’engage en retour à évacuer les territoires palestiniens occupés en 1967.

Les gouvernements israéliens successifs se sont, au contraire, employés à saper toute affirmation de souveraineté palestinienne, se contentant de déléguer des pouvoirs limités à l’Autorité palestinienne (AP) établie au fil des retraits progressifs et partiels de l’armée israélienne. Israël a pu consolider sa domination par une gestion différenciée « des » territoires palestiniens : Jérusalem-Est a été annexée de fait dès 1967, officiellement en 1980; l’AP n’est parvenue à gérer qu’une partie de la Cisjordanie, où la colonisation israélienne s’est poursuivie, puis intensifiée ; la bande de Gaza, évacuée unilatéralement en 2005, a été placée sous blocus deux ans plus tard, en réaction à sa prise de contrôle par le Hamas.

La Cour internationale de justice de La Haye, saisie en 2022 par l’Assemblée générale de l’ONU, a rendu, en juillet, un avis consultatif qui, malgré son absence de caractère contraignant, devra servir de référence à toute relance du processus de paix au Moyen-Orient. Non seulement la CIJ déclare « illicite » l’occupation israélienne, mais elle considère qu’il n’y a qu’un seul et même « territoire palestinien occupé », indépendamment des statuts différents qu’a pu y imposer Israël depuis 1967. Le renversement de perspective qu’implique l’emploi, par la plus haute instance du droit international, du singulier, au lieu du pluriel d’usage, est particulièrement lourd de sens à Gaza.

Une bande de Gaza toujours « occupée »

C’est sur l’intégralité de ce territoire palestinien occupé que doit, selon la CIJ, s’exercer le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Un tel droit est et demeure imprescriptible, car ne sauraient l’altérer ni les multiples faits accomplis d’Israël, à commencer par l’annexion de Jérusalem-Est et la colonisation de la Cisjordanie, ni la durée exceptionnelle de cette occupation. La CIJ ajoute que « les préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne sauraient non plus l’emporter sur l’interdiction du principe de l’acquisition du territoire par la force », principe cardinal du droit international.

Gaza, partie intégrante du territoire palestinien occupé, demeurait largement sous le « contrôle effectif » d’Israël, même après le retrait de 2005, puisque l’Etat hébreu « continuait d’exercer certaines prérogatives essentielles sur la bande de Gaza, notamment le contrôle des frontières » et « le contrôle militaire de la zone tampon ». La CIJ précise que « cela est encore plus vrai depuis le 7 octobre 2023 », avec la réoccupation directe d’un quart de la superficie de l’enclave palestinienne, soumise dans son ensemble aux frappes et aux restrictions israéliennes.

La CIJ rappelle dès lors solennellement qu’Israël est dans l’obligation, à Gaza comme dans le reste du territoire palestinien occupé, d’appliquer les conventions de Genève de 1949 sur le droit de la guerre, et tout spécialement la quatrième de ces conventions sur la protection des civils en temps de guerre. Cette convention définit « les pouvoirs et les devoirs » de la « puissance occupante », qui est « tenue d’administrer le territoire dans l’intérêt de la population locale ». Mais la CIJ rappelle aussi que « tous les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaître » la « présence illicite de l’Etat d’Israël dans le territoire palestinien occupé » et de ne pas lui « prêter aide ou assistance » à cet égard.

Un mois plus tard, Israël n’a toujours pas adressé de réaction officielle à la CIJ, Benyamin Nétanyahou s’étant contenté de qualifier un tel avis d’ « absurde ».