Un projet de loi, qui rendrait criminel le fait de documenter les heurts entre soldats et Palestiniens, viole le droit à la liberté d’expression, encourage la censure et laisse entendre qu’Israël a quelque chose à cacher
Editorial de Haaretz
Le 24 mars 2016, à la fin d’une attaque terroriste au couteau à Hébron, le sergent Elor Azaria a tiré dans la tête d’un assaillant palestinien qui gisait déjà au sol, blessé et neutralisé, et l’a tué. Un photographe de B’Tselem a documenté l’incident et en a publié une vidéo. La diffusion de la vidéo a fait que l’incident était impossible à ignorer. Azaria a été traduit en cour martiale. Un jury de trois juges l’a jugé à l’unanimité coupable d’homicide et de conduite inappropriée pour un sous-officier.
Mais pour le Comité ministériel de la législation, le délit sérieux était de filmer et de distribuer la vidéo, et les vrais criminels n’étaient pas les soldats comme Azaria —qui ignorent les règles d’engagement de l’armée, qui tirent et tuent sans justification et couvrent de honte l’armée et l’état. Pour le comité, les vrais criminels étaient au contraire les groupes des droits humains comme B’Tselem, Mahsom Watch et Breaking the Silence, qui documentent les actions de ces soldats. Ce sont ces organisations et leurs activités qui sont les cibles d’un projet de loi que le comité doit approuver dimanche, et qui rendrait criminel le fait de documenter les heurts entre soldats et Palestiniens et de distribuer cette documentation avec « l’intention de ‘saper la motivation des soldats et des résidents israéliens’ ».
De plus, les contrevenants des groupes de droits humains qui documentent les crimes des soldats ne doivent pas recevoir les peines légères, au plus, que les cours militaires imposent aux soldats qui se comportent mal. Le comité ministériel, avec le soutien de Kulanu, vise pour eux une peine de prison de cinq ans au cas où leur action serait destinée à porter atteinte à « la motivation des soldats » et de dix ans si l’objectif est de compromettre la sécurité nationale. Alors qu’Azaria a été condamné à 18 mois de prison et en a fait seulement neuf, après que le chef du personnel de l’armée a commué sa peine, les auteurs du nouveau projet de loi pensent que la punition pour filmer, enregistrer ou rendre publiques les actions de l’armée doit excéder celle de quelqu’un qui a abattu un assaillant blessé et complètement neutralisé.
« Dans de nombreux cas, les organisations passent des jours entiers près des soldats, attendant impatiemment une action qui puisse être documentée d’une manière biaisée et tendancieuse, de manière à jeter l’opprobre sur les soldats des Forces de défense israéliennes », déclare le préambule du projet de loi. Les membres du comité semblent avoir perdu leurs repères : ce sont les soldats qui transgressent qui discréditent l’armée, pas ceux qui documentent ces transgressions. Et la « motivation des soldats et des résidents israéliens » est minée par le fait que depuis 50 ans, Israël a gouverné un autre peuple par la force militaire.
Qui détermine ce qui constitue une « atteinte à la motivation des soldats et des résidents israéliens » ? La formulation laisse une large place à l’interprétation et rend possible d’arrêter des militants des droits humains, des journalistes, et en fait n’importe qui avec un smartphone. Ce projet de loi viole le droit à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, encourage la censure et présente Israël en général et l’armée en particulier comme ayant quelque chose à cacher. Il ne faut pas permettre à ce projet de loi de devenir une loi.