Princeton a vanté le Prix MacArthur d’une professeure tout en enquêtant sur son plaidoyer pro-palestinien

L’Université de Princeton célébrait publiquement la sélection d’une professeure pour un prix prestigieux en même temps qu’elle enquêtait sur son plaidoyer pro-palestinien, dit la professeure.

Mardi, Princeton a annoncé que Ruha Benjamin, professeure d’Études Afro-Américaines, recevait un « prix du génie » de 800.000 $ de la part de la Fondation John D. et Catherine T. MacArthur. A peu près 20 minutes après que l’université ait publié l’annonce de sa célébration, Benjamin a partagé sur X que les responsables de l’université avaient omis le passage sur une enquête que le collège avait ouverte sur son implication en avril dans une manifestation pro-palestinienne. Le fil du texte comprend également le passage qu’elle a donné à l’université.

Les membres du personnel du Bureau des Communications de Princeton ont contacté Benjamin le 24 septembre pour lui demander si elle pouvait répondre à quelques questions sur le prix pour un article qui l’annonçait. En réponse à une question sur sa réaction, Benjamin a écrit sur la façon dont la nouvelle est sortie au milieu d’une enquête sur son soutien à des manifestants étudiants pro-palestiniens.

« J’ai reçu l’appel de la Fondation MacArthur le lendemain d’un appel tendu avec les responsables de l’Université de Princeton qui enquêtaient sur mon soutien aux étudiants qui manifestaient contre le génocide à Gaza », a-t-elle posté sur X. « En réalité, la date de l’annonce du prix [1er octobre] coïncide également avec la date de comparution des étudiants qui s’étaient engagés dans un sit-in sur le campus au printemps dernier. Je projette de ‘célébrer’ le prix en me présentant au tribunal. »

Benjamin a inclus une note dans ses réponses à l’université, reconnaissant que la réponse à la question sur sa réaction les mettait dans une « position délicate ». Elle a écrit que, si le personnel de l’université ne pouvait pas inclure son récit sur la réception de la nouvelle, elle ne souhaitait pas être citée du tout dans l’annonce, d’après les mails obtenus par The Chronicle. Elle a également mentionné cela dans ses posts sur X.

Princeton n’a inclus aucune de ses citations. Cependant, l’annonce cite une déclaration de la Fondation MacArthur louant le militantisme de Benjamin : « En intégrant une analyse critique de l’innovation tout en étant attentive au l’évolution potentielle vers un changement positif, Benjamin démontre l’importance de l’imagination et du militantisme de terrain dans l’élaboration d’une politique sociale et de pratiques culturelles. »

Benjamin, défenseure des manifestants étudiants pro-palestiniens à Princeton, dit qu’elle a été interrogée par les responsables de l’université le 27 août sur sa participation à l’occupation étudiante du Hall Clio du campus en avril. La manifestation a abouti à 13 arrestations. Benjamin y était en tant qu’une des quatre observateurs enseignants à la demande des étudiants, a-t-elle dit.

Princeton a refusé de faire des commentaires sur l’enquête ou sur sa décision d’omettre ses citations dans l’annonce du prix.

Le fil sur X de Benjamin a été vu par plus d’un million d’usagers et a reçu environ 10.000 likes. Elle a parlé de l’incident mercredi au Chronicle et de la façon dont il témoigne de l’attitude des administrateurs envers la liberté d’expression. L’interview suivante a été éditée pour des raisons de longueur et de clarté.

Qu’est-ce qui vous a poussée à soumettre vos réponses sachant que demander que vos mentions de Gaza et de l’enquête de Princeton pourrait aboutir à ce que vos commentaires soient complètement omis dans l’annonce ?

J’ai l’habitude que les institutions où je travaille, ou dans lesquelles j’ai étudié, soient très heureuses de célébrer mes succès ou ceux des autres, mais ne veuille pas nous entendre quand il s’agit de critiques ou d’inquiétudes, en l’occurrence ici sur les investissements de l’université.

Je ne voulais pas qu’on utilise mes mots dans une histoire qui était purement festive au moment où je subissais une enquête pour mon soutien aux étudiants.

J’ai senti que je les aiderais à être hypocrites dans leur célébration d’un membre du corps enseignant parce qu’il s’agit non seulement d’un projecteur sur un membre individuel du corps enseignant, mais ce genre de récompense donne de l’éclat à l’institution. Je ne voulais pas être amenée à leur donner de l’éclat quand, en même temps, ils essayaient de me ternir et de ternir mon éclat dans les coulisses.

Je voulais leur donner un choix et, en leur donnant ce choix, je savais quelle réponse ils allaient lui donner.

Avez-vous eu des hésitations ou des doutes sur la suite à donner à vos réponses ?

Pas du tout. Vous savez, depuis notre retour cet automne, il y a eu tant d’échanges sur notre campus et les autres campus sur la liberté d’expression.

L’une des premières choses qu’a faite notre président fut de tenir une énorme assemblée des étudiants de première année pour célébrer l’engagement de Princeton envers la liberté d’expression. Je traversais simplement avant-hier le Centre du Premier Campus et il y avait sur les tables ces signes faisant la promotion d’un nouveau site web sur la liberté d’expression et de manifestation.

Je pense que l’université et les responsables de l’université devraient se sentir troublés ou inquiets de prononcer tant de belles paroles sur la liberté d’expression, mais tout ce qui met l’institution sous une lumière défavorable semble être leur limite, et je n’ai donc eu aucune hésitation.

Quelle a été votre réaction à l’omission de vos réponses ?

Ils m’ont envoyé la transcription de l’histoire à l’avance pour que je vérifie les faits, et donc je savais déjà.

Pourquoi avez-vous décidé de partager vos réponses sur les réseaux sociaux ?

Je veux, pour moi et pour les autres, être capable à la fois de célébrer, mais aussi de rester consciente du contexte dans lequel nous travaillons et vivons juste maintenant.

Il s’agit tout d’abord d’ouvrir le rideau sur ce que nos institutions représentent vraiment. Que font-elles réellement ? C’était pour moi un moyen de stimuler cette réflexion qui dépasse mon cas sur ce que beaucoup d’entre nous vivent dans l’enseignement supérieur, qui est une hypocrisie profondément ancrée dans l’élaboration de l’image de marque de nos institutions et, en coulisses, le maintien de l’ordre, la surveillance, l’intimidation et l’effet paralysant sur la liberté d’expression dont nous faisons l’expérience au quotidien.

Avez-vous reçu une réponse de Princeton à la suite de vos posts sur les réseaux sociaux au sujet de l’annonce ?

Non, et je ne pense pas en recevoir. Je pense que leur approche, c’est « Sans commentaire, espérons que ça disparaisse. »

A quoi a ressemblé votre expérience en tant que membre du corps enseignant de Princeton qui a fait preuve d’un soutien public aux Palestiniens ?

Je pense que, par rapport à nombre de mes collègues, à la fois à Princeton et ailleurs, j’ai été relativement protégée contre les réactions et les réponses les plus agressives pour des raisons que je ne fais que supposer.

Par exemple, en situation d’observatrice, parmi les quatre professeurs, je suis la plus ancienne et je n’ai donc pas à subir d’autres évaluations de promotion de la part de l’administration. Cela me place dans une situation légèrement plus sûre, et me fait ressentir davantage de responsabilité pour utiliser cette position afin de dire des choses que les autres ne peuvent pas dire.

Vous savez que, malgré tous les discours sur la liberté d’expression que font nos institutions, de nombreuses personnes, qui ont des sympathies envers le mouvement étudiant, qui sont opposées au génocide, qui croient au caractère sacré de la vie de chacun, sentent qu’elles ne peuvent même pas agir sur ces valeurs fondamentales parce que cela aura des répercussions. C’est entre autres ce qui me motive pour être un petit trouble-fête.

Quels sont les principaux enseignements que vous tirez de cette situation ?

Je pense que le tableau général, au-delà de mon petit échange avec le Bureau des Communications de Princeton, c’est que ce que nous voyons sur l’ensemble de nos campus, c’est l’armement et l’édulcoration de l’anti-discrimination, du droit et de la rhétorique.

Nous voyons en particulier les accusations d’antisémitisme comme une extension du Titre VI et l’utilisation de la loi anti-discrimination contre les étudiants, contre les professeurs et le personnel. Et l’ironie de tout cela, c’est que cette utilisation se porte, semble-t-il, de façon disproportionnée contre les professeurs noirs et autres professeurs marginalisés. [Tous les professeurs observateurs du sit-in dans le Hall Clio étaient des professeurs de couleur, a fait remarquer plus tard Benjamin.]

[Le Collège] Muhlenberg, qui a renvoyé la Professeure [Maura] Finkelstein, m’a invitée l’année dernière à faire une présentation de l’histoire des Noirs, et maintenant ils punissent un membre de leur corps professoral qui reprend les idées dont je parlais et agit selon ces idées. Accueillir une présentation de prestige, mais ensuite interdire ces mots et ces idées, c’est le genre d’hypocrisie qui, je pense, est une caractéristique du moment. Mais elle est aussi combattue et subvertie, assez largement, par les étudiants militants qui manifestent à travers nos campus.

* Photo : Ruha Benjamin Fondation John D. et Catherine T. MacArthur