Pourquoi nous jouissons de la liberté d’expression sur les campus universitaires et pourquoi je ne répondrai plus jamais à la Stanford Review

Comme tous ceux qui ont soigneusement lu la constitution des États Unis le savent, la liberté de parole est une liberté négative – elle nous protège de toute tentative de….

Comme tous ceux qui ont soigneusement lu la constitution des États Unis le savent, la liberté de parole est une liberté négative – elle nous protège de toute tentative de la part de notre gouvernement d’étouffer l’expression de nos idées. La croyance sous-jacente est que la libre circulation et le débat d’idées sont essentiels à une démocratie. Si nous n’avons pas le pouvoir de donner forme activement à notre gouvernement mais plutôt de le laisser nous formater, nous ne vivons plus en démocratie. En dehors de cela, des communautés, des organisations et des associations de toute sorte sont libres de déterminer leur propre version d’une parole libre (si elles décident de le faire) et de demander à leurs membres de s’y conformer.

Dans une université privée telle que Stanford, nous sommes donc en mesure de décider de nos règles en ce qui concerne la liberté de parole selon ce que nous définissons comme les valeurs de notre communauté. Étudiants et enseignants, de même que les administrateurs devraient jouer un rôle actif en ce sens. Il y a dans les Normes Fondamentales des éléments pertinents pour cette discussion. Mais les universités, qu’elles soient privées ou publiques, comme les États démocratiques, sont fondées sur une croyance sous-jacente.

Les universités croient que la libre circulation et le débat d’idées sont tous deux essentiels à leurs objectifs éducatifs, d’enseignement et de recherche. Nous ne pouvons pas nous développer intellectuellement si nous nous contentons de répéter encore et encore des choses que nous croyons être vraies. Nos idées ont besoin d’être vigoureusement vérifiées – c’est seulement comme cela qu’elles peuvent être rejetées parce que nous réalisons qu’elles sont erronées, ou bien améliorées parce que nous voyons leurs faiblesses, ou être encore plus ardemment défendues parce que nous sommes assurés de leur véracité.

Mais qu’en est-il de la relation entre les valeurs et affirmations d’États démocratiques et celles des institutions d’éducation progressiste ? La liberté de parole et la liberté académique sont-elles synchrones ou entièrement séparées ? La réponse est : un peu des deux.

Liberté de parole / liberté académique?

Comme l’a avancé le Professeur Joan Scott, une distinction est à faire entre la liberté de parole et la liberté académique, en ce sens que « la liberté de parole ne fait pas de distinction sur la qualité, ce que fait la liberté académique ».

Je suis l’un des organisateurs du Réseau Antifasciste du Campus. Un de nos postulats de base est que de nombreux, sinon tous les intervenants dont les idéologies sont alignées sur l’extrême droite – ce qui inclut les idéologies de la suprématie blanche, de la normalité hétéro, de la misogynie, de l’antisémitisme, de l’islamophobie et d’autres formes d’intolérance – utilisent des groupes du campus pour les inviter à parler dans leurs universités et non pour débattre, vérifier, faire avancer la connaissance, ce qui est le but de l’éducation, mais pour avoir la légitimité – et dans le cas des institutions comme Stanford, Berkeley, Middlebury et d’autres, l’éclat de ces institutions – de déteindre sur eux. Ils veulent être pris au sérieux comme des gens qui ont un certain savoir qu’il est important de connaître. Mais leur désir fondamental est qu’on leur prête attention. Le débat sur la liberté de parole est pour eux un simple prétexte à se faire de la publicité. Ils se soucient peu ou pas du tout de la liberté de parole – d’où leurs campagnes pour publier en ligne des infos privées, traquer, harceler et faire taire les critiques, les affublant d’étiquettes trompeuses et mensongères. Vous en verrez quelques exemples dans la seconde moitié de cet essai.

La ligne de fond est que, autorisés ou non à parler, ils font les gros titres et vendent des livres. Ceux de l’extrême droite n’ont absolument aucun intérêt pour le débat sur la qualité et la substance de leurs idées – ils souhaitent avoir une vitrine pour leur fanatisme sur les campus universitaires simplement pour s’approprier une réputation d’intellectuels. Ils trompent la liberté de parole en prétendant précisément s’engager dans un concours d’idées, quand leur intention réelle n’est qu’un théâtre académique. Malheureusement, les administrateurs du campus tombent dans ce piège encore et toujours.

Le discours de l’extrême droite est truffé de concessions sournoises (« tous les Mexicains ne sont pas des criminels, certains peuvent être de très bonnes personnes »), mais leur message sectaire qui, après tout, est fondé sur le fait de parler des gens comme d’objets en les mettant dans des catégories construites qui les rendent inhumains et constamment moins importants, est clair comme de l’eau de roche. Et parce qu’ils rejettent les valeurs de base sur lesquelles est fondée la liberté académique, ils n’ont pas à parler ici. Ils sont intentionnellement diviseurs et dévalorisants, et mettent notre communauté en danger à la fois physiquement et sur internet.

Un test décisif de l’étroitesse et du côté prétentieux de pseudo-intellectuels (et j’inclus ici la droite et la gauche) est l’extrémisme de leur rhétorique. Elle n’est pas subtile, nuancée, ouverte à des ajustements, à la correction ni à l’engagement – elle est cassante, grandiloquente, démagogique. Elle parle en termes d’absolus et fait croire que la seule façon de l’emporter dans la discussion est d’être également grossier, simpliste et dogmatique. Il y a là un cycle pernicieux, coûteux pour les universités au plan matériel et spirituel. C’est une mascarade et une tragédie que nous, en tant qu’institution, soyons tombés au bas niveau qu’a notre nation en termes de polarisation et de pure mesquinerie.

Stanford doit sérieusement réévaluer le contexte historique dans lequel nous vivons plutôt que de s’accrocher à la croyance selon laquelle nous passons simplement par une période difficile.

Nous avons un président qui a qualifié d’autres pays de « trous de merde » ; qui a appelé ceux qui exercent de façon non-violente leur droit à la liberté de parole « des fils de pute » ; qui a déclaré que les néo-nazis sont de bonnes personnes ; qui a attaqué des juristes en poste comme de « faux juges » ; qui a licencié le directeur du FBI et pardonné un shérif condamné pour outrage criminel ; qui a balayé et évacué des décennies de science ; qui a détruit des individus et des familles par une politique d’immigration inhumaine ; et qui a tellement dérégulé le monde de la finance dans un transfert de ressources publiques fou et terriblement efficace vers la richesse privée, que le prochain crash sera dix fois pire que celui de 2008.

C’est dans ce contexte que je passe maintenant à un article récent que la Revue de Stanford (Stanford Review) a publié sur le sujet de l’antifascisme. Je le fais parce que cet article expose précisément comment l’extrême droite agit et pourquoi ces manoeuvres n’ont pas leur place à Stanford ni dans aucune autre université.

Les perdants sont les faits

Dans le journalisme, il y a une ligne claire entre des textes d’opinion et le compte rendu journalistique. Ces temps-ci, cette ligne a été brouillée et des opinions nous arrivent emballées comme des faits. C’est pourquoi je suis toujours très prudent sur les mots que j’utilise quand je parle à des journalistes et que je vérifie la réputation d’honnêteté de leurs organisations.

J’ai été récemment approché par la Stanford Review pour un commentaire sur le Réseau Antifasciste du Campus. Au départ, j’étais hésitant. Leur dernier texte me mentionnant avait le titre inoubliable suivant : « Le professeur le plus radical de Stanford frappe un nouveau coup ». Bien que je sache parfaitement que la revue me considère comme « le professeur le plus radical de Stanford » (une étiquette, dont je cois fermement qu’elle dévalorise la réputation de Stanford bien plus que la mienne), j’ai discuté avec la journaliste et répondu à ses questions. Je l’ai même félicitée pour l’intelligence d’une de ses questions. Nous avons été polis, professionnels.

Imaginez ma surprise quand j’ai cliqué sur le lien qu’elle m’avait envoyé et trouvé encore un autre titre sensationnel, du niveau de n’importe quel tabloïd de bas étage qu’on pourrait trouver au fond d’un caddy de supermarché : « Des voyous antifa trouvent leur champion et leader en la personne d’un professeur de Stanford ». Comme n’importe quel bon texte de propagande de droite, cet article est maintenant dans le Jihad Watch de Robert Spencer, précédé et suivi de quelques phrases de Spencer lui-même pour qu’il en ait la signature. Mais pour les reporters de la revue, c’est une situation gagnant-gagnant – ils ont un sujet qui leur est propre pour la consommation locale et ils sont repris dans une édition nationale.

L’article est classique de la presse à sensation, définie par notre Département d’État comme « un style d’article de presse où le côté sensationnel l’emporte sur les faits ». Permettez moi de donner un exemple qui illustre comment la revue a produit ce qu’elle a senti qui pouvait être un article « sensationnel », un piège à clics en ignorant délibérément les faits – « antifa » est un terme qui renvoie communément à des agitateurs qui pratiquent l’intervention physique contre des fascistes. Mais de là à penser qu’il y a un mouvement « antifa » organisé, c’est ridicule, puisque c’est essentiellement composé d’anarchistes. Les agitateurs « antifa » annoncent largement leur action et en sont fiers. Donc l’idée que des « voyous antifa » pourraient désigner un leader, encore moins un professeur, encore moins un professeur de Stanford comme leader est risible – les antifa s’affichent anti autoritaires et anti hiérarchiques.

Cette erreur élémentaire, auto imposée se répète :

“Quand nous avons demandé à Palumbo-Liu s’il acceptait la violence au nom de l’antifascisme, il a dit « endommager des bâtiments et attaquer des gens physiquement…n’est pas ce que nous défendons ». Pour autant, la violence a toujours été une méthode cruciale du mouvement antifa : le public américain associe généralement le mouvement antifasciste à des attaquants armés de gourdins et vêtus de noir. Alors que la tactique du « Réseau Antifa du Campus » peut ne pas être violente, pourquoi mentionnerait-il le nom d’une organisation connue pour sa violence ? C’est une tache sur la réputation de l’Université de Stanford qu’un professeur comme Palumbo-Liu soit un dirigeant d’un mouvement dont l’esprit et les tactiques représentent l’opposé de ce que les universités devraient donner en exemple : l’échange civil des idées.”

La revue demande si je désavoue la violence, alors pourquoi nommer mon organisation d’après le mouvement antifa? Eh bien, le simple fait, certes attesté même par la revue dans ce même article, est que volontairement, nous ne nous sommes pas nommés nous-mêmes le « Réseau Antifa du Campus » parce que nous comprenons la distinction entre ces deux mots, que « antifa » n’est pas la même chose que « antifasciste ».

Nous nous sommes appelés le « Réseau Antifascite du Campus » pour revendiquer une alliance avec les antifascistes qui ont combattu Hitler, Mussolini, Franco et autres dirigeants fascistes. Mais cela ne convenait pas aux objectifs de la Revue, alors que faire ? Altérer les faits – lorsqu’il leur convient de dire que nous sommes le réseau Antifasciste du Campus, ils utilisent ce terme ; quand il leur convient de dire que nous sommes le réseau Antifa du Campus, ils vont dire que c’est notre nom. En journalisme, on s’en tient aux faits, mais la Revue semble réticente à le faire quand c’est le plus nécessaire.

Encore un autre exemple : « Palumbo-Liu et Mullen peuvent hacher les mots tant qu’ils le veulent : leur organisation est indéniablement une section d’un groupe terroriste qui défend les mêmes types de résistance violente qui ont muselé la liberté de parole dans le pays. (Le Réseau Antifasciste du Campus) vise à « organiser des manifestations larges, unifiées contre les fascistes quand ils viennent sur les campus ».

Voilà où est le problème – le seul fait de dire que c’est indéniable ne vaut pas vérité. Un journaliste responsable citerait une source qui valide son affirmation.

Mais voici le point majeur : le fait qu’ils aient eu le culot de lancer cette assertion sans substance et dangereuse montre que la revue n’est en fait pas du tout intéressée à convaincre qui que ce soit. Ce n’est pas une idée à débattre – c’est « indéniable » et l’idée ne sera pas vérifiée sérieusement à la lumière des faits. Et c’est exactement comme cela que ceux de l’extrême droite agissent quand ils viennent sur le campus – ils avancent des affirmations ridicules, misérablement étayées (si tant est qu’elles le soient), lancées à leur base déjà convaincue. Ces événements sur le campus ne sont décidément pas là pour ouvrir les esprits et vérifier des connaissances – ils sont faits pour recruter des esprits déjà formatés dans la campagne de justification de la haine et des préjugés.

Où est le véritable danger

Deux points à évoquer pour conclure.

Lorsque la Revue écrit : « Voulons-nous vraiment la présence de ce type de violence à Stanford en en donnant les moyens à un professeur qui en fait la promotion ? », elle met dans ma bouche des mots que je n’ai pas prononcés, ignore les faits avec arrogance, s’engage dans un verdict Maccarthiste de culpabilité par association, et attribue des motivations et des comportements sans aucune preuve de toute façon ; ensuite des mensonges et distorsions apparaissent sur Jihad Watch, ils ouvrent la voie à des courriers haineux, des appels téléphoniques, des menaces et du harcèlement dont non seulement moi mais ma famille sommes l’objet désormais. Je suis sûr que la Revue pense simplement que c’et à cause de ce que j’ai fait en m’exprimant contre le fascisme. Mais ce n’est pas le cas – c’est à cause de gens qui réagissent maintenant sur internet au portrait trompeur et trompeusement dangereux qu’ils ont fabriqué de moi. Et c’est précisément l’objectif principal de l’extrême droite. Et c’est précisément voulu pour nous faire réfléchir à deux fois avant de parler. De cette manière, ils montrent leur véritable mépris pour la liberté de parole.

Finalement, ils disent que nous ne pouvons pas réellement attaquer le fascisme parce que nous ne le définissons pas assez clairement : « la définition de « fasciste » par Palumbo-Liu est remarquablement large » déclare la Revue.

Je vais laisser le soin de répondre à un des plus légendaire antifascistes – quelqu’un qui a presque été tué par une balle fasciste reçue dans le cou : George Orwell. Ses mots semblent particulièrement utiles ici :

“Stuart Chase et d’autres sont presque arrivés à prétendre que tous les mots abstraits sont dépourvus de sens et ils ont utilisé cette posture comme prétexte pour plaider en faveur d’une sorte de quiétisme politique. Puisque vous ne savez pas ce qu’est le fascisme, comment pouvez-vous lutter contre ? Il ne faut pas avaler de telles absurdités, mais plutôt reconnaître que le chaos politique actuel est lié à la dégradation du langage”.

Si nous, qui sommes une communauté universitaire, devons accéder à une meilleure compréhension de ce sujet complexe et urgent, nous ne pouvons pas être complaisants lorsque le langage est utilisé avec autant de négligence et de sournoiserie que dans la Revue. C’est vraiment une honte, si l’on revient au début du processus : la Revue et moi aurions pu avoir un réel dialogue, nous aurions pu faire avancer notre apprentissage en nous écoutant mutuellement et en introduisant d’autres personnes dans la discussion. C’est ce que je pensais que nous avions commencé à faire, la Revue et moi. Le fait que la Revue n’a vu là qu’une opportunité de frapper encore un coup avec cet article, prédit bien ce qui va arriver si nous laissons l’extrême droite nous « apprendre » quelque chose sur la campus et « engager » le dialogue. Aussi, ironiquement, je remercie la Revue de nous donner à tous un aperçu de vos meilleurs sentiments. Juste : ne m’appelez plus.

Cordialement,

David Palumbo-Liu

Professeur de la chaire Louise Hewlett Nixon, Professeur de littérature comparée et, avec la permission du vice-président de l’Association Américaine de littérature comparée