Pour Israël, les accords d’Oslo ont été une réussite remarquable

La création d’enclaves palestiniennes est un compromis israélien interne : faire disparaître les Palestiniens sans les expulser. Entre-temps, Israël recueille d’importants bénéfices, notamment en transformant la Cisjordanie et Gaza en laboratoire….

La création d’enclaves palestiniennes est un compromis israélien interne : faire disparaître les Palestiniens sans les expulser. Entre-temps, Israël recueille d’importants bénéfices, notamment en transformant la Cisjordanie et Gaza en laboratoire humain

Une femme colon tend des friandises à un soldat israélien en mai, à un checkpoint près de l’ancien avant-poste de Homesh en Cisjordanie. Photo : Menahem Kahana/AFP

Dans les accords d’Oslo, signés il y a 30 ans, Israël a convenu de réduire progressivement l’occupation, tandis que les Palestiniens étaient contraints de cesser instantanément toute résistance. Chaque côté interprétait la réduction à sa convenance.

Les représentants palestiniens comprenaient ou espéraient qu’en échange du don avant la fin de 1999 d’une partie de la Palestine historique atteignant 78 pour cent (sans renoncer aux liens personnels-familiaux, culturels, affectifs ou historiques avec cette zone), le contrôle militaire israélien sur les territoires occupés en 1967 prendrait fin, et les Palestiniens établiraient un État dans ce lieu.

Les Israéliens ont conclu qu’ils avaient gagné un sous-traitant chargé d’effectuer des arrestations et de traquer les opposants (en évitant la Cour suprême d’Israël et le groupe de défense des droits humains B’Tselem, comme le déclara Yitzhak Rabin, Premier ministre de l’époque). Les négociateurs israéliens veillèrent à ce que le texte écrit détaille les étapes du processus sans mentionner le moindre objectif concret (un État, un territoire et des frontières fixes).

Israël étant la partie la plus forte, son interprétation l’emporta et détermina la nature et la morphologie éternelles de la “réduction” : l’israélisation d’une portion de territoire aussi vaste que possible et, à l’intérieur de ce territoire, des poches d’autonomie palestinienne – séparées, affaiblies et télécommandées, Israël ayant la possibilité de les isoler les unes des autres. On peut faire remonter à 1993 les racines des accords d’Abraham (2020).

Yitzhak Rabin, Bill Clinton et Yasir Arafat lors de la signature des accords d’Oslo à la Maison-Blanche en septembre 1993. Photo : AP

Grâce à Oslo, Israël s’est déchargé de la responsabilité de l’occupant à l’égard des populations et de leur bien-être. Et il a conservé les aspects avantageux : le contrôle des terres, de l’eau, des longueurs d’onde téléphoniques, de l’espace maritime et aérien, de la liberté de circulation, de l’économie et des frontières (extérieures ou délimitant chaque poche de territoire).

D’une part, Israël collecte d’énormes profits provenant de tous ces leviers de commande, d’autre part, il supervise un vaste laboratoire humain où il développe et teste ses exportations les plus profitables : armes, munitions et technologies de contrôle et de surveillance. Les Palestiniens vivant dans ce labo – dépourvus d’autorité et dont les ressources se réduisent – se voient investis de la responsabilité de gérer leurs problèmes et leurs affaires civiles.

Les Palestiniens restent une réserve de main-d’œuvre bon marché pour les Israéliens. Une part importante des coûts de l’occupation sont transférés aux Palestiniens sous forme de biens et de services qu’ils sont forcés d’acheter mais ne peuvent développer parce qu’Israël contrôle l’essentiel du territoire, les frontières et l’économie dans son ensemble.

Mentionnons aussi les taxes élevées sur les transactions financières (telles que le transfert des montants douaniers au Trésor palestinien) ; les prélèvements et amendes dont le fruit va à des instances israéliennes, police, ports, Administration civile, armée ; les taxes au passage de la frontière avec la Jordanie ; les droits d’enregistrement sur les transactions notamment immobilières dans la zone C de Cisjordanie ; le marché noir sur les permis de travail ; la rétention des montants douaniers sous différents prétextes ; l’emploi de retraités du Shin Bet (service de sécurité) et de l’armée en tant que consultants pouvant ouvrir des portes dans la bureaucratie de l’occupation ; et les intérêts qui s’accumulent sur tous les paiements différés. C’est peut-être de la petite monnaie en comparaison avec le produit intérieur brut d’Israël, mais c’est une fortune pour les Palestiniens, surtout à l’échelle de leur PIB et de leurs salaires.

Les pays occidentaux ont dispensé Israël de ses obligations financières en tant que puissance occupante et ont financé une bonne part des dépenses qui incombent aux enclaves palestiniennes dans le domaine de la gestion, de la maintenance et d’un développement limité. L’explication est la suivante : c’est nécessaire pour établir un État palestinien. Mais, au fil des années, les pays occidentaux en ont eu assez de financer l’occupation et ses problèmes, aussi punissent-ils les Palestiniens en resserrant les cordons de la bourse et mettent-ils en garde contre des catastrophes humanitaires, tout en signant de généreux accords économiques, scientifiques et militaires avec Israël.

Est-il possible de voir les poches palestiniennes comme un accident provenant d’une carence des Palestiniens, qui n’auraient pas assumé leur part des accords ? Ou ces poches ont-elles été mises au point en secret au cours des négociations, camouflées par des mots suaves tels que paix, prospérité, nouveau Singapour ?

Ont-elles été conçues après l’assassinat de Rabin en 1995, sous les mandats de Premier ministre de Shimon Peres, Benjamin Netanyahou, puis Ehud Barak, qui ont duré jusqu’en 2001 ? Si c’est le cas, à quel niveau ? Au cabinet du Premier ministre ? Ou s’est-il agi de l’État profond, de l’armée, du coordinateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires, du Conseil de Yesha représentant les colonies ?

Les historiens diront que les réponses complètes seront fournies seulement lorsque tous les documents appropriés seront rendus publics. Pour moi, il est moins important de savoir si des consignes explicites ont été formulées par écrit, et qui les a données. Nous savons très bien que les mesures politiques sont prises même sans être ordonnées.

Mes documents ne sont pas des déclarations et des sourires, mais des faits sur le terrain, sur lesquels, dans certains cas, j’ai fait des reportages au moment où ils survenaient. Ainsi, dès les premiers mois du processus, pendant le gouvernement Rabin, je suis arrivée à la conclusion qu’Israël ne cherchait pas la paix mais une victoire décisive sur les Palestiniens.

Aujourd’hui je m’exprimerais comme suit : les enclaves palestiniennes sont issues d’un projet intentionnel des Israéliens, dont les idées, les instruments et les institutions étaient déjà ancrées dans la période antérieure à l’État. Les enclaves palestiniennes sont un compromis israélien interne entre le désir de voir les Palestiniens disparaître de la carte et la constatation que, pour des raisons géopolitiques, nous ne pouvons revenir en 1948 ; c’est-à-dire que nous ne pouvons pas expulser de nouveau les Palestiniens. La solution consiste à les absorber dans des enclaves. Les désaccords entre les différents camps sionistes sont simplement liés au nombre d’enclaves et à leur dimension, pas à leur essence.

Ci-dessous, je présente quelques faits qui sont apparus clairement en 1994 et en 1997 et qui indiquent une programmation précoce des enclaves palestiniennes.

Couper Gaza de la Cisjordanie

Cette étape a été la première dans la fragmentation de la totalité du territoire occupé en 1967 et de sa population, en contradiction flagrante avec les accords, lesquels affirment que les deux parties considèrent la Bande de Gaza et la Cisjordanie comme une unité territoriale. Le sectionnement repose sur quatre éléments :

1. Limitation de la liberté de circulation. En janvier 1991, le gouvernement a mis en œuvre un régime de permis de circulation (laissez-passer). Jusqu’alors, tous les Palestiniens étaient autorisés à se déplacer librement dans l’ensemble d’Israël et du territoire occupé en 1967, à l’exception de quelques catégories de personnes qui subissaient des restrictions. Depuis lors, la liberté de circulation est refusée à tous les Palestiniens sauf quelques catégories, dont certains membres reçoivent des permis.

2. Interdiction des changements d’adresse de Gaza à la Cisjordanie. Les accords d’Oslo stipulaient que l’Autorité palestinienne (AP) était autorisée à actualiser l’adresse enregistrée dans les documents d’identité d’une personne si elle notifiait ce changement à l’Administration civile d’Israël, qui conserve le contrôle des registres de l’état-civil.

En 1996, les fonctionnaires de l’AP ont découvert que l’Administration civile ne leur permettait pas d’actualiser une adresse en passant, par exemple, de Gaza Ville à Ramallah (à la différence, mettons, d’un changement de Naplouse à Ramallah, deux villes de Cisjordanie). Cela a affecté des milliers de Gazaouis qui avaient vécu et travaillé en Cisjordanie pendant des années.

3. Refus d’entrée en Cisjordanie pour des Gazaouis. Je me souviens d’un travailleur du camp de réfugiés de Jabalya que j’ai rencontré en 1995 : il disposait d’un permis journalier de travail à Jérusalem. Au lieu de rentrer à Gaza tous les soirs, il avait demandé à passer la nuit à Jéricho, en Cisjordanie, dans le ressort de l’AP. Sa demande a été rejetée sous un prétexte insincère – ce déplacement constituerait un voyage entre des territoires occupés en 1967 en traversant des terres israéliennes, il était donc soumis à la libre décision d’Israël.

Des étudiants de Gaza qui étudiaient dans des universités de Cisjordanie trouvèrent un moyen de contourner cette mesure : ils prenaient l’avion de l’Égypte à la Jordanie puis entraient en Cisjordanie par le pont Allenby. Des hommes d’affaires de Gaza prenaient l’avion de l’Égypte à Chypre, puis continuaient jusqu’à l’aéroport Ben-Gourion, avant de gagner la Cisjordanie en voiture. Aux passages des frontières, ces personnes avaient encore le statut de “résidents,” indépendamment de la partie du territoire occupé en 1967 d’où elles venaient.

Mais la bureaucratie zélée découvrit les failles du dispositif et les obtura. Vers 1996 ou 1997, les Gazaouis se virent refuser l’accès à la Cisjordanie par le pont Allenby, et progressivement l’entrée par l’aéroport Ben-Gourion leur fut aussi interdite (les résidents de la Cisjordanie encoururent la même interdiction un peu plus tard). Depuis 2000, Israël n’autorise pas les Gazaouis à étudier dans les universités de Cisjordanie (interdiction qui a été approuvée par la Haute Cour de Justice).

Combinées entre elles, les dispositions ci-dessus ont exclu de facto les Gazaouis de la Cisjordanie. Logiquement, l’étape suivante a été une interdiction israélienne officielle empêchant toute réinstallation de Gazaouis en Cisjordanie.

Les colonies

Les routes ont été planifiées en ayant en tête les besoins des colons, en ne tenant compte ni de la logique géographique et démographique des villes et villages palestiniens ni de leurs besoins. Le tunnel de contournement, construit pendant le mandat de Premier ministre de Rabin, permettait un trajet facile du bloc de colonies de Gush Etzion à Jérusalem. Toujours sous Rabin, les membres du clan Jahalin ont été chassés de chez eux pour laisser place à l’expansion de la colonie de Ma’aleh Adumim.

Après que Baruch Goldstein a massacré 29 musulmans en prière à la Mosquée Ibrahimi à Hébron, en 1994, l’armée a puni les Palestiniens d’Hébron en leur imposant un couvre-feu, tout en élaborant des dispositifs de sécurité pour les colons qui enclenchèrent le processus par lequel le centre-ville se vida de ses habitants palestiniens. Tous ces faits ne sont pas des dérapages ponctuels mais des décisions fondées sur une conception des Palestiniens comme des êtres inférieurs, sinon superflus.

Dans un discours à la Knesset un mois avant son assassinat, Rabin promit qu’il n’y aurait pas de retour aux frontières du 4 juin 1967, que l’entité palestinienne serait moins qu’un État, et qu’une “Jérusalem unie” s’étendrait de Ma’aleh Adumim, à l’est, à Givat Ze’ev, à l’ouest – coupant ainsi en deux la Cisjordanie. Il affirma que l’État d’Israël inclurait Gush Etzion, Efrat, Betar et “d’autres colonies à l’est de la Ligne Verte”, tandis que le bloc de colonies de Gush Katif à Gaza aurait des blocs frères en Cisjordanie.

La Zone C, ou l’israélisation de l’espace

Pendant les négociations précédant la signature des accords Oslo II en 1995, la division artificielle et temporaire de la Cisjordanie en zones A, B, et C a été considérée comme un plan de transition nécessaire pour le redéploiement progressif de l’armée et, en corrélation, l’extension du domaine de compétence de l’AP et de son autorité en matière de maintien de l’ordre. Le processus devait se dérouler d’abord dans les villes, puis dans les villages, et enfin dans le reste du territoire à l’exception des bases de l’armée israélienne et des colonies. La logique sécuritaire du redéploiement progressif de l’armée pouvait se concevoir (pas de dates sacrées, avait dit Rabin), ainsi que l’interruption temporaire du processus si le sous-traitant palestinien chargé des arrestations ne remplissait pas sa fonction.

Mais qu’est-ce que la sécurité et le redéploiement ont à voir avec l’interdiction de la planification et de la construction palestiniennes, avec les entraves apportées au raccordement des communautés palestiniennes aux réseaux d’eau et d’électricité, avec les obstacles qui empêchent les Palestiniens de cultiver leur terre ?

Si les besoins des Palestiniens – pour ne pas mentionner leurs droits en tant que population indigène – étaient entrés en ligne de compte, et pas seulement la sécurité des colons, les négociateurs israéliens n’auraient pas créé un lien aussi étroit entre la “sécurité” et l’interdiction de la construction et du développement palestiniens. Ces interdictions ont dessiné les limites des enclaves palestiniennes à un stade très précoce, ce qui prouve, comme toujours, que la sécurité était un prétexte commode pour s’emparer du territoire palestinien.

Par ailleurs, des compagnies de bus palestiniennes bénéficiant d’une licence depuis l’époque du mandat britannique et de la souveraineté jordanienne découvrirent que les permis les autorisant à traverser Jérusalem (Est) avaient été annulés. Les checkpoints en nombre croissant rendirent difficile aux Palestiniens d’atteindre les institutions sanitaires, religieuses et d’enseignement dans la capitale. Les chantiers de construction pour les Israéliens juifs continuèrent, tandis que les interdictions de construire imposées aux Palestiniens restèrent inchangées.

Contrôle de l’état-civil

Les accords d’Oslo contenaient un progrès important pour les Palestiniens : Israël n’avait plus le pouvoir de révoquer le statut de résident de Gaza ou de la Cisjordanie (à l’exclusion de Jérusalem-Est) de Palestiniens en raison d’un séjour prolongé à l’étranger. Ce pouvoir était (et reste) assimilable à un transfert forcé de population.

Cependant, pendant les négociations relatives à Oslo II – entre janvier et octobre 1994 – les employés de l’Administration civile et du ministère de l’Intérieur ont estimé urgent de révoquer la résidence de 25 645 Palestiniens nés en Cisjordanie (presque un cinquième du nombre de révocations effectuées depuis 1967, un nombre similaire de Palestiniens nés à Gaza ayant été eux aussi expulsés). Israël a également conservé le droit de déterminer combien de nouveaux résidents seraient ajoutés au registre d’état-civil palestinien (en dehors des enfants nouveau-nés et mineurs des résidents enregistrés). En d’autres termes, Israël détermine (comme il le faisait avant 1994) si les conjoints de Palestiniens non-résidents recevront le statut de résident, quand ils ou elles le recevront, et lesquels le recevront.

Les accords d’Oslo promettaient que les parties examineraient le processus de restitution du statut de résident à des Palestiniens de naissance privés de ce statut entre 1967 et 1994. Les négociateurs palestiniens ont vu ce point sous un angle technique. Mais les tergiversations d’Israël, et les négociations humiliantes permettant de faire traîner cette question jusqu’à ce qu’elle soit mise de côté, ont prouvé que le contrôle de la démographie palestinienne n’a jamais été technique. Il avait un caractère crucial pour les négociateurs israéliens, qui savaient que le territoire qu’ils attribuaient aux Palestiniens était limité dès le départ. “Israël veut gagner la paix comme il a gagné les guerres”, ont noté très tôt des négociateurs palestiniens.

Pour toutes ces raisons, je conclus que les accords d’Oslo, bien loin de constituer un échec, ont connu une réussite hors pair.