Lettre à la direction des Verts – un juge constitutionnel bavarois exige des « modifications essentielles » du projet par crainte de la censure d’État
Un projet de résolution au Bundestag [le Parlement allemand] de la coalition tricolore [SPD, FPD, Verts et 90, actuellement majoritaire] et de l’Union [CDU-CSU] « pour la protection de la vie juive » prévoit aussi de sérieuses restrictions à la liberté artistique et scientifique. Le journal Die Zeit l’a rapporté la semaine passée. L’ancien député vert Jerzy Montag s’oppose au projet dans une lettre à la direction des Verts, que « nd » a pu voir. On y lit : « Je vous le demande aussi instamment qu’il est possible, battez-vous pour des modifications essentielles ou désengagez-vous du projet ».
Montag agit ainsi, explique-t-il dans sa lettre aux représentantes du groupe des Verts au Parlement, Britta Haßelmann et Katharina Dröge, « car le sujet me tient à coeur pour des raisons tant personnelles que politiques ». Sa famille du côté paternel est juive. Cet ancien homme politique a perdu sa grand-mère, ses tantes et d’autres membres plus éloignés de sa famille dans l’assassinat de millions de personnes à Auschwitz-Birkenau. Son père n’a survécu au camp de concentration que grâce un concours fortuit de circonstances, explique encore la lettre.
Le projet de proposition que Jerzy Montag essaie d’empêcher, circule depuis la semaine dernière, après avoir fuité hors des cercles parlementaires. À côté de déclarations de solidarité avec les personnes juives et avec l’État d’Israël, il contient des passages sur les subventions d’État pour l’art, la science et la société civile. Les décisions sur les financements devraient désormais être liées à l’examen des opinions des demandeurs — sur la base de la définition controversée de l’antisémitisme par l’IHRA.
Ralf Michaels, juriste et directeur de l’Institut Max-Planck pour le droit privé étranger et international, a déjà critiqué vivement le projet auprès du Zeit : « Une bonne partie de ce que l’Union formule dans sa proposition, aurait bien pu venir de l’AfD [Alliance pour l’Allemagne, le parti d’extrême-droite]. » Selon Michaels, l’obligation de confession qui est envisagée pour les bénéficiaires de subventions n’est « pas du tout légale ».
Avec Jerzy Montag, c’est un autre expert juridique qui exprime ses doutes sérieux sur le projet.
« Pré-censure de l’État par des fonctionnaires »
L’examen des demandes de subvention prévu dans le projet afin de déterminer si elles soutiennent ou reproduisent un narratif antisémite ne contribuera pas au recul de l’antisémitisme, critique Montag dans son texte. « Mais plutôt au harcèlement et à la censure de l’art, de la culture, de la science et de toute expression dans l’espace public. »
Il dit plus loin dans la lettre : « Qui va donc procéder aux examens exigés par vous ? Voulez-vous vraiment introduire des contrôles d’État qui, par anticipation d’activités futures d’artistes, de professionnels de la culture de toutes disciplines, de scientifiques, vérifieront s’ils soutiennent par exemple des narratifs antisémites ? « Cela, selon Montag, ne signifie rien de plus, et rien de moins qu’« une pré-censure d’État par des fonctionnaires », qui n’auraient eux-mêmes aucune idée de l’antisémitisme voire appartiendraient au coeur de notre société où l’antisémitisme quotidien est depuis longtemps installé.
Il fait là allusion à une information du Zeit issue des cercles parlementaires de la CDU et des Verts, selon laquelle l’Office de protection de la Constitution pourrait être chargé de procéder aux dits examens d’opinion. Cela n’est pas explicite dans l’actuel projet de résolution dont le « nd » a eu connaissance.
« Comme on pourrait l’attendre de l’AfD »
Montag critique aussi le fait que la définition de l’antisémitisme par l’IHRA doit servir de base à ces possibles examens : disposer d’un instrument de contrôle de l’antisémitisme de cette sorte serait « tout simplement risible — si ce n’était pas si sérieux », rappelle le juge qui se réfère à l’absence de caractère juridiquement contraignant de la définition de l’IHRA.
Dans cette définition, il est explicitement signalé qu’elle n’est pas prévue pour une application contraignante juridiquement. C’est la raison pour laquelle elle est formulée de manière si vague. C’est entre autre à cause de cela qu’a déjà échoué la tentative du sénateur berlinois de la culture Joe Chialo (CDU) (CDU) de lier l’attribution de subvention à une déclaration contre l’antisémitisme selon la définition de l’IHRA : les problèmes juridiques étaient trop importants.
Dans une évaluation écrite par 13 juristes sur un blog consacré à la Constitution, on lit en outre : « Des expériences faites à partir des contextes dans lesquels la définition de travail de l’IHRA a servi d’instrument de régulation montrent qu’elle a été utilisée pour des restrictions considérables des droits fondamentaux – et très fréquemment aussi contre des juifs qui critiquent la politique de l’actuel gouvernement d’Israël. »
« Le projet de résolution respire la répression et la colère punitive, comme on pourrait s’y attendre plutôt dans une prise de position de l’Union des valeurs [le nouveau parti allemand de droite anti-immigration] ou de l’AfD », continue Montag. Que de telles formulations puissent entrer dans une résolution qui porte la signature du groupe parlementaire des Verts, il ne l’aurait pas cru.
Montag voit aussi de manière critique le plan de changer le droit universitaire de sorte que les étudiants pro-palestiniens puissent être à l’avenir expulsés de leur cursus sur présomption d’antisémitisme, par désinscription forcée. « Ce serait une honte si le groupe parlementaire des Verts appuyait un tel catalogue de demandes ».
Sur Israël : le silence ou « toute la vérité »
Enfin l’ex-député exprime des doutes sur le couplage de la protection des personnes juives et d’assertions sur la protection de l’État d’Israël, couplage qui ressort du projet de résolution. Il y a justement des juifs et des juives d’Allemagne qui s’opposent avec véhémence à l’idée de porter la responsabilité de la politique du gouvernement israélien, avertit Montag. « Prendre cela au sérieux dans un texte sur la protection de la vie juive en Allemagne voudrait dire se taire sur Israël et sur les problèmes au Moyen-Orient. »
Et si l’on voulait cependant parler d’Israël, alors « merci de ne pas évoquer seulement le côté ‘chocolat’, mais aussi la vérité complète ». Et la vérité du point de vue de Montag est par exemple que dans le gouvernement démocratiquement élu d’Israël « opèrent des racistes et des fascistes et aussi des criminels condamnés définitivement ». Que le chef du gouvernement Netanyahou se trouve sous accusation en Israël et que les magistrats de la Cour pénale internationale auraient demandé un mandat d’arrêt international contre lui en raison de forts soupçons de crimes de guerre, accuse Montag.
Montag termine sa lettre par des mots forts : « Oui, je suis horrifié que mon groupe parlementaire des Verts semble être prêt à mettre son nom sous cette résolution. Je vous demande aussi instamment qu’il est possible, luttez pour des modifications essentielles ou désengagez-vous du projet. Et sinon, alors je dis au moins : « Pas en mon nom ».