‘Nous sommes devenus les sous-traitants de l’occupation’ : B’Tselem met fin à son travail avec l’armée israélienne

BETHLEEM (Ma’an) – Après 25 ans de travail sur la responsabilisation en Cisjordanie occupée, l’association israélienne de droits de l’Homme B’Tselem a annoncé mercredi sa décision d’interrompre sa stratégie qui….

BETHLEEM (Ma’an) – Après 25 ans de travail sur la responsabilisation en Cisjordanie occupée, l’association israélienne de droits de l’Homme B’Tselem a annoncé mercredi sa décision d’interrompre sa stratégie qui consiste à demander aux forces israéliennes de rendre des comptes, grâce aux mécanismes internes de l’armée, pour ses crimes contre les Palestiniens.

Les représentants de cette organisation, qui se concentre essentiellement sur la collecte d’informations et de documentation sur les violations israéliennes des droits de l’Homme envers les Palestiniens de Cisjordanie occupée, ont déclaré, dans un point de presse, que leur complicité avec les mécanismes militaires d’Israël était « moralement inacceptable ».

Selon un nouveau rapport émis par l’organisation, l’incapacité des mécanismes militaires israéliens à rendre justice aux victimes palestiniennes a conduit l’organisation à qualifier ses activités de responsabilisation de « machine à blanchiment » pour la poursuite de l’occupation militaire israélienne depuis bientôt 50 ans en Cisjordanie.

« B’Tselem en est arrivée à progressivement réaliser que la façon dont fonctionne le système de respect de la législation militaire l’empêche depuis le tout début de pouvoir rendre justice aux victimes. Toutefois, le simple fait que le système existe sert à faire croire à un semblant de respect de la loi et de la justice », est-il dit dans le rapport.

Le rapport a mis en avant que le vernis de légitimité juridique « a facilité le rejet des critiques sur les injustices de l’occupation, grâce au prétexte présenté par l’armée faisant croire qu’elle considère certains actes comme inacceptables et qui appuie cette déclaration en disant qu’elle est déjà en train d’enquêter sur ces actes ».

En agissant ainsi, l’État arrive non seulement à encourager la perception d’un système honnête et moral de respect de la loi, mais aussi à maintenir l’image de l’armée comme celle d’une armée morale qui prend des mesures contre ces actes », est-il précisé dans le rapport.

Depuis le début, fin 2000, de la deuxième Intifada, sur les 739 plaintes enregistrées par B’Tselem sur des Palestiniens tués, blessés, utilisés comme boucliers humains ou dont les biens ont été endommagés par les forces israéliennes, en gros 70 pour cent ont abouti à une enquête suivie d’aucune action, ou à une enquête jamais ouverte.

Selon le rapport, seuls trois pour cent des cas ont abouti à une accusation contre des soldats.

Lyad Haddad, chargé d’enquête sur le terrain, a dit mardi à Ma’an que les ONG israéliennes et palestiniennes ont travaillé de nombreuses années à créer une « culture » de la responsabilité dans les communautés palestiniennes pleines d’une méfiance profondément enracinée envers les institutions militaires israéliennes, convaincant les Palestiniens de soumettre des plaintes à l’armée israélienne lorsqu’ils étaient confrontés à des violations de leurs droits fondamentaux.

Cependant, l’organisation est devenue complice des violations en renforçant la crédibilité d’un système incapable de fournir des résultats ou tout simulacre de justice aux individus ou à leurs familles, a dit Haddad.

Kareem Jubran, directeur d’enquêtes de terrain à B’Tselem, a dit, lors du point de presse, qu’il avait « honte » de l’engagement de B’Tselem avec l’occupation militaire, ajoutant que ce processus a obligé les victimes à devenir victimes une seconde fois, étant donné que les Palestiniens sont communément maltraités par les enquêteurs militaires alors que leurs dossiers aboutissent rarement à une inculpation ou à de la justice.

« Nous sommes devenus les sous-traitants de l’occupation », a dit Yael Stein, directeur d’enquêtes à B’Tselem, lors de la conférence, ajoutant que le travail de responsabilisation de l’association a servi à « légitimer l’occupation tout entière ».

Cette décision a conduit l’association à redéfinir sa stratégie d’une responsabilité directe à un travail dans « l’arène publique » par le lancement d’une campagne de sensibilisation du public qui puisse « dépouiller le système de sa crédibilité », a dit le directeur exécutif Hagai Elad.

Le désengagement de B’Tselem des mécanismes internes de l’occupation militaire israélienne arrive en plein dans la droitisation croissante du gouvernement et un renouvellement des attaques contre les organisations de droits de l’Homme.

Le ministre d’extrême droite de la Défense nouvellement nommé, Avigdor Lieberman, a accusé B’Tselem, plus tôt cette année, d’être financée par les mêmes groupes que ceux qui financent le Hamas, mouvement palestinien qui dirige le gouvernement de la Bande de Gaza assiégée, que le gouvernement israélien a désigné comme une organisation « terroriste » – tout en parlant de B’Tselem comme de « traîtres » au public israélien.

En décembre, Ayelet Shaked, chef du parti ultranationaliste Notre Maison, a fait pression en faveur d’une loi de soi-disant « transparence » qui obligerait les ONG à révéler leurs sources de financement si plus de 50 pour cent de ces financements provenaient d’entités étrangères, dans un effort pour réprimer les associations qui reçoivent des financements étrangers afin de critiquer Israël.

Des critiques ont dénoncé le projet de loi, qui est passé en première lecture en février à la Knesset, la présidente du parti de gauche Meretz, Zehara Galon, disant que c’était une « continuation de la chasse aux sorcières, de la persécution politique et de la censure des associations de droits de l’Homme et des organisations de gauche qui critiquent la conduite du gouvernement ».

Etant donné que, en Israël, les organisations qui dépendent de financements étrangers ont également tendance à s’opposer à la politique droitière du gouvernement contre les Palestiniens, cette possible législation est largement considérée comme discriminatoire et comme une tentative pour éliminer les associations de droits de l’Homme qui travaillent à mettre fin aux violations des droits de l’Homme pratiquées à grande échelle dans les territoires occupés.

La récente décision de B’Tselem de mettre l’accent sur la sensibilisation du public dans la société israélienne témoigne d’une rupture sans précédent dans les approches israéliennes des droits de l’Homme face aux violations contre les Palestiniens, dans un climat politique où les idées d’extrême droite deviennent de plus en plus dominantes et où on pourrait considérer les attaques concertées contre les associations de droits de l’Homme comme la politique du gouvernement.