Des chercheurs ont analysé des données cartographiques et des photos aériennes pour identifier trois emplacements possibles dans l’ancien village de pêcheurs de Tantura
Une enquête sur un massacre dans un village palestinien détruit, commis par les forces armées israéliennes au cours de la guerre de 1948, dans le contexte de la création d’Israël, a identifié trois charniers possibles au-dessous de ce qui est aujourd’hui une station balnéaire.
Des survivants palestiniens et des historiens ont affirmé depuis longtemps que des hommes qui vivaient à Tantura, village de pêcheurs d’environ 1 500 habitants près d’Haïfa, avaient été exécutés après s’être rendus à la Brigade Alexandroni, et que leurs corps avaient été jetés dans une fosse commune qui serait située sous un secteur devenu le parking de la plage de Dor. Les morts seraient au nombre de 40 à 200, selon les estimations.
Ces dernières années, les données concernant le massacre de Tantura, en nombre croissant, ont suscité d’importantes controverses en Israël, où les atrocités commises par les forces juives en 1948 restent un sujet extrêmement sensible : un documentaire réalisé en Israël sur ce qui s’est passé dans ce village a déclenché de nombreuses réactions lors de sa sortie, l’an dernier.
La nouvelle et vaste enquête menée par l’agence de recherche Forensic Architecture identifie un lieu qui serait, selon elle, un deuxième charnier dans l’ancien village de Tantura, ainsi que deux autres emplacements possibles, cette recherche étant la plus exhaustive qui ait été menée jusqu’à présent.
Forensic Architecture, dont le siège est à Goldsmiths, University of London (Goldsmiths College), a analysé des données cartographiques et des photos aériennes remontant à l’époque du mandat britannique, en croisant ces documents avec des témoignages d’archives ou récemment recueillis auprès de survivants et d’auteurs de ces crimes, et des archives de l’armée israélienne. Les données ont été utilisées pour créer des maquettes en 3D qui déterminent les sites probables des exécutions et des charniers ainsi que les limites de cimetières préexistants, et montrent si des tombes ont pu être exhumées ou supprimées.
Le rapport sur Tantura était une commande d’Adalah, groupe de défense des droits humains géré par des Palestiniens et centré sur les questions juridiques. En s’appuyant sur les résultats, Adalah a présenté mercredi [24 mai] une requête judiciaire sans précédent en Israël au nom de plusieurs familles de Tantura vivant encore dans ce pays, demandant la délimitation des sites.
« Il est difficile de prétendre qu’il n’existe pas de charnier à Tantura. Le droit des familles à visiter ces sites et le droit à une inhumation digne ont visiblement été violés, au regard du droit international comme du droit israélien », affirme Suhad Bishara, directrice juridique d’Adalah.
« En déposant cette requête, notre espoir n’est pas de savoir si les tribunaux Israéliens décident de dire “oui” ou “non”, mais de savoir comment faciliter l’accès », précise Bishara.
Le charnier identifié antérieurement à Tantura aurait, selon la description fournie, été situé en plein champ, près d’un fourré de figuiers de Barbarie et de trois arbres, et on pense aujourd’hui qu’il est au-dessous du parc de stationnement, même si le site n’a fait l’objet ni d’exhumations ni de fouilles.
La deuxième fosse commune, dans un verger proche de l’endroit où se trouvait jadis la place du village, présente des similitudes avec la première, et on pense également qu’elle est aujourd’hui sous le ciment d’un parking. Dans les photos aériennes elles se présentent l’une et l’autre comme des formes allongées et étroites se dessinant sur la terre, d’environ 30 mètres sur 3, orientées selon un axe est-ouest, et à la limite nord d’un champ ouvert.
Un site d’exécution possible serait peut-être une cour située derrière la maison de la famille Haj Yahya. Des ossements humains auraient été trouvés sur le site des années après, amenant les chercheurs à supposer qu’il pourrait y avoir aussi un charnier à cet emplacement.
Adnan Al Yahya, âgé maintenant de 92 ans, en avait 17 lorsque Tantura est tombé aux mains des forces israéliennes. Au fil des années, il a témoigné dans plusieurs publications universitaires ou journalistiques que des soldats les avaient forcés, lui et un ami, à creuser une fosse sur le site et à y jeter des dizaines de corps.
« Je n’oublierai jamais ce jour, ce souvenir est resté très clair. Ce jour-là, j’ai perdu ma foi en Dieu », a dit Haj Yahya au téléphone depuis son logement en Allemagne. “Le monde doit savoir ce qui nous est arrivé à Tantura. »
Le comité des familles de Tantura et Adalah espèrent que l’investigation de Forensic Architecture entraînera d’autres enquêtes sur les évènements de 1948, que les Palestiniens appellent la Nakba, ou catastrophe. Approximativement 700 000 personnes – environ la moitié de la population – ont fui leur maison ou en ont été chassés au cours de la guerre menée dans le contexte de la création de l’État d’Israël, et environ 500 villages ont été détruits.
Forensic Architecture indique que le projet Tantura inaugure une série d’investigations visuelles menées par l’organisation au sujet de massacres qui auraient été commis en lien avec la Nakba.