L’Université de Columbia est de connivence avec l’extrême droite dans ses attaques contre des étudiants

Dans sa volonté de déchaîner la violence de l’État contre des manifestants étudiants, Minouche Shafik s’est révélée être une alliée volontaire d’extrémistes.

Les étudiants se sont assis par terre et ont chanté alors que la police en tenue anti émeute s’approchait d’eux. Finalement, plus de 100 d’entre eux ont été arrêtés ; leur tentes, panneaux de protestation et drapeaux palestiniens ont été ramassés dans des sacs poubelle par la police et jetés plus loin. Une vidéo a montré des agents d’entretien de l’université en train de détruire la nourriture qui avait été offerte au campement, s’assurant qu’elle ne pourrait plus être mangée. D’après les journalistes étudiants de WKCR, station de radio étudiante de l’Université de Columbia, un des manifestants étudiants arrêtés a demandé à la police qu’elle l’autorise à aller dans leur dortoir pour y prendre leurs médicaments, ce qu’elle lui a refusé ; résultat, ils se sont retrouvés en état de choc. Les étudiants arrêtés ont été accusés d’« intrusion » sur le campus alors qu’ils doivent payer plus de 60.000 $ par an pour y être admis.

La veille du jour où son administration a demandé à la police de New York de prendre d’assaut le campus et d’arrêter ses étudiants, Minouche Shafik, présidente de l’Université de Columbia, a témoigné devant le congrès, disant qu’elle voulait que son université procure un environnement sûr et accueillant à tout le monde. Mais Shafik, qui a été appelée à témoigner après avoir manqué l’année dernière une audition où les présidents de Penn et Harvard ont tous les deux été cuisinés sur leur hostilité insuffisante envers les étudiants pro-palestiniens, a semblé désireuse de plaire au comité contrôlé par les Républicains. Les présidents de Penn et Harvard qui avaient témoigné ont chacun perdu son poste peu après ; il est clair que Shafik est entrée dans la salle déterminée à conserver le sien.

Dans ce but, elle n’a que mollement défendu la liberté académique, favorisant au contraire une condamnation sans réserve des manifestants, approuvant la caractérisation erronée et de mauvaise foi des étudiants comme étant antisémites et génocidaires, et les décisions publiques, prises apparemment sur le champ, concernant le personnel, qui ont retiré de leur poste certains professeurs et membres du personnel. L’audition a pris un tour enfiévré, passionné qui a parfois frôlé la bizarrerie pure et simple. Rick Allen, représentant la Géorgie, lui a demandé si elle voulait que l’Université de Columbia soit »maudite par Dieu ». Shafik, prenant évidemment cette perspective au sérieux, a répondu que non.

On peut voir la descente consécutive de la police le lendemain contre les étudiants de Columbia comme une extension de la politique d’apaisement et de respect préventif de la droite Républicaine anti-étudiants, anti-Palestiniens que Shafit a adoptée dans son témoignage. Dans sa guerre contre l’éducation et ses manifestations ostentatoires contre les universités « woke », l’extrême droite est devenue hostile à la liberté académique, aux manifestations pacifiques et à des pans entiers du discours progressiste. Dans sa volonté de déchaîner la violence de l’État contre les manifestants étudiants, Shafik s’est avérée être son alliée volontaire. Il convient d’établir clairement ce qui s’est passé à Columbia : le raid n’était rien de moins que le produit de la collusion entre une administration universitaire et des politiciens de droite pour réprimer des discours politiquement désapprouvés.

Les parlementaires devant lesquels Shafik a témoigné mercredi n’étaient pas tous heureux de l’approche de Columbia. Ilhan Omar, du Minnesota, a largement cuisiné Shafik sur l’approche de son administration devant le discours pro-palestinien sur le campus, faisant remarquer avec inquiétude que plusieurs étudiants avaient été suspendus pour leur participation à des manifestations pacifiques. «  Il y a eu récemment à travers le pays une attaque contre les droits démocratiques des étudiants », a dit Omar à Shafik. Le lendemain, la fille d’Omar, étudiante au Collège Barnard de Columbia, a été exclue de l’école.

Les arrestations à Columbia sont de maintes façons le fruit non seulement du changement générationnel du regard des Américains sur la Palestine, mais de l’étrange situation des universités américaines dans une période de renforcement politique de l’extrême droite et de fervente réaction culturelle. Les arbitres conservateurs de la guerre culturelle ont une fois de plus identifié les universités comme des sujets de doléance ; les membres Républicains du Parlement, qui siègent dans des comités dotés du pouvoir d’assigner à comparaître, ont tout intérêt à faire venir les présidents d’université à Washington et à les réprimander dans l’espoir d’obtenir un clip viral ou d’émettre une pique maligne qui puisse être citée dans leur campagne publicitaire.

Cependant, les universités ont de supposés engagements de valeurs – envers des choses comme la liberté de l’enquête, la liberté d’expression, l’égalité et la dignité parmi leurs étudiants et la recherche de la justice – qui sont en réalité en décalage flagrant avec leurs véritables incitations institutionnelles. L’attention narquoise des conservateurs n’est pas, après tout, qu’une simple perte de temps fastidieuse, bien qu’elle le soit certainement ; c’est aussi une menace envers les relations des universités avec les gens dont les intérêts déterminent leur politique universitaire avec une transparence de plus en plus évidente : leurs donateurs.

Shafik voulait dissiper les accusations des Républicains disant que son université manifestait trop de déférence envers une causse progressiste. Et c’est ainsi qu’elle a lancé les flics sur une bande jeunes. Ce faisant, elle a trahi non seulement ses étudiants, mais les valeurs de l’université elle même.

Ce n’est pas la première fois que l’administration de l’Université de Columbia a fait preuve d’un empressement déconcertant à réprimer la parole pro-palestinienne. Columbia a même été plus désireuse que d’autres universités d’élite de démolir l’organisation des étudiants. L’année dernière, elle a suspendu deux associations étudiantes, Étudiants pour la Justice en Palestine et Voix Juives pour la Paix, parce qu’elles s’étaient exprimées contre les actions d’Israël à Gaza. En janvier, le collège n’a pas protégé les manifestants pacifiques pro-palestiniens sur leur campus quand un jeune homme s’est approché et les a aspergés avec une substance corrosive, dont les manifestants ont pensé qu’il s’agissait de mouffette, arme chimique utilisée par les FDI pour le contrôle des foules.

Cette hostilité envers des étudiants qui pensent qu’ils manifestent contre un génocide en cours ne suffisait évidemment pas ; cette semaine, Columbia a décidé d’aller encore plus loin dans ses attaques contre la parole des étudiants.

Les étudiants qui ont été ligotés et emmenés en prison par le NYPD (police de New York) jeudi à Columbia n’étaient pas violents. Ils n’étaient même pas particulièrement tapageurs. Et bien que certaines craintes d’une montée de l’antisémitisme dans le sillage d’une croissance de l’opposition aux actions d’Israël à Gaza semblent sincères, il n’y a pas d’évaluation raisonnable des préoccupations des manifestants de Columbia qui puisse les présenter comme animés d’une motivation anti-juive.

Une évaluation de ce genre n’est possible que si vous prenez au sérieux, comme je pense que devrait le faire tout observateur raisonnable, la notion que des jeunes puissent être sincèrement indignés par la mort de dizaines de milliers de personnes à Gaza. Ce que les manifestants ont fait, ce n’était pas mettre l’université en danger ; ils l’ont embarrassée. Et pour cela, on les a arrêtés. Peut-être peuvent-ils être fiers de savoir que les administrateurs désiraient à ce point les faire taire parce qu’ils ont compris la puissance de leur message.

Moira Donegan est une chroniqueuse américaine du Guardian.