En souvenir du fils d’une lauréate du prix Nobel et d’un historien progressiste, qui a forgé son propre chemin de mathématicien et militant.
Un topologue qui a consacré une grande partie de son énergie à des causes politiques vient de mourir.
Luke Hodgkin est né dans le Norfolk, en Angleterre, en 1938. Il était le fils de Dorothy Hodgkin – la troisième femme seulement à recevoir un prix Nobel de chimie – et d’un historien marxiste, auteur de travaux pionniers sur l’Afrique, Thomas Hodgkin. Ses deux parents étaient des socialistes et internationalistes engagés : à l’âge de 17 ans, ils l’emmenèrent par exemple au Congrès des écrivains et artistes noirs, à Paris, où les orateurs incluaient des figures majeures du mouvement pour la décolonisation, comme Frantz Fanon et Aimé Césaire.
Après une bourse pour Eton College, qu’il détesta, Luke Hodgkin étudia les mathématiques à Balliol College, Oxford, avant un doctorat en topologie algébrique à St John’s College, Oxford (1964). Il enseigna ensuite à l’université d’Alger (1964-65), peu après l’indépendance du pays, puis à la nouvelle université de Warwick (1965-70).
En 1970, Luke Hodgkin rejoignit le département de mathématiques de King’s College London où il resta pendant près de cinq décennies, d’abord comme senior lecturer, puis à partir de 1971 comme reader, jusqu’à sa retraite en 2017. Ses principaux thèmes de recherche concernaient la topologie et les applications de la géométrie à la physique. Mais il était tout sauf un spécialiste étroit. Son site web couvre un large éventail de sujets en science, en art, en poésie, en musique et contient même des « chansons de rap mathématiques ». Il a publié une synthèse réputée intitulée A History of Mathematics: From Mesopotamia to Modernity (2005) et donné des conférences destinées à un large public à Gresham College en 2011 sur le thème “Money and Mathematics” [Argent et mathématiques]. Il avait aussi le projet d’écrire un livre intitulé Mathematics, Money, Drugs and War [Mathématiques, argent, drogues et guerre] pour « démontrer comment les mathématiques, qui revendiquent des résultats exacts, sont devenus un instrument central de contrôle » utilisé par exemple non seulement pour concevoir des drones à des fins militaires, mais aussi pour « prouver que leur fonctionnement est efficace — et en particulier nier l’existence de victimes civiles ».
Bien que ce livre n’ait pas été terminé, Luke Hodgkin a trouvé de nombreux autres débouchés à ses convictions politiques, en particulier son engagement pour les droits des réfugiés et des Palestiniens. Il a étudié à temps partiel en vue d’un master en droits humains à Birkbeck, University of London (2009-11), et a été bénévole à l’université nationale An-Najah de Naplouse, ainsi que dans des centres de conseil juridique à Londres ; il s’est aussi rendu plusieurs fois à la « jungle » de Calais pour offrir son soutien. Il a également travaillé avec l’organisation non-gouvernementale Phone Credit for Refugees [Des crédits de téléphone pour les réfugiés] pour aider les personnes bloquées dans des camps en Grèce et au Liban.
Luke Hodgkin est mort d’un cancer le 6 octobre 2020. Il laisse derrière lui son épouse, Jean Radford, leurs deux enfants, trois enfants d’un premier mariage, sept petits-enfants et un arrière-petit-enfant.