Lettre protestant contre la nouvelle directive du gouvernement d’Israël à propos de la sélection des universitaires et des étudiants internationaux pour enseigner et étudier dans des universités palestiniennes

Le Comité sur la liberté académique de l’Association des Études sur le Moyen-Orient d’Amérique du Nord (MESA) a envoyé une lettre aux autorités israéliennes pour protester contre la politique proposée par le Gouvernement concernant la sélection d’universitaires et d’étudiants internationaux pour enseigner et étudier dans les universités palestiniennes, donnant à l’armée israélienne le pouvoir unilatéral de sélectionner et d’exclure des universitaires et des étudiants et de limiter significativement leur nombre, tout en censurant certaines disciplines et certains axes de recherche. Si elle était mise en œuvre, la politique saperait la capacité des universités palestiniennes à recruter des professeurs appropriés et restreindrait la liberté académique des Palestiniens.

Premier ministre Naftali Bennet
Fax: +972-2-5664838

Ministre de l’Education Yifat Shasha-Biton
Fax: +972-2-5602390

Ministre de la Justice Gideon Sa’ar
Fax: +972-2-6285438

 
Général de brigade Ghasan Alyan
Directeur de l’Administration civile en Cisjordanie, Coordination des activités gouvernementales dans les Territoires (COGAT)
Fax: +972-2-6599133

 

Greffier en chef Idit Malul
Cour suprême de l’Etat d’Israël
Fax: +972-2-6759648

 

Monsieur le Premier ministre, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, Monsieur le Général, Monsieur le Greffier en chef

Nous vous écrivons au nom du Comité sur la liberté académique des l’Association des Etudes sur le Moyen-Orient d’Amérique du Nord (MESA) pour protester contre la directive récente d’Israël : « Procédure pour l’entrée et la résidence des étrangers dans la région de Judée et Samarie », qui doit prendre effet à titre de politique en mai 2022. Emise par la COGAT (Coordination des activités du gouvernement dans les Territoires), cette politique investit l’armée israélienne du pouvoir unilatéral de sélectionner ou d’exclure le personnel enseignant, les chercheurs et les étudiants internationaux qui veulent enseigner, étudier, ou mener des recherches dans les universités palestiniennes. Nous considérons cela à la fois comme une tentative pour isoler les universitaires et les étudiants palestiniens de la communauté académique internationale et comme une forme de censure destinée à restreindre la liberté d’expression et d’association des universitaires et des étudiants internationaux, en leur déniant l’accès aux universitaires et aux étudiants palestiniens et toute interaction avec eux, ainsi qu’aux opportunités professionnelles et éducatives dans les universités palestiniennes. Nous condamnons avec la plus grande fermeté la politique proposée, en tant qu’elle constitue une claire escalade des efforts persistants de votre gouvernement à dénier aux Palestiniens le droit à l’éducation.

MESA a été fondée en 1966 pour promouvoir le savoir et l’enseignement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Organisation prééminente dans le champ, MESA publie l’ International Journal of Middle East Studies et a près de 2800 membres dans le monde entier. MESA s’est engagée dans la garantie de la liberté académique d’expression, à la fois dans la région elle-même et en connexion avec l’étude de cette région en Amérique du Nord et ailleurs.

Si la directive ci-dessus devient une politique inscrite dans la loi, elle limitera le nombre d’instructeurs étrangers à 100 et celui des étudiants étrangers à 150, annuellement, pour toutes les institutions d’enseignement supérieur en Cisjordanie. L’armée israélienne aura l’autorité de déterminer l’acceptabilité des qualifications et des champs d’étude des candidats. Pour citer la politique proposée, les enseignants et les chercheurs qui excellent « dans les professions nécessaires » seront approuvés « si cela [leur excellence] est prouvé[e], à la satisfaction du fonctionnaire autorisé COGAT » (32). L’expertise qu’un tel fonctionnaire aurait pour vérifier les qualifications de ces universitaires et de ces étudiants, si elle existe, n’est pas clarifiée, pas plus que le calendrier pour cette procédure d’approbation. De plus, si cette politique est instaurée, le permis d’enseigner ou d’étudier à une université palestinienne devrait être valide pour une période d’un an et renouvelable pour vingt-sept mois, après quoi l’universitaire devra partir de Cisjordanie pendant neuf mois avant de pouvoir demander un nouveau permis. La période entière de résidence, même dans cette structuration non-consécutive, ne peut excéder cinq ans. Cette politique déracinera le personnel enseignant et les étudiants qui n’ont pas de permis de résidence (qui sont rarement accordés) et restreindra la capacité des universités palestiniennes pour le recrutement et l’échange intellectuel. Elle impose aussi un cadre temporel impraticable sur les programmes de recherche à long terme et la planification des projets, porte atteinte aux procédures d’accréditation, de recrutement, de nomination et de promotion déjà en place dans les institutions éducatives palestiniennes et restreint encore davantage les projets et les programmes existants subventionnés par les institutions et les Etats donateurs — y compris l’Union européenne, le Département de l’Education des Etats-Unis, le British Council et d’autres organismes internationaux.

Nous savons qu’un Etat comme Israël qui valorise l’enseignement supérieur et le savoir n’accepterait pas qu’une force militaire occupante agisse comme arbitre académique dans ses propres institutions. Pourtant, cette directive n’est que le développement le plus récent de l’étranglement continu et de la violation de la liberté académique palestinienne. Un bref coup d’oeil sur les derniers mois laisse entrevoir un long dossier. En fait, notre comité vous a écrit de nombreuses fois à propos des attaques flagrantes et violentes contre les étudiants et le personnel des universités palestiniennes, et en particulier ceux de l’université Birzeit (voir nos dernières lettres des  8 février 202222 décembre 202121 juillet 202128 juin 2021 ; et auparavant, celle du 11 avril 2019). Ces attaques, agressions et détentions sont de graves violations des droits fondamentaux à l’éducation et à la liberté académique. Spécifiquement, ce sont de claires violations du droit à l’éducation inscrit dans l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans l’article 13 de la Convention internationale de 1966 sur les droits économiques, sociaux et culturels. Israël fait partie des Etats membres ayant ratifié la Déclaration et est signataire de la Convention, et par conséquent a l’obligation de les respecter.

Nous vous appelons à rejeter la politique proposée et à empêcher qu’elle ne devienne une loi.

Dans l’attente de votre réponse,

Veuillez agréer, Madame, Messieurs, nos salutations,

Eve Troutt Powell
Présidente de l’Association des Etudes sur le Moyen-Orient d’Amérique du Nord (MESA)
Professeure, Université de Pennsylvanie

 
Laurie Brand
Présidente, Comité sur la liberté académique de l’Association des Etudes sur le Moyen-Orient d’Amérique du Nord (MESA)
Professeure émérite, Université de Californie-du-Sud

 

cc :

Coordination européenne des comités et associations pour la Palestine (ECCP)

Michael Lynk, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens

James Heenan, Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Ramallah

Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, section MENA

Noha Bawazir, directrice du Bureau et représentante de l’UNESCO, Bureau de liaison UNESCO, Ramallah, Délégation palestinienne à l’UNESCO

Viktor Almqvist, Chargé de presse – Comité des Affaires étrangères AFET) et sous-comité sur les droits de l’homme (DROI), Parlement européen

L’Honorable Veronica Michelle Bachelet Jeria, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

L’Honorable Mary Lawlor, Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains

Maria Arena, présidente du sous-comité du Parlement européen sur les droits humains

Dunja Mijatovic, Commissaire pour les droits humains du Conseil de l’Europe

Kato Piri, membre, Comité sur les Affaires étrangères, Parlement européen

Irene Khan, Rapporteure spéciale des Nations Unies pour la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression

Hady Amr, Vice-Secrétaire d’Etat adjoint pour Israël et les Affaires palestiniennes, Département d’Etat des USA

Christopher Le Mon, Vice-Secrétaire d’Etat adjoint, Bureau de la démocratie, des droits humains et du travail, Département d’Etat des USA

Scott Busby, Vice-Secrétaire d’Etat adjoint principal par interim, Bureau de la démocratie, des droits humains et du travail, Département d’Etat des USA

George Noll, Directeur de l’unité des Affaires palestiniennes, Ambassade des USA, Israël