Lettre des cinéastes palestiniens à propos de la tentative de censure d’un film palestinien aux Emmy Awards 2024

Un groupe de près de 70 cinéastes palestiniens — dont Hany Abu Assad, deux fois nominé aux Oscars, le réalisateur acclamé Elia Suleiman et la récente lauréate des BAFTA Farah Nabulsi — ont signé une lettre très virulente dans laquelle ils accusent Hollywood de « déshumaniser » les Palestiniens à l’écran depuis des décennies, un facteur qui, selon eux, a contribué à permettre la dévastation actuelle à Gaza.

« Nous, cinéastes palestiniens, apprécions et remercions la National Academy of Television Arts and Sciences (NATAS) d’avoir résisté à la pression et d’avoir prôné la liberté d’expression en confirmant la nomination de Bisan Owda aux Emmy Awards 2024 pour le film documentaire “It’s Bisan From Gaza and I’m Still Alive“ (Je suis Bisan de Gaza et je suis toujours vivante).

Bisan Owda, journaliste palestinienne de 25 ans, primée et inspirée, a risqué sa vie pour partager avec le monde entier des reportages et des chroniques sur la résilience, la résistance et la survie de familles palestiniennes face au génocide israélien en cours dans la bande de Gaza occupée, diffusé en direct sur les écrans.

La tentative de censurer la voix de Bisan n’est qu’une des dernières tentatives répressives en date de refuser aux Palestiniens le droit de se réapproprier leur récit, de partager leur histoire et de faire ainsi connaître les atrocités auxquelles leur peuple est confronté, ceci dans l’espoir qu’il y soit mis un terme. Nous connaissons bien le pouvoir de l’image et du cinéma, et depuis trop longtemps, nous sommes indignés par l’inhumanité et le racisme dont font preuve certains acteurs de l’industrie de l’audiovisuel occidentale à l’égard de notre peuple, même en ces temps les plus difficiles.

Avec nos films, nous essayons de proposer des narrations, des représentations et des images alternatives qui contredisent le cliché stéréotypé et déshumanisant des « êtres sans valeur et liquidables » qui permet de justifier et/ou de blanchir les crimes perpétrés depuis des décennies contre les Palestiniens. Mais pourquoi devons-nous toujours enfiler des “gants de boxe“ pour défendre notre art contre une censure impitoyable qui nous cible uniquement sur la base de notre identité, et non sur celle de notre créativité ?

Nous avions accueilli avec enthousiasme la nouvelle de la nomination du film de Bisan Owda aux Emmy Awards, un signe qu’après tant d’années d’apartheid israélien et de colonisation du peuple palestinien, l’implacable déshumanisation des Palestiniens sur le petit et le grand écran aux États-Unis, à Hollywood en particulier, commençait à laisser la place à une attitude plus éthique. La tentative de censure du film a cependant été un brutal retour à la réalité. Nous devons toujours réagir face à la propagande raciste anti-palestinienne et généralement anti-arabe, qui reste un marqueur dominant de la société états-unienne, et nous devons toujours la contester farouchement.

Nous sommes non seulement profondément préoccupés par la façon dont cette déshumanisation met en danger notre existence-même en tant que Palestiniens, mais en plus, nous sommes conscients qu’elle met aussi en danger de nombreuses communautés racialisées dans le monde, y compris en Occident, qui risquent de subir le même sort, car le credo « c’est la force qui fait le droit » y prévaut.

Nous appelons nos collègues de l’industrie cinématographique internationale, ayant une vision d’un monde dans lequel nous aimerions vivre

– à s’élever contre ce génocide ainsi que contre l’effacement, le racisme et la censure qui le rendent possible

– à faire tout ce qui est humainement possible pour arrêter et mettre fin à la complicité avec cette horreur indicible

– à refuser de travailler avec des sociétés de production qui sont profondément complices de la déshumanisation des Palestiniens, ou qui blanchissent et justifient les crimes d’Israël à notre encontre.

Cela doit cesser. Maintenant. »

Signatures :

1. Michel Khleifi
2. Mai Masri
3. Hany Abu Assad
4. Najwa Najjar
5. Elia Suleiman
6. Rashid Masharaw
7. Farah Nabulsi
8. Mohammad Bakri
9. Maha Haj
10. Mahdi Fleifel
11. Raed Andoni
12. Kamal Aljafari
13. Saleh Bakri
14. Mohanad Yaqubi
15. Tarzan Nasser
16. Arab Nasser
17. Ossama Bawardi
18. Rakan Mayasi
19. Khadija Habashneh
20. Leila Sansour
21. Khaled Jarrar
22. Rula Nasser
23. May Odeh
24. Adam Bakri
25. Iyad Alasttal
26. Amer Shomali
27. Carol Mansour
28. Muna Khalidi
29. Mohamed Jabaly
30. Salim abu Jabal
31. Suha Arraf
32. Firas Khoury
33. Randa Nassar
34. Yasmine Al Massri
35. Wisam Al Jafari
36. Ismael El Habbash
37. Muayad Alayan
38. Sawsan Asfari
39. Kamel el Basha
40. Rozeen Bisharat
41. Nadia Eliewat
42. Ward Kayyal
43. Maryse Gargour
44. Amer Hlehel
45. Ziad Bakri
46. Aws Al-Banna
47. Ahmed Al-Danf
48. Basil Al-Maqousi
49. Mustafa Al-Nabih
50. Muhammad Alshareef
51. Ala’a Ayob
52. Bashar Al-Balbeisi
53. Alaa Damo
54. Hana Awad
55. Ahmad Hassouna
56. Mustafa Kallab
57. Kareem Satoum
58. Mahdi Karirah
59. Rabab Khamees
60. Khamees Masharawi
61. Wissam Moussa
62. Tamer Najm
63. Nidaa Abu Hasna
64. Nidal Damo
65. Reema Mahmoud
66. E’temad Weshah
67. Islam Al Zrieai

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Lettre relevée sur le site de Variety