Ranjani Srinivasan, une doctorante de l’université Columbia, s’est auto-expulsée après la révocation de son visa F-1 [visa étudiant]. Dans cette lettre, elle explique son ressenti.
Mon nom est Ranjani Srinivasan. J’étais doctorante en 5e année dans le Département d’urbanisme de l’université Columbia, GSAPP. J’étais aussi assistante d’enseignement dans le Département des Études d’urbanisme à Barnard College.
Certains d’entre vous peuvent avoir entendu parler de mon cas. Pour les autres, je voudrais en partager les détails.
Mercredi soir (5 mars), mon visa a été révoqué par le Département d’État.
Alors que j’examinais le mail le jeudi matin (6 mars), j’ai été sollicitée pour un sondage téléphonique par un numéro privé affirmant être une tierce partie engagée par Columbia pour administrer aux étudiants un sondage d’opinion à propos des conditions sur le campus. À un moment pendant le sondage, la personne a révélé qu’ils connaissaient mon adresse exacte. Je n’y ai pas prêté spécialement attention sur le moment.
Pour déterminer le statut de mon visa, j’ai immédiatement commencé à essayer de contacter le Bureau international des étudiants et universitaires (International Students and Scholars Office, ISSO). Certains d’entre vous savent peut-être que leur ligne d’urgence est reliée seulement à la sécurité publique. Après plusieurs heures d’envoi de mails à la fois à mon département et à ISSO, j’ai été mise en contact avec le directeur de la Conformité, qui m’a assurée par écrit que j’avais un statut légal et que je pourrais continuer mon travail comme assistante.
Le vendredi (7 mars), alors que j’avais un appel zoom avec une conseillère de l’ISSO qui continuait à me rassurer sur la légalité de mon statut, le service de l’immigration (ICE) est venu frapper à ma porte, sans mandat. Si j’avais été seule, j’aurais ouvert la porte. Ma compagne de chambre, une citoyenne américaine, a reconnu le coup à la porte comme venant de forces de maintien de l’ordre. À cause de l’absence de mandat, elle a refusé de les laisser entrer et leur a demandé à plusieurs reprises de s’identifier ; quelque chose qu’ils ont refusé de faire.
Effrayée et inquiète, j’ai dit à la conseillère, qui était toujours sur zoom, que l’ICE était à ma porte. Au départ, elle a paru paniquée, appelant des administrateurs supérieurs, mais à la fin elle a semblé amusée. L’ISSO m’a transmis une liste d’avocats que je devrais contacter et m’a demandé d’appeler la sécurité publique — qui a dit qu’ils se contenteraient de remplir un rapport et que je devais continuer à ne pas ouvrir la porte.
Quand j’ai réalisé que Columbia ne m’aiderait pas, j’ai laissé mon domicile pour un lieu plus sûr le jour même.
Le samedi soir à 18h20 (8 mars), l’ICE est revenu à mon domicile. Ils m’ont menacée de venir chaque jour jusqu’à ce qu’ils soient capables de me placer dans une procédure d’expulsion. À ce moment, j’avais encore un statut légal et ils n’avaient toujours pas de mandat. C’est ce jour même que Mahmoud a disparu, emmené par l’ICE.
Jusqu’à ce moment, j’avais imaginé que j’avais seulement à patienter et que l’université interviendrait pour me protéger. Je m’inquiétais encore pour les notes des devoirs de mes étudiants. J’avais tort. Le dimanche (9 mars), l’ICE a illégalement mis fin à mon programme de visite et d’échanges (Student and Exchange Visitor Program, SEVIS) et Columbia m’a arbitrairement désinscrite, ce qui m’a fait perdre mon statut légal, mon statut d’employée et mon domicile. Cela m’a immédiatement rendue vulnérable à la détention. La doyenne des affaires étudiantes à GSAPP, au lieu de m’aider, est entrée dans mon bâtiment en espérant confirmer que j’étais encore à la maison et que j’avais reçu la lettre. Jusqu’à ce moment, elle avait été sympathique, bien qu’affirmant qu’il lui « semblait que l’ISSO et Columbia n’étaient pas aux contrôles ». Après ma désinscription, elle a coupé tout contact avec moi.
Mes avocats m’ont dit que j’avais en gros deux choix à ce moment. Je pouvais partir ou je pouvais me battre contre la fin illégale de mon statut, mais au risque de passer un temps substantiel en détention. C’est pourquoi, mardi (11 mars), j’ai pris la décision difficile de quitter les États-Unis pour le Canada. À ce moment j’étais assez sûre que l’université travaillait étroitement avec les forces de l’ordre. Et j’ai soupçonné que le sondage privé que j’avais reçu était de l’ICE, pour essayer de confirmer mon adresse.
Oui, l’ICE n’avait pas encore réalisé que j’avais quitté mon domicile et que j’étais partie du pays. Jeudi (13 mars), mon domicile a été perquisitionné par le Département de la sécurité intérieure (DHS). les agents ont été surpris de trouver ma chambre vide.
Le lendemain seulement (14 mars), j’ai été choquée d’être mise à l’index par un tweet du DHS qui a rapporté mensongèrement que je m’étais auto-expulsée et a formulé contre moi des allégations sans fondement.
La raison pour laquelle je détaille cette suite d’événements est qu’elle démontre non seulement le pouvoir absolu que le Département d’État a sur les détenteurs de visas F-1 et le peu d’options légales qui nous sont offertes, mais aussi à quel point Columbia a coopéré avec l’ICE, au lieu de protéger ses étudiants.
Deuxièmement, l’innocence ne vous protégera pas. Je n’étais pas aux États-Unis d’août 2023 à avril 2024. Si j’ai reçu une sommation le 30 avril 2024, l’affaire a été rejetée par les tribunaux et je n’ai fait l’objet d’aucune accusation disciplinaire. À part assister à une poignée de manifestations de faible ampleur et poster sur les réseaux sociaux, j’ai eu peu de contact avec les événements sur le campus. Donc il n’y a aucune explication sur les raisons pour lesquelles j’ai été ciblée. Avec l’aggravation rapide de la situation, la criminalisation de la libre expression et les interdictions de voyage imminentes, ce qui m’est arrivé peut vous arriver à vous aussi.
Par conséquent, nous devons exercer un maximum de pression sur Columbia et d’autres universités pour protéger les étudiants internationaux de ces actions d’État arbitraires. Et nous devons nous battre pour l’amnistie complète et la réinscription de ceux que Columbia a sacrifiés dans l’espoir d’annuler les coupes de financement.
C’est maintenant le moment de nous unir et de demander aux universités de faire ce qui est juste.
Ranjani Srinivasan