Lettre de l’AURDIP au Président de l’Université de Lille concernant un projet commun de recherche entre les universités de Lille et de Haïfa

En dépit du courrier de l’AURDIP du 03 janvier 2023 malheureusement resté sans réponse, l’université de Lille 2 (organisatrice Anne Wagner) participe toujours actuellement à un projet commun de recherche avec l’université de Haïfa (Shulamit Almog) sur le thème de l’égalité de genre. Ce projet donnera lieu à une rencontre internationale à l’université de Lille du 3 au 6 juillet 2023 intitulée ‘Combattre la violence fondée sur le genre‘. L’AURDIP a relancé Prof. Régis Bordet, le président de l’université de Lille : « [Nous] vous demandons, en tenant compte lucidement de la situation actuelle d’Israël, de mettre fin à ce projet commun de recherche et d’annuler la rencontre du 3 au 6 juillet 2023 prévue à l’université de Lille. »

Prof. Régis Bordet, président de l’université de Lille

Monsieur le président,

En dépit de notre courrier du 03 janvier 2023 malheureusement resté sans réponse, nous avons appris que l’université de Lille 2 (organisatrice Anne Wagner) participe toujours actuellement à un projet commun de recherche avec l’université de Haïfa (Shulamit Almog) sur le thème de l’égalité de genre. Ce projet commun de recherche a donné lieu à une première rencontre internationale qui s’est tenue à l’université d’Haïfa en Israël le 9 janvier 2023. Il doit donner lieu à une seconde rencontre internationale à l’université de Lille du 3 au 6 juillet 2023.

A nouveau, nous regrettons vivement que l’université de Lille ait choisi de poursuivre un tel projet commun.

Il est pourtant bien connu des universitaires et des personnes de bonne volonté qu’Israël viole, à travers l’occupation des territoires palestiniens, de nombreuses règles du droit international, ce qui lui a été si souvent rappelé par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies.

Parmi ces règles violées, figurent celles relatives au droit international des droits de l’homme, comme l’a rappelé la Cour internationale de Justice dans son avis du 9 juillet 2004->https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/131/131-20040709-ADV-01-00-FR.pdf]. Au fil du temps, le caractère systématique de ces violations a donné lieu à la mise en place d’un régime d’apartheid comme l’ont analysé les organisations Amnesty International, Human Rights Watch, [B’Tselem et des rapporteurs spéciaux des Nations Unies.

A juste titre, l’université de Lille n’accepterait surement pas dans le contexte actuel d’occupation de l’Ukraine d’organiser un tel projet avec une université de Russie.

Dès lors, nous ne comprenons pas pourquoi ce qui est valable pour la Russie ne l’est pas pour Israël qui occupe illégalement les territoires palestiniens depuis 1967 et s’est engagé dans la mise en œuvre d’un système d’apartheid, qui, selon le statut de la Cour pénale internationale, constitue un crime contre l’humanité.

Nous le comprenons d’autant moins que le thème de ce projet commun de recherche porte sur l’égalité de genre, et donc sur un pan essentiel des droits humains, qui sont constamment violés par les autorités israéliennes et dont sont au demeurant privés les universitaires et étudiants palestiniens du fait de l’occupation. Là encore, l’université de Lille trouverait certainement incongru, et à juste titre, l’organisation d’une manifestation sur les droits humains avec une université russe.

La conférence prévue à Lille du 3 au 6 juillet est intitulée ‘Combattre la violence fondée sur le genre‘. Selon son site Internet, elle explorera les causes, les formes et les cultures de la violence sexiste dans la société. Il se trouve que le journal israélien Haaretz a publié le 26 avril 2023 un éditorial intitulé « la politique israélienne à Jérusalem-Est nuit aux femmes palestiniennes » sur un cas d’école de violence fondée sur le genre :

« Muna était enceinte et avait décidé d’accoucher à l’Hôpital Universitaire Hadassah de Jérusalem, sur le Mont Scopus, parce qu’elle craignait que son fœtus souffre d’une malformation cardiaque et qu’elle pensait que Hadassah pourrait prodiguer les meilleurs soins à elle et à son bébé. Mais quand elle est allée s’inscrire à l’hôpital quelques semaines avant la date prévue de l’accouchement, elle a découvert que pour ce faire, elle devait fournir à l’hôpital un chèque de 16.000 shekels (4.400 $) sous forme de dépôt. Cette exigence est due à la demande de l’Institut National des Assurances (INA) disant que son statut de résidente de Jérusalem devait être réétudié parce que son mari réside en Cisjordanie. L’enquête demande trois à quatre mois. En d’autres termes, elle prendrait fin longtemps après la date prévue de l’accouchement.

Après avoir franchi une série d’obstacles bureaucratiques qui impliquaient de sauter de l’hôpital à l’INA à Jérusalem Est avec des relevés bancaires, des fiches de paie et autres documents, et avoir même subi la visite à domicile d’inspecteurs de l’INA qui ont jeté un œil dans son réfrigérateur et questionné ses voisins, Muna a finalement été obligée d’accoucher dans un hôpital de Jérusalem Est, malgré sa peur que cet hôpital ne soit pas en mesure de prendre correctement soin de son nouveau-né. Alors même qu’elle est une résidente de Jérusalem qui paie ses impôts et a une assurance maladie, elle ne pouvait courir le risque de ne pas récupérer l’argent déposé ; rappelons que le taux de pauvreté à Jérusalem Est est d’à peu près 80 %. Pourtant, les appels téléphoniques de l’INA ont continué de la harceler, même au cours de l’accouchement. »

Le programme de la conférence de Lille ne fait aucune mention de ce type de violence institutionnelle contre les femmes palestiniennes.

Enfin, il est évident que la formation début 2023 d’un gouvernement israélien le plus extrémiste, raciste, religieux et colonisateur de l’histoire du pays, comme l’ont indiqué de nombreux analystes et journalistes de la presse française, confirme que coopérer avec l’université publique d’Haïfa ne peut pas être un acte neutre.

Nous vous remercions pour l’attention que vous voudrez bien porter à notre courrier et vous demandons, en tenant compte lucidement de la situation actuelle d’Israël, de mettre fin à ce projet commun de recherche et d’annuler la rencontre du 3 au 6 juillet 2023 prévue à l’université de Lille.

Ivar Ekeland
Président de l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine AURDIP

Copie au Prof. Jean-Gabriel Contamin, Doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille