Lettre à Mme Suzanne Fortier, principale et vice-chancelière de l’Université McGill (au sujet de BDS)

Lors de son assemblée générale du 22 février 2016, l’Association des étudiants de l’Université McGill (AÉUM) a adopté une motion en faveur du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) (512 voix pour, 357 voix contre et 14 abstentions) qui a ensuite été rejetée lors d’un processus de ratification en ligne (2,819 voix contre (57%), 2,119 voix pour (43%) et 6.6% d’abstentions). Peu après la publication des résultats de ce vote en ligne, la Principale et vice-chancelière de l’Université McGill, Madame Suzanne Fortier, a publié un communiqué, auquel nous avons répondu.

Madame Suzanne Fortier,

Suite à la présentation d’une motion visant à appuyer le mouvement BDS lors de la dernière assemblée générale de l’AÉUM et à son rejet subséquent par un processus de ratification en ligne, vous avez publié un communiqué dans lequel vous déclarez que le mouvement BDS « va à l’encontre des principes de tolérance et de respect, valeurs fondamentales qui définissent nos universités » et que « il propose de poser des actes qui s’opposent aux principes de la liberté universitaire, de l’équité, de l’inclusion et du partage des opinions et des idées dans le cadre de discussions responsables et ouvertes ». Nous ressentons l’obligation d’exprimer notre préoccupation concernant la formulation de vos propos et de signaler d’importants oublis.

Le mouvement BDS a été lancé par la société civile palestinienne en 2005 comme un appel vers la communauté internationale pour qu’une pression soit exercée sur Israël afin que ce pays cesse l’occupation militaire des territoires palestiniens toujours en cours, qu’il accorde la pleine égalité à ses citoyens palestiniens arabes, et qu’il défende le droit au retour des réfugiés en accord avec la résolution des Nations Unies 194. Le mouvement BDS a bénéficié d’un soutien croissant dans le monde entier, y compris de la part de personnes juives et de citoyens israéliens. Tous ceux qui militent activement en faveur des droits de la personne pour les Palestinien.ne.s n’adhèrent pas nécessairement au mouvement BDS dans sa formulation d’origine, et ceci inclut certains groupes palestiniens. Cependant, l’argument ne questionne pas la légitimité du mouvement BDS, mais plutôt l’efficacité d’une stratégie qui ne serait pas constructive dans le contexte actuel. Votre affirmation que le mouvement BDS « va à l’encontre des principes de tolérance et de respect » présuppose, et donc renforce, une perception biaisée (ou erronée) et dangereuse selon laquelle ce mouvement cible certains groupes particuliers, qu’ils soient ethniques, nationaux ou politiques, ou qu’il est intolérant à leur égard. Ceci fait directement le jeu de ceux qui assimilent délibérément la critique d’Israël à de l’anti-sémitisme. Le mouvement BDS, explicitement, ne cible pas les individus. Caractériser le BDS de mouvement intolérant ou visant de quelque manière que ce soit les étudiants juifs ou israéliens du campus, ou les privant d’un espace sûr, est une déformation de la réalité qui est potentiellement très grave puisque cela victimise à tort certains groupes ethniques. Le mouvement BDS n’est pas intolérant envers les individus ; il prône plutôt la tolérance envers les Palestinien.ne.s à travers des moyens pacifiques globalisés.

Notre deuxième préoccupation concerne l’affirmation que le mouvement BDS « propose de poser des actes qui s’opposent aux principes de la liberté universitaire, de l’équité, de l’inclusion et du partage des opinions et des idées dans le cadre de discussions responsables et ouvertes ». Nous sommes d’accord avec vous que de tels principes doivent régir l’Université McGill. Nous espérons également que comme nous, vous pensez qu’il incombe à l’université de défendre ces principes de manière universelle. Ainsi, bien que l’université ait le droit de rejeter le mouvement BDS, nous croyons fermement que les principes énoncés dans le communiqué l’enjoignent à dénoncer les atteintes bien documentées à la liberté universitaire, à la liberté d’expression, et à la liberté de circulation des Palestinien.ne.s de Cisjordanie et de la bande de Gaza, ainsi que des citoyens arabes d’Israël qui ne sont pas juifs. A défaut de cela, l’université pourrait sembler appliquer deux poids et deux mesures à ces droits universaux et perpétuer la partialité impardonnable des médias qui mettent en avant presque exclusivement les droits et les besoins de sécurité des juifs israéliens, tout en négligeant d’appliquer ces mêmes droits et ces mêmes besoins aux Palestinien.ne.s.

En octobre 2012, nous nous sommes rendus dans la Bande de Gaza pour participer à un congrès de linguistique et nous avons pu nous rendre compte des effets dramatiques du siège d’Israël sur la vie universitaire de Gaza. Durant notre séjour, nous avons rencontré de nombreux étudiants, enseignants et acteurs de la société civile, et nous avons pu voir à quel point la population souffrait du blocus israélien toujours en cours et des attaques militaires répétées. La population souffre également du gouvernement répressif du Hamas. Cependant, tant que les conditions politiques ne seront pas normalisées pour les Palestinien.ne.s et que le droit de vivre et de circuler en toute liberté ne leur sera pas accordé, cette répression interne affligera la population de Gaza, au sein de laquelle beaucoup rejettent un gouvernement islamique répressif.

Une expérience personnelle supplémentaire illustrant l’absence de liberté universitaire et de liberté d’expression a eu lieu en 2010 quand Noam Chomsky a été invité à l’Université Birzeit en Cisjordanie mais qu’Israël lui a refusé le droit d’entrer sans aucune raison valable.

En conclusion, que l’on appuie le BDS ou non, nous saluons les étudiants de McGill qui ont voté en faveur de ce mouvement et qui se sont opposés à la répression face aux tentatives croissantes de la part des gouvernements et autres organisations de vilipender ce mouvement à travers la dissémination de fausses informations. Tout communiqué sur la liberté universitaire dans le contexte israélo-palestinien doit absolument tenir compte de la violation flagrante et quotidienne de la liberté universitaire des enseignants et étudiants palestiniens. Nous osons espérer, à travers ce texte, avoir su vous persuader de mettre en lumière ces oublis à travers la publication d’une nouvelle déclaration.

Signataires:

Máire Noonan, Course Lecturer and Research Assistant, Department of Linguistics, McGill University. (McGill alumna)

Hagit Borer, Professor of Linguistics, Queen Mary University of London, London

Antoine Bustros, Compositeur, Compositeur de musique de film et écrivain, Montréal (McGill alumnus)

Noam Chomsky, Institute Professor and Professor of Linguistics (Emeritus), MIT.

David Heap, Associate Professor, French Studies Department and Linguistics Program, University of Western Ontario

Stephanie Kelly, Assistant Professor, French Studies Department and Linguistics Program, University of Western Ontario.

Philippe Prévost, Professeur de Linguistique, Université François-Rabelais, Tours, France (McGill alumnus)

Verena Stresing, Ph.D., consultante scientifique

Laurie Tuller, Professeur de Linguistique, Université François-Rabelais, Tours, France