L’Espagne se pose en critique contre Israël dans une Union européenne prudente

Pedro Sanchez, le dirigeant espagnol nouvellement reconduit, a suscité la colère de l’Etat hébreu, qui ne devait pas participer à la réunion de l’Union pour la Méditerranée, lundi 27 novembre, à Barcelone.

« Condamner les vils attentats d’un groupe terroriste comme le Hamas, et dans le même temps condamner la tuerie aveugle de Palestiniens à Gaza, ce n’est pas une question de partis politiques ou d’idéologie, c’est une question d’humanité. » Devant des milliers de cadres et de militants socialistes, réunis dimanche 26 novembre à Madrid pour célébrer sa récente reconduction à la tête du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez a réaffirmé ses réserves contre les bombardements israéliens sur Gaza, menés en riposte aux attaques du Hamas du 7 octobre.

Dans une Union européenne prudente, traversée par des positions divergentes, le dirigeant socialiste, qui gouverne en coalition avec la gauche radicale Sumar, s’affirme comme l’un des plus critiques envers la stratégie militaire d’Israël à Gaza, qu’il juge « disproportionnée ». Une position qui a provoqué un début de crise diplomatique avec l’Etat hébreu.

M. Sanchez s’est en outre engagé à porter la cause palestinienne à Bruxelles. « Mon premier engagement de la législature est que le nouveau gouvernement va travailler en Europe et bien sûr en Espagne pour reconnaître l’Etat palestinien », a-t-il prévenu le 15 novembre, lors du discours au Parlement précédant son vote d’investiture. Une semaine plus tard, les 23 et 24 novembre, il était en visite officielle au Proche-Orient en compagnie du premier ministre de Belgique, le libéral Alexander De Croo, qui lui succédera en janvier à la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne.

« Israël a le droit à l’autodéfense face aux attaques, mais permettez-moi d’être clair, Israël doit respecter aussi le droit international humanitaire, a déclaré M. Sanchez, le 23 novembre, lors d’une rencontre particulièrement tendue avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Le monde entier est choqué par les images que nous voyons tous les jours en provenance de Gaza. Le nombre de Palestiniens morts est réellement insupportable… » Plaidant pour un cessez-le-feu durable et la tenue d’une conférence de paix, il lui a demandé de « travailler dès à présent à la mise en œuvre de la solution à deux Etats ». A Ramallah, le Belge et l’Espagnol ont apporté leur soutien au président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

« La mort de civils doit cesser maintenant. Trop de personnes ont péri. La destruction de Gaza est inacceptable », a aussi déclaré M. De Croo le 24 novembre, devant le poste frontière égyptien de Rafah, au premier jour de la trêve conclue entre le Hamas et Israël. Quant à M. Sanchez, il a laissé entendre qu’il pourrait reconnaître l’Etat palestinien sans attendre une position commune de l’Union européenne. « La violence ne peut mener qu’à la violence », a-t-il insisté. Dans l’après-midi même, le gouvernement israélien a convoqué les ambassadeurs d’Espagne et de Belgique. «Nous condamnons les fausses allégations des premiers ministres d’Espagne et de Belgique, qui soutiennent le terrorisme » a commenté le ministre des affaires étrangères, Eli Cohen. Samedi 25 novembre, le Hamas a félicité M. Sanchez et M. De Croo pour leur « position claire et audacieuse ».

En Espagne, pays considéré comme traditionnellement proarabe, du fait de liens historiques, d’intérêts géopolitiques et de proximité géographique, la position de M. Sanchez est soutenue par une large frange de l’opinion. C’est aussi « l’une des rares questions qui unit tous les partis qui ont voté son investiture » souligne Ignacio Molina, analyste à l’Institut royal Elcano et professeur de sciences politiques à l’université autonome de Madrid.

Conférence de paix ?

D’un point de vue de politique interne, M. Sanchez, mis à mal par ses accords avec les indépendantistes catalans, a trouvé un moyen de se renforcer auprès de son électorat et d’unir son gouvernement, sensible à la question palestinienne. « Et d’un point de vue international, son discours peut plaire à de nombreux progressistes, tout en calmant le mécontentement dans les pays arabes quant à la position dominante en Europe, qu’il considère trop alignée sur Israël », ajoute M. Molina

Mais sa position critique envers l’Etat hébreu a aussi suscité des reproches. « Il a sans doute fait obstacle à la possibilité qu’Israël se rende à la conférence de paix qu’il a promue et, plus encore, que l’Etat hébreu accepte que l’Espagne en soit le médiateur », souligne M. Molina. Le 26 octobre, M. Sanchez avait obtenu que figure dans les conclusions du Conseil européen son souhait que soit organisée au plus vite une conférence internationale de paix. Il avait sans doute en tête celle de 1991, sous le gouvernement du socialiste Felipe Gonzalez, qui, à Madrid, avait permis de semer les bases des futurs accords d’Oslo.

Lundi 27 novembre, la huitième réunion interministérielle de l’Union pour la Méditerranée devait se tenir à Barcelone, pour la première fois sans la présence d’Israël. L’Etat hébreu a regretté que l’ordre du jour de l’organisation, qui regroupe 43 pays du bassin méditerranéen, ait été modifié pour consacrer entièrement cette manifestation à la guerre à Gaza.