Les voix pro-palestiniennes ne doivent pas être réduites au silence

Les affaires très médiatisées de Kenneth Roth et Jim Cavallaro n’ont été que les toutes dernières actions anti-palestiniennes menées contre des étudiants et des univrsitaires qui contestent le colonialisme de peuplement israélien.

Au début de cette année, Kenneth Roth s’est vu refuser une bourse de recherche senior à l’Ecole Kennedy de Harvard pour avoir critiqué Israël. Le mois dernier, Biden a révoqué la nomination de Jim Cavallaro à la Commission Inter-américaine des Droits de l’Homme pour avoir dénoncé l’apartheid israélien et les lobbyistes de l’AIPAC qui le permettent. Pour de nombreuses personnes, ces violations flagrantes du droit des universitaires à la libre expression peuvent paraître choquantes. Pour nous, membres de Ivy Plus Palestine Coalition et étudiants organisateurs qui se battent pour l’autodétermination des Palestiniens, cela n’avait rien d’extraordinaire – ce n’était que la dernière itération de l’action anti-palestinienne engagée contre les étudiants et les universitaires pour aider à la préservation du colonialisme de peuplement israélien.

Selon les termes du Professeur Cavallaro, à qui nous nous sommes adressés pour avoir une déclaration, « La censure des défenseurs des droits de l’homme qui dénoncent l’apartheid en Israël/Palestine affecte d’innombrables universitaires, militants et étudiants palestiniens, dont la plupart n’ont pas le genre de plate-forme dont Ken Roth et moi bénéficions ». En tant qu’étudiants militants pour la Palestine sur neuf des plus importants campus universitaires américains, nous avons maintes fois fait l’expérience de cette censure. Ces manœuvres de violence idéologique sont toutes trop habituelles sur les campus universitaires américains et sont régulièrement utilisées contre des étudiants comme nous, qui soutenons l’autodétermination des Palestiniens – mais elles doivent cesser.

Depuis des années, des entreprises organisées de propagande pro-Israël ont travaillé à réduire au silence tout plaidoyer pour la Palestine et toute critique de la violence d’État. Nous avons été soumis à des campagnes anti-palestiniennes de diffamation, des campagnes de refus de financement et d’emploi, et de négligence de la part de l’administration de nos universités lorsqu’il s’agit de nous protéger. Bien que ces campagnes prennent maintes formes différentes, elles soutiennent toutes le même agenda : écraser la contestation universitaire et limiter notre liberté d’expression.

Nous sommes fréquemment harcelés par des organisations extérieures à nos universités qui déploient des tactiques d’intimidation et de désinformation destinées à faire peur à nos étudiants militants afin qu’ils se soumettent. En 2022, le Centre Horowitz de la Liberté, ancré à droite, a posté plus de 5.000 tracts de propagande islamophobe sur le campus de l’université de Chicago, insinuant que SJP était une façade pour le Hamas et traitant injurieusement les étudiants et les personnages politiques pro-BDS de Nazis d’aujourd’hui. En 2022, des associations pro-israéliennes hors de Princeton ont dépensé plus de 1.000 $ en publicité sur les réseaux sociaux afin de diffuser la propagande sur le référendum de Princeton en faveur du boycott de Caterpillar Inc. pour avoir démoli des maisons palestiniennes. Depuis 2016, plus de 41 militants et organisateurs de Cornell ont vu leurs informations postées en ligne par la Mission Canary. Ces manœuvres d’intimidation visent à faire peur aux gens pour qu’ils cessent de militer et à dissuader les employeurs d’embaucher des militants. Comme le dit Ibtihal Malley, ancien étudiant de Barnard présenté sur la Mission Canary, « Certains membres se font présenter sur Canary et décident que ça n’en vaut pas la peine sur la durée ».

Notre droit même à manifester est régulièrement contesté par ceux qui soutiennent l’occupation israélienne. En 2022, les Services de Sécurité de l’université de Dartmouth ont déchiré des tracts qui annonçaient la veillée de la Coalition de Solidarité avec la Palestine de Dartmouth pour les Palestiniens tués à Gaza et ont utilisé un nettoyeur sous pression pour laver la craie sur le trottoir afin qu’aucune trace ne reste de l’événement. Également en 2022, les étudiants de l’université de Pennsylvanie ont eu leur drapeau volé sur leur campement de Fossil Free Penn. En 2018, les Étudiants pour la Justice en Palestine (SJP) de l’université de Chicago ont vu l’installation de leur manifestation complètement vandalisée et leurs biens volés sur le site – l’Université de Chicago a refusé d’entreprendre quoi que ce soit pour tenir les auteurs pour responsables. En 2014, l’administration de Columbia a déchiré une banderole de protestation appartenant à l’organisation Etudiants pour la justice en Palestine (SJP), violant la « très ancienne tradition permettant à toute association étudiante reconnue de Barnard ou de Columbia d’[…]accrocher une banderole annonçant leur événement ».

En plus, les étudiants organisateurs de nos universités font régulièrement face à l’ingérence des administrateurs dans nos initiatives démocratiques. En 2019, bien que les étudiants de l’université Brown aient voté pour qu’elle se désinvestisse de sociétés qui soutiennent l’occupation israélienne, le président de Brown a opposé son veto à leur referendum, agissant à l’encontre de la recommandation du Comité Consultatif de l’école sur la Responsabilité des Entreprises dans la Politique d’Investissement. Cette campagne se poursuit. En 2022, le referendum de Princeton pour boycotter les engins de Caterpillar a été ignoré par le Gouvernement des Étudiants, en dépit du fait que le référendum avait été voté avec une majorité de « Oui » des étudiants. Leur gouvernement étudiant a tenu une élection interne pour déterminer si oui ou non ils maintiendraient l’appel des groupes opposés à annuler les résultats – claire violation de leur mandat démocratique. Dans un esprit tout aussi antidémocratique, le président de Princeton a annoncé qu’ils ne mèneraient aucune action quelle qu’elle soit sur le referendum démocratiquement organisé. Un an plus tard, la même chose s’est passée à Columbia – leur referendum pour se désinvestir de sociétés impliquées dans l’occupation a été rejeté par le président de l’école.Selon les mots de Rashid Khalidi, professeur à Columbia : « le président a fait preuve de mépris pour le processus démocratique ». Simultanément, les étudiants de Barnard College ont vu leur référendum obtenir la majorité des voix et être ensuite rejeté par leur président, Sian Beilock – maintenant président élu de Dartmouth College.

Ces attaques dépassent largement les seuls étudiants : les professeurs de nos universités qui parlent du colonialisme de peuplement israélien sont fréquemment punis pour avoir exercé leur liberté académique. En 2021, Cornel West s’est vu refuser sa titularisation à Harvard, en partie à cause de son soutien aux droits fondamentaux des Palestiniens. En 2017, Bruce Duthu, professeur d’Études Amérindiennes à Dartmouth a fait l’objet d’une longue campagne de diffamation par les professeurs et le personnel pro-Israël qui ont prétendu que son soutien aux Palestiniens était antisémite. En 2006, Juan Cole, professeur d’histoire qui avait été approuvé en tant que professeur par de nombreux départements, s’est vu refuser sa titularisation à Yale pour avoir critiqué l’occupation israélienne et la guerre des États-Unis en Irak. En 2014, l’aumônier Bruce Shipman a été lui aussi obligé de démissionner de Yale pour avoir critiqué le siège d’Israël sur Gaza.

Selon notre expérience, la principale raison pour laquelle s’exprimer en faveur de la paix est dangereux, c’est parce que l’accusation d’antisémitisme est devenue un fourre-tout utilisé pour faire taire la critique d’Israël. Il va sans dire que cette tactique est fallacieuse et irresponsable. L’antisémitisme fait spécifiquement référence aux préjugés ou à la persécution contre les gens de foi ou d’origine juive. Arguer que la critique de l’État d’Israël tombe sous cette définition c’est, par conséquent, arguer que judaïsme et sionisme sont identiques, ce qui implique qu’on ne peut être juif sans soutenir la violence de l’État d’Israël et que ceux qui soutiennent Israël et ses crimes ne peuvent absolument pas être antisémites. Aucune de ces déclarations n’est juste : beaucoup de militants juifs soutiennent la libération des Palestiniens et beaucoup de Sionistes chrétiens ont été clairement identifiés comme antisémites.

Mais ce n’est pas tout, de fausses accusations d’antisémitisme sont activement dangereuses, particulièrement dans le contexte politique actuel. Les opinions antisémites sont indubitablement en hausse dans le monde, et les prétentions de ce genre ne servent qu’à brouiller les cartes, rendant les véritables exemples d’antisémitisme plus difficiles à identifier et à combattre. En réalité, ces allégations infondées n’aident pas les Juifs mais ne servent qu’à détourner du problème fondamental : les Palestiniens sont les victimes de l’occupation militaire moderne la plus longue au monde, soumis dans leur vie quotidienne à des violations routinières de la Convention de Genève, et se voient dénier tous les jours leurs droits fondamentaux au nom d’un ethnonationalisme raciste. Très majoritairement, ce sont eux qui souffrent sous le statu quo et c’est leur situation qui exige qu’on agisse. De toute évidence, leur situation est désastreuse – à la fois en Palestine et en exil.

Pourtant, sur cette toile de fond de répression, il y a une petite lueur d’espoir. Comme nous l’a dit le professeur Cavallaro dans sa déclaration : « Les temps changent – suite à la pression publique, Ken a pu récupérer son poste, et il y a une reconnaissance croissante dans le monde qu’il s’agit d’apartheid. De plus en plus de gens s’unissent pour exiger les droits fondamentaux pour les Palestiniens. » Avec ses mots à l’esprit, nous nous tenons fermement solidaires de Jim Cavallaro et de Kenneth Roth, et nous réfutons les mensonges des campagnes de dénigrement qui ont été formulés contre à la fois eux et nous. Leur mission est notre mission : un monde meilleur, libéré de l’occupation. Jusqu’à ce qu’on y parvienne, ils ne se tairont pas, et nous non plus.

Solidairement,

La Coalition Ivy Plus Palestine

(toutes les organisations ci-dessous ont signé cette déclaration et approuvé sa publication)

° La Coalition Palestine Solidarité des Étudiants de Dartmouth

° Yalies4Palestine

° Étudiants de Cornell pour la Justice en Palestine

° Comité de Princeton sur la Palestine

° Étudiants de Brown pour la Justice en Palestine

° Étudiants de Columbia pour la Justice en Palestine

° Comité Palestine Solidarité de Harvard

° Penn Contre l’Occupation

° Étudiants pour la Justice en Palestine à l’Université de Chicago