Les professeurs de l’université de Tel Aviv condamnent l’accord avec une école de médecine des colonies

[Note de l’AURDIP : L’Université de Tel Aviv peut-elle continuer à recevoir des grants européens dans le respect des « lignes directrices relatives à l’éligibilité des entités israéliennes établies dans les territoires occupés par Israël depuis juin 1967 et des activités qu’elles y déploient aux subventions, prix et instruments financiers financés par l’UE à partir de 2014 » (2013/C 205/05 ; JOUE du 19.7.2013 C 205/9 à C 205/11)?]

L’accord permettra aux étudiants de l’université d’Ariel d’avoir une formation clinique dans les hôpitaux affiliés de l’Université de Tel Aviv. ‘Nous sommes obligés de soutenir l’occupation.’

La Faculté de Médecine Sackler de l’université de Tel Aviv a signé un accord d’échange d’étudiants avec l’université d’Ariel, située dans la colonie d’Ariel en Cisjordanie occupée. Cet accord permettra aux étudiants de l’Ecole de Médecine de l’université d’Ariel d’être envoyés dans des hôpitaux affiliés à l’université de Tel Aviv pour leur formation clinique.

Le porte-parole de l’université de Tel Aviv Tomer Velmer a laissé entendre que l’accord avait été signé à la suite de pressions externes du Conseil israélien de l’Enseignement Supérieur, organe de surveillance des universités et des collèges d’Israël qui est dirigé par le ministre de l’Education. Cependant, le Conseil nie avoir exigé ou obligé l’université de Tel Aviv à accepter cette coopération.

Le doyen de Sackler, le Professeur Ehud Grossman, a envoyé en septembre 2020 une lettre aux membres du corps professoral pour les informer que l’école de médecine de l’université « commencera à enseigner des étudiants de la faculté de médecine de l’université d’Ariel jusqu’au mois d’août 2021 », conformément à l’accord. Dans sa lettre, Grossman a également expliqué que l’accord avait été conclu « dans le but de maintenir la qualité et le niveau d’instruction et de permettre aux deux parties de fonctionner de façon optimale ».

La Faculté de Médecine Sackler est affiliée à plusieurs hôpitaux du centre du pays, où les étudiants en médecine sont envoyés pendant la phase clinique de leurs études. Au cours de cette formation, les étudiants passent du temps dans divers services hospitaliers à observer les médecins qui enseignent à l’université de Tel Aviv et à suivre l’évolution des patients.

Puisque la faculté de l’université d’Ariel n’est « affiliée » à aucun hôpital, elle a par conséquent besoin de l’aide d’une école de médecine existante pour procurer à ses étudiants un accès clinique. Le manque d’affiliation semble être ce qui a poussé le doyen de l’école de médecine de l’université de Tel Aviv à écrire cette lettre.

Selon une source qui a fait partie des discussions entre le Conseil de l’Enseignement Supérieur et le Comité de Planification et de Budgétisation, sous-comité responsable du financement des institutions d’enseignement supérieur d’Israël, l’université d’Ariel verse à l’université de Tel Aviv une « somme élevée » pour qu’elle enseigne les étudiants d’Ariel. Cette source a demandé à rester anonyme par peur de répercussions. Cependant, les deux universités refusent de dire quelle somme l’université de Tel Aviv tirera de cet accord.

Première école de médecine coloniale d’Israël

L’Ecole de Médecine Adelson à l’université d’Ariel a été ouverte en août 2018. La pierre angulaire de la construction de la faculté, qui a reçu un financement du milliardaire américain pro-colonies Sheldon Adelson, a été posée avant même que l’université d’Ariel ait obtenu l’autorisation nécessaire à la création de la faculté.

D’après les membres du corps professoral de Tel Aviv, l’ouverture de l’école a eu des motifs politiques et a été propulsée par le leader d’extrême droite Naftali Bennett pendant son mandat de ministre de l’Education entre 2015 et 2019. Par exemple, le Comité des Chefs d’Université, organisme bénévole composé de présidents, recteurs et directeurs généraux des universités israéliennes, s’est opposé à la création de cette école. Dans une lettre envoyée au Conseil de l’Enseignement Supérieur, il déclarait que cette décision était précipitée et semblait « dictée par l’échelon politique ».

Trois représentants d’université qui siégeaient au Comité de Planification et de Budgétisation ont déclaré que les actes de Bennett s’apparentaient, à « une intervention politique dans le travail du comité ». Dans un débat tenu en 2019 par le Comité de Planification et de Budgétisation, l’échelon professionnel a exprimé des réserves sur l’ouverture d’une faculté de médecine à Ariel, à cause du manque d’hôpitaux dans la zone où les étudiants en médecine pouraient entreprendre leur formation clinique. « Il était clair qu’Ariel ne possédait pas l’infrastructure ni les capacités, mais l’échelon politique y poussait », dit une source qui était impliquée dans les débats et qui a demandé à rester anonyme par peur de répercussions.

Malgré l’opposition des professionnels, le Comité de Planification et de Budgétisation a approuvé la création de l‘école de médecine d’Ariel. Mais en février 2019, l’avocat général d’Israël a ordonné au comité de réorganiser un vote, après qu’on ait découvert qu’un des membres du comité était promis à une promotion par l’université d’Ariel.

Quelques jours plus tard, le comité a voté la révocation de sa décision d’ouvrir une école de médecine à Ariel. Mais Bennet était déterminé à ne pas abandonner.

Ce même mois de février, le Conseil de l’Enseignement Supérieur de Judée et Samarie – organe habitué à agir sous les auspices du commandant militaire de Cisjordanie, et qui supervisait l’enseignement supérieur en Cisjordanie sous la même autorité que celle du Conseil de l’Enseignement Supérieur en Israël même – s’est réuni pour approuver la création de la faculté à Ariel. Deux jours exactement après le vote, le Conseil de l’Enseignement Supérieur de Judée et Samarie a été dissout, lorsque la Knesset a voté pour mettre l’Université d’Ariel et d’autres institutions sous le contrôle du Conseil de l’Enseignement Supérieur.

En novembre 2019, le Comité de Planification et de Budgétisation a approuvé le budget de l’école, après que le ministre de l’Education d’alors, Rafi Peretz, ait remplacé certains membres du comité pour s’être préalablement opposés à la création de l’école. Avec ça, l’Ecole de Médecine Adelson de l’université d’Ariel était prête à ouvrir officiellement.

‘La coopération oblige les professeurs d’université à soutenir l’occupation’

La lettre du doyen de la Faculté de Médecine Sackler a provoqué du ressentiment chez certains membres du corps professoral de l’université de Tel Aviv. « Ils essaient de blanchir [la question], comme si les territoires occupés et Israël, c’était la même chose », a dit un membre du corps professoral qui a préféré rester anonyme par crainte des répercussions. « Ils veulent s’en tenir à un agenda en apparence non politique quand il est en fait tout à fait politique. Et maintenant, je suis obligé de coopérer à ça. »

Ce membre du corps professoral a expliqué que l’accord l’empêche de choisir de ne pas collaborer avec l’université d’Ariel. « Une fois que nous aurons reçu les étudiants, je ne pourrai pas refuser de les enseigner. Je ne pourrai pas dire aux étudiants d’Ariel ‘n’entrez pas dans le département’ ».

L’Académie pour l’Egalité, organisation qui comprend 600 universitaires d’Israël qui travaillent à promouvoir la démocratisation, l’égalité et l’accès à l’enseignement supérieur pour toutes les communautés qui vivent en Israël, a demandé à Sackler de se retirer de cet accord. Dans une lettre envoyée le 10 janvier à l‘administration de l’université, cette association a dit : « Coopérer avec ce genre d’institution oblige professeurs et étudiants de [l’université] de Tel Aviv à soutenir les colonies et l’occupation, et les oblige à adopter une position politique à laquelle certains [professeurs et étudiants] sont fermement opposés. »

La lettre déclarait que de nombreux financements internationaux de la recherche n’accordent pas de bourses ou de financement aux institutions des territoires occupés. « Il faut se demander si le fait que la Faculté de Médecine de Tel Aviv détourne ses ressources vers l’institution d’Ariel comme faisant partie de ‘l’accord’ en question ne viole pas les conditions attachées à ces financements, dont jouissent les chercheurs de la faculté », puisque les « équipements et le personnel permis par ces financements seront mis à la disposition d’Ariel ».

La lettre déclare en plus que l’université d’Ariel « place les membres du corps professoral et les étudiants qui s’opposent aux colonies et à l’occupation devant un dilemme impossible », et que l’accord « viole leurs droits les plus fondamentaux ». La lettre insiste pour dire qu’il y a une « différence substantielle » entre les conférenciers qui collaborent individuellement avec Ariel et un « processus collectif au nom de la faculté tout entière ».

Les conférenciers chevronnés de l’université de Tel Aviv se sont aussi étonnés de ce que la décision de collaborer avec Ariel n’ait pas fait l’objet d’une discussion au conseil académique de l’université qui, entre autres choses, approuve les nouveaux programmes d’études. L’université a expliqué que l’accord ne faisait pas partie d’un nouveau programme, mais permettrait plutôt à Ariel d’utiliser leurs installations cliniques dans les divers hôpitaux affiliés. Pourtant, selon le membre du corps professoral de Sackler, les membres du corps professoral d’Ariel utiliseront vraisemblablement les ressources qui appartiennent aux médecins et aux patients de l’université de Tel Aviv.
Le porte-parole de l’université de Tel Aviv, Tomer Velmer, a laissé entendre que le Conseil de l’Enseignement Supérieur avait obligé l’université à signer cet accord avec Ariel. « L’accord a été signé il y a plus d’un an, après que l’ouverture d’une école de médecine à Ariel ait en principe été approuvée par le Conseil de l’Enseignement Supérieur », a dit Velmer. « L’accord a été exigé à la demande du Conseil et du Comité de Planification et de Budgétisation. »

Le Conseil de l’Enseignement Supérieur propose une version différente des événements. « L’accord n’exige pas l’autorisation du Comité de Planification et de Budgétisation », a dit Beata Krantz, porte-parole du Conseil, « mais c’est plutôt le comité à qui on demande de s’assurer pendant le processus d’autorisation qu’il y ait assez de places de stage pour les étudiants qui commencent leurs études, et on demande par conséquent à l’université d’Ariel de se présenter devant le comité là où il était prévu de mener les stages. Le Comité de Planification et de Budgétisation lui non plus ne requiert ni n’exige la signature de l’accord, et les institutions jouissent de la liberté académique pour faire ce qu’elles veulent dans ce contexte ».

En d’autres termes, le Conseil de l’Enseignement Supérieur déclare qu’il n’a jamais exigé que l’université de Tel Aviv signe cet accord et que les deux institutions sont parvenues à s’entendre afin que les étudiants en médecine d’Ariel puissent trouver un endroit où mener leur formation pratique.

Le commentaire de Velmer n’a pas traité de une inquiétude soulevée par l’Académie pour l’Egalité au sujet des dotations des fondations internationales pour la recherche telles que le Conseil Européen de la Recherche et la Fondation Scientifique Binationale U.S.-Israël, qui toutes les deux refusent de financer les projets académiques de recherche au-delà de la Ligne Verte. Le projet Horizon 2020 de l’UE – financement de 80 milliards d’euros sur sept ans, qui apporte un soutien financier à la recherche, au développement technologique et à l’innovation – fait aussi référence à la Cisjordanie et à Jérusalem Est comme à des territoires occupés, ce qui fait que ces zones ne sont pas incluses dans son accord avec Israël.

« La formation clinique des étudiants d’Ariel ne fera pas de tort au haut niveau de la formation clinique de la Faculté de Médecine de l’université de Tel Aviv », a dit Velmer dans sa réponse.

« Selon l’accord, les hôpitaux en question ne sont affiliés qu’à l’université de Tel Aviv, et l’affectation des étudiants est déterminée par le doyen de la faculté de médecine de l’université de Tel Aviv en tenant compte des besoins et de la capacité des hôpitaux », a dit Velmer. « Il faudrait souligner que, selon cet accord, la formation des étudiants se fait séparément, Ariel n’utilisant les hôpitaux que lorsqu’ils ne servent pas à l’université de Tel Aviv et, de toutes façons, comme établi, aucun tort ne sera fait à la formation des étudiants de l’université de Tel Aviv. »

La porte-parole de l’université d’Ariel, Naama Cohen Yehezkely, a répondu en déclarant que « le but de l’accord signé il y a quelques années entre les universités est de s’assurer que la formation des étudiants en médecine soit optimale et professionnelle, dans le cadre de l’effort national pour augmenter le nombre de médecins en Israël, tout en donnant aux jeunes gens et jeunes femmes une véritable opportunité pour étudier la médecine en Israël ».