Les images filmées à ce jour ne prouvent pas que le complexe de Gaza était un centre névralgique pour les attaques sur Israël, comme l’a prétendu l’armée.
Avant leur prise de l’hôpital Dar al-Shifa, les Forces de Défense Israéliennes se sont donné beaucoup de mal pour dépeindre le complexe médical comme un quartier général du Hamas, d’où étaient planifiées ses attaques sur Israël.
Les preuves fournies jusqu’ici sont très loin d’y parvenir. Les vidéos des FDI n’ont montré que de modestes collections d’armes de petit calibre, principalement des fusils d’assaut, récupérées dans le vaste complexe médical.
Ceci suggère une présence armée, mais pas le genre de centre névralgique élaboré décrit dans les graphiques présentés aux médias avant la prise d’al-Shifa, décrivant un réseau de chambres souterraines très bien équipées.
Même les vidéos produites jusqu’ici ont soulevé des questions qui sont en cours d’examen. Une analyse faite par la BBC a trouvé que l’enregistrement d’un porte-parole des FDI montrant la découverte apparente d’un sac contenant une arme derrière une machine IRM avait été fait des heures avant l’arrivée des journalistes auxquels il était supposé le montrer.
Dans une vidéo montrée plus tard, le nombre d’armes dans le sac avait doublé. Les FDI ont prétendu que leur vidéo de ce qu’ils avaient trouvé dans l’hôpital était inédite, filmée en une seule prise, mais l’analyse de la BBC a découvert qu’elle avait été éditée.
Les forces israéliennes disent qu’elles continuent d’explorer attentivement le site. La présentation de la vidéo d’al-Shifa a montré que les principales installations sont profondément en sous-sol, et il est tout à fait possible que les soldats israéliens n’y soient pas encore arrivés et qu’il y ait peut-être encore beaucoup plus à découvrir. Mais la tentative pour présenter comme significatif ce qui a été trouvé jusqu’ici ne peut qu’alimenter le scepticisme à propos de tout ce qui sera présenté plus tard.
On se pose des questions sur quelle proportion de leur présentation graphique du réseau souterrain d’al-Shifa s’est fondée sur ce qu’Israël connaissait déjà ; leur propre architecte y avait construit une vaste zone en sous-sol la dernière fois qu’Israël occupait directement Gaza, jusqu’en 2005.
Tout ceci est important au regard des conventions de Genève, qui interdisent des opérations militaires contre les hôpitaux à moins qu’ils « ne soient utilisés pour commettre, hors de leurs devoirs humanitaires, des actions nuisibles pour l’ennemi ».
Israël a ratifié les conventions de Genève en 1951 et déclare observer le principe de proportionnalité conforme au droit humanitaire international, selon lequel l’avantage direct attendu d’une opération militaire est supérieur aux dommages sur les civils, conséquence à laquelle on peut raisonnablement s’attendre. Son respect de ces principes, c’est ce qui est en cause.
« Israël n’a pas réussi à fournir le moindre début de preuve requise pour justifier l’exception restreinte selon laquelle on peut cibler des hôpitaux selon les lois de la guerre », a dit Mai El-Sadany, avocat des droits de l’homme et directeur général de l’Institut Tahrir pour la Politique du Moyen Orient à Washington.
« Dans le cas rare où la protection serait levée, Israël devrait fournir aux civils une chance significative d’évacuer et, même alors, tout civil qui resterait dans l’hôpital après l’ordre d’évacuation serait cependant protégé par les règles de proportionnalité », a ajouté El-Sadany. « A toutes les étapes de cette évaluation juridique, Israël est atrocement loin d’être à la hauteur. Il a fourni des photos et des enregistrements vidéo qui sont loin de correspondre à ses déclarations initiales. »
A un certain point, on pourrait soumettre ces questions à un jugement officiel. Israël ne reconnaît pas la Cour pénale internationale, mais la cour reconnaît la Palestine en tant que membre et elle a mené une enquête pour possible crimes de guerre et crimes contre l’humanité depuis 2021 dans les territoires palestiniens occupés.
Tout jugement de ce genre n’interviendrait pas avant des années. Plus immédiatement et directement, les détails du raid sur Shifa ont un impact sur le climat international dans lequel Israël conduit sa guerre. Des pays tels que le Royaume Uni, l’Allemagne et, de façon encore plus importante, les États-Unis, ont résisté aux appels à un cessez-le-feu sous prétexte que les actions d’Israël constituent une légitime défense. Chaque journée sans preuve évidente fournie par le raid rend cet argument plus difficile à poursuivre.
L’administration Biden a non seulement défendu les opérations d’Israël, mais a présenté des arguments fondés sur ses propres renseignements concernant l’hôpital. John Kirby, porte-parole de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, a défini la prétendue installation du Hamas en ce lieu comme un « nœud » de commandement plutôt qu’un centre, et un possible stockage d’armes.
L’absence de preuves jusqu’ici commence à rappeler les défaillances passées du renseignement américain, spécialement dramatiques quand elles ont précédé l’invasion de l’Irak. Elle isole encore plus Washington sur la scène mondiale et approfondit les désaccords déjà importants au sein de l’administration elle-même.