La liste onusienne de 112 compagnies impliquées dans l’occupation israélienne est une étape importante pour que les entreprises soient tenues de rendre des comptes. Cependant, son approche limitée et son cadre temporal restreint laissent de côté des centaines d’entreprises complices et des structures plus larges de dépossession.
Le 12 février 2020, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR) a publié une liste longtemps attendue de compagnies complices de l’entreprise de colonisation d’Israël, considérée comme illégale par le droit international [[Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. A/HRC/43/71, février 2020.]]. Cette liste de 112 compagnies incluent des sociétés multinationales de premier plan, comme Airbnb, Motorola Solutions et JCB, ainsi que toutes les banques israéliennes importantes, qui fournissent l’infrastructure financière à l’occupation en cours des terres palestiniennes [[Who Profits. Financing Land Grab: The Direct Involvement of Israeli Banks in the Israeli Settlement Enterprise. février 2017.]]. C’est un bond en avant dans la bonne direction afin de s’assurer que les entreprises soient tenues pour responsables de complicité avec les violations par Israël du droit international et des droits palestiniens.
L’inclusion des entreprises sur la liste a été déterminée sur la base de leur implication dans l’une au moins des activités listées ci-dessous, dans un cadre de temps spécifique, du 1er janvier 2018 au 1er août 2019 [[Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. A/HRC/43/71, février 2020.]] :
(a) La fourniture d’équipement et de matériaux faciliant la construction et l’extension des colonies et du mur, et des infrastructures associées ;
(b) La fourniture d’équipements de surveillance et d’identification pour les colonies, le mur et les checkpoints directement reliés aux colonies ;
(c) La fourniture d’équipement pour la démolition des habitations et des propriétés, la destruction de fermes agricoles, de serres, d’oliveraies et de cultures ;
(d) La fourniture de services, d’équipements et de matériels de sécurité aux entreprises opérant dans les colonies ;
(e) La fourniture de services et de commodités aidant à la maintenance et à l’existence des colonies, y compris les transports ;
(f) Les opérations bancaires et financières aidant à développer, à étendre ou à maintenir les colonies et leurs activités, y compris des prêts pour le logement et le développement des commerces ;
(g) L’utilisation de ressources naturelles, en particulier de l’eau et des terres, à des fins commerciales ;
(h) La pollution et le déversement de déchets dans des villages palestiniens ou leur transfert dans ces villages ;
(i) La capture de marchés financiers et économiques palestiniens, ainsi que les pratiques qui désavantagent les entreprises palestiniennes, y compris par des restrictions de mouvement ou des contraintes administratives et juridiques ;
(j) L’utilisation de bénéfices et de réinvestissements d’entreprises appartenant partiellement ou en totalité à des colons pour développer, étendre et maintenir les colonies.
La liste des critères d’inclusion dans la base de données, bien qu’elle ne soit pas exhaustive, couvre une large gamme d’activités commerciales. Particulièrement remarquable est l’inclusion de la capture des marchés financiers et économiques palestiniens et des pratiques qui désavantagent les compagnies palestiniennes, ce qui constitue une étape importante pour aborder la question de la dépendance structurelle sous l’occupation. Cependant, le rapport a indiqué qu’aucune entreprise commerciale satisfaisant au critère d’implication dans cette activité n’avait été identifiée, bien que la liste comprenne des sociétés comme Altice et Bezeq – la société des télécoms d’Israël, qui bénéficie de la captivité structurelle de l’industrie cellulaire palestinienne, ou les banques israéliennes majeures, qui bénéficent de la soumission de l’industrie bancaire palestinienne aux devises israéliennes.
De plus, la liste n’est absolument pas complète, étant donné, dans les termes mêmes du Bureau des droits humains des Nations Unies, qu’elle « ne s’étend pas aux activités commerciales plus générales dans les Territoires palestiniens occupés qui peuvent soulever des inquiétudes en matière de droits humains[[Ibid.]]». Cette approche limitée et le cadre temporal restreint (janvier 2018-août 2019) échouent à situer les colonies comme éléments d’une structure plus vaste de dépossession et de violation des droits et négligent l’impact cumulatif dommageable de certaines pratiques commerciales, comme l’exploitation des ressources occupées. Ce faisant, les Nations Unies ne parviennent pas à respecter leurs propres directives sur la responsabilité sociale et celle des entreprises.
Des 112 compagnies, 94 sont israéliennes et 18 seulement sont internationales. Des sociétés internationales complices importantes, comme le conglomérat allemand HeidelbergCement, qui a exploité une carrière en Cisjordanie depuis plus de 13 ans, ont été omises. Comme le montre la recherche menée par Who Profits et d’autres organisations et campagnes de la société civile, des centaines de sociétés profitent de l’occupation par Israël des terres palestiniennes et syriennes. La base de données vérifiée de Who Profits liste plus de 400 compagnies qui sont impliquées dans diverses activités reliées à l’occupation.
Le rapport adopte aussi une approche timide à la question des démolitions en stipulant que « l’équipement doit être spécifiquement fourni ‘pour’ les activités particulières de démolition[[Ibid.]] ». Cela rend excessivement facile aux entreprises d’échapper à leurs responsabilités pour les utilisations de leur équipement. Rien qu’en 2019, Israël a démoli 265 structures à Jérusalem-Est et 256 structures en Cisjordanie, outre la démolition de 14 unités d’habitation à titre punitif[[B’tselem. Israeli House Demolitions Spiked in 2019 Compared to Previous Years. janvier 2020.]]. Pourtant la liste n’inclut aucune compagnie pour cette activité spécifique.
Malgré ces limitations, la liste publiée par les Nations Unies est une étape importante et concrète afin de garantir que les sociétés soient tenues responsables pour leur contribution aux violations des droits humains.