Les juges de la Haute Cour savent qu’Israël ne fera pas l’objet de sanctions au sujet des expulsions de Masafer Yatta

Cette décision a été diffusée la veille du Jour de l’Indépendance, où les Juifs célèbrent la création de l’État d’Israël et où les Palestiniens pleurent la perte de leur pays natal.

A partir de ce matin, à n’importe quel moment, l’Administration Civile, les Forces de Défense Israéliennes, la Police des Frontières et la police ordinaire sont autorisées à envoyer des dizaines – et même plus si elles l’estiment nécessaire – de soldats et de policiers dans huit villages de Massafer Yatta et, avec leurs armes pointées sur eux, de mettre sur des camions et des bus des centaines de leurs résidents – les vieux, les jeunes, femmes et bébés. Et ceci se fera avec un sceau d’approbation de la Haute Cour de Justice d’Israël.

A partir d’aujourd’hui, les sous-traitants qui travaillent pour l’Administration Civile, accompagnés d’agents de la fonction publique et de soldats, ont l’autorisation de détruire non seulement une drôle de petite cabane ou un enclos pour le bétail, mais des dizaines de logements, dont les cavernes qui ont été creusées dans le rocher pour servir de résidence bien avant la création de l’État d’Israël. Tout ceci est rendu possible par une décision des juges David Mintz, Isaac Amit et Ofer Grosskopf de rejeter les pétitions remplies par les résidents de Massafer Yatta contre leur déplacement permanent.

La décision a été publiée sur le site internet de la Cour Suprême, la veille du Jour de l’Indépendance où les Juifs célèbrent la fondation de l’État d’Israël et où les Palestiniens pleurent la perte de leur pays natal, leur expulsion et leur transformation en réfugiés. Les Juges de la Haute Cour ne pouvaient avoir mieux calculé la publication de leur décision d’approuver une expulsion et de mettre fin au mode de vie de ces Palestiniens – mode de vie qui s’est organisé sur plus d’un siècle et qui se caractérise par des interconnexions familiales, économiques, sociales et culturelles et des dépendances au sein des villages et entre eux et le centre urbain le plus proche. La destruction de huit des quelques 14 villages va détruire le tissu historique et géographique de la vie dans cette zone.

Dans le débat historique pour savoir si Israël est, dans son essence et par nature, une entité coloniale de peuplement, les juges ont exprimé une position ferme : C’est très certainement le cas. Parce que l’essence du colonialisme de peuplement, c’est qu’une population immigrante prenne possession de la terre tout en expulsant ses autochtones (dans le cas le plus extrême, en commettant un génocide), en niant leur lien avec la terre et en les excluant totalement du nouvel ordre politique créé par les immigrants. Dans ce contexte, où la population indigène n’a pas la parole ni aucun droit, il est naturel pour les nouveaux dirigeants de décider qu’u certain terrain est nécessaire à son armée. Ou peut-être plus de colons. Ou peut-être les deux. La transformation de Massafer Yatta en Zone de Tir 918 n’est qu’un autre pallier dans un processus qui dure depuis plus d’un siècle entre le Jourdain et la Méditerranée et qui sert d’illustration à la continuité de la politique israélienne.

Les juges ont repoussé de façon méprisante les preuves fournies par les résidents – témoignages oraux, documents et preuves physiques de la véritable zone – attestant de leur connexion, passée et présente, à ce lieu. Et en fait, le rejet de la mémoire historique et familiale de la population indigène est une part essentielle d’un ordre politique colonial de peuplement, dans lequel on n’accorde aucune considération à sa parole ou à son passé. Les juges ont adopté avec enthousiasme la position de l’État, qui maintenait que les résidents de Massafer Yatta n’avaient envahi la zone qu’après que l’armée l’ait déclarée zone d’entraînement en 1980. En d’autres termes, selon le Bureau du Procureur de l’État et la Haute Cour, une population de cultivateurs et de bergers, qui mènent une vie très simple, a comploté en toute mauvaise foi pour empêcher la zone d’être transformée en terrain d’entraînement militaire, choisissant de vivre dans un endroit sans eau courante ni électricité ni routes d’accès goudronnées et sans autorisation de construire.

Les juges ont choisi d’ignorer la façon dont les villages et hameaux palestiniens étaient apparus et avaient été créés au cours des siècles. Lorsque la population grandit et que le nombre de moutons et de chèvres se multiplie, certains résident d’un village s’en iront vers d’autres pâturages et d’autres sources d’eau et agrandiront progressivement les terres qu‘ils travaillent, connues et acceptées comme étant celles de leur village. Des grottes pouvaient initialement servir de logement et, avec le temps, alors que la population grossit dans ces extensions et que les besoins changent, des constructions plus simples sont édifiées, dont des constructions publiques, telles que des écoles et des routes d’accès. Le village d’origine devient une ville, ou même une cité.

Après 1967, Israël a résolument décidé de mettre un terme à ces processus évolutifs en Cisjordanie. Déclarer des régions zones de tir fut un des moyens pour y parvenir. Construire des colonies et voler plus de terre et de ressources en eau en fut un autre. La Haute Cour a choisi de feindre l’ignorance et de dénigrer la signification historique d’un document soumis par l’Association pour les Droits Civiques en Israël : recommandation d’Ariel Sharon, alors qu’il était ministre de l’agriculture en 1981 et président du comité ministériel des colonies, disant que l’armée cherchait à étendre sa zone de tir déclarée à Masafer Yatta afin d’empêcher « la descente des paysans arabes de la montagne jusqu’au flanc de la montagne face au désert … et garder cette zone dans nos mains ».

Les défenseurs des villages – Shlomo Lecker et les avocats pour ACRI, Dan Yakir et Roni Pelli – se sont appuyés sur l’article 49 de la Convention de Genève : « Les transferts forcés individuels ou massifs, ainsi que les déportations de personnes protégées d’un territoire occupé au territoire de la puissance occupante ou à celui de tout autre pays, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif. »

Les juges ont rejeté les réclamations des plaignants comme quoi la cour devait honorer cette clause. Le juge Mintz a même affirmé que la Section 49 s’appliquait selon un « accord » et non selon la « coutume » – en d’autres termes, que c’était le résultat d’un accord entre pays et non celui qu’un tribunal dans n’importe lequel de ces États se devait nécessairement d’honorer. Les avocats Michael Sfard et Netta Amar-Shiff (dont le mémoire d’amicus curiae qu’elle avait déposé à la demande du conseil communautaire de Masafer Yatta a été rejeté par le tribunal) ont dit jeudi que les arguments de Mintz étaient infondés ; comme l’a dit Sfard, « Ce n’est rien de moins qu’une honteuse erreur juridique élémentaire. »

Les pétitions originales soumises par Lecker et les avocats d’ACRI en 2000 ont fait suite à l’expulsion de masse par l’armée en novembre 1999, assortie du rasage de maisons,d’enclos, de puits et de grottes qui servaient de logements. Ces expulsions eurent lieu sous Ehud Barak alors Premier ministre et ministre de la Défense, membre du Parti Travailliste, et à un moment où Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine étaient en train de négocier dans ce que le monde appelait alors un processus de paix. La discordance entre un « processus de paix » et une expulsion de masse n’a pas troublé la société israélienne.

La Haute Cour, comme d’habitude, a raté dans les années 2000 l’occasion d’émettre une décision de principe contre les expulsions et d’exiger de l’État qu’il agisse conformément au droit international. Elle s’est alors décidée à une injonction provisoire qui autorisait les résidents à revenir, mais leur interdisait de reconstruire les structures qui avaient été détruites ou de construire de nouveaux logements pour faire face aux besoins d’une population croissante.

Cependant, la Haute Cour a généreusement autorisé l’État à maintes fois reporter sa réponse aux pétitions originales. Pendant ces années, l’Union Européenne a dit clairement qu’elle s’opposait à toute forme de déplacement forcé… Simultanément, les avant-postes illégaux de colons se sont multipliés dans la zone, la terre contrôlée par les colons s’est étendue, ainsi que les méthodes utilisées par l’Administration Civile et les colons pour priver les Palestiniens d’accès à leur terre.

En dépit du fait que l’expulsion de masse et la démolition de villages entiers, maintenant approuvées par la Haute Cour, vont à l’encontre de la position de l’UE et probablement de certains responsables du gouvernement des États-Unis, les juges de la Haute Cour savent très bien qu’Israël ne court aucun danger d’être sanctionné pour sa décision. Ils savent également très bien que le déplacement forcé d’entre 1.200 et 1.800 Palestiniens de leurs maisons ne s’écarte d’aucun des standards qui prévalent maintenant en Israël.