Les États-Unis soutiennent les annexions illégales par Israël et le Maroc. Pourquoi cette hypocrisie ?

L’Amérique doit être cohérente. Elle ne peut se permettre de choisir quand se conformer au droit international.

En décembre dernier, alors que les forces russes encerclaient l’Ukraine, l’administration Biden et ses alliés ont lancé un sévère avertissement à Vladimir Poutine : « Tout usage de la force pour modifier les frontières est strictement interdit par le droit international. » En janvier, alors que les troupes russes s’amassaient en encore plus grand nombre, le Secrétaire d’État Antony Blinken a ajouté que « l’inviolabilité des frontières » faisait partie des « principes directeurs du comportement international ». Le mois dernier, après que le parlement de Russie ait reconnu l’indépendance des deux républiques auto-déclarées que Moscou avait détachées de l’Est de l’Ukraine, Blinken a qualifié cette infraction à « la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine » de violation flagrante du droit international ».

Tout ceci est indiscutablement vrai. Retracer les frontières par la force viole un principe fondamental du droit international. C’est pourquoi l’administration Biden doit faire plus que résister à l’agression russe en Ukraine. Elle doit cesser de violer elle-même ce principe.

En 2019, l’administration Trump a fait des États-Unis le seul pays étranger à reconnaître l’annexion par Israël des Hauteurs du Golan, qu’Israël avait prises à la Syrie pendant la Guerre de 1967. Le professeur de Droit de l’université de Tel Aviv, Eliav Lieblich, a fait remarquer que cette décision – qui a contredit une résolution unanime du Conseil de Sécurité de l’ONU soutenue par les États-Unis eux-mêmes – constituait un « écart majeur hors du socle de l’interdiction juridique de toute annexion unilatérale ». Oona Hathaway, de la Faculté de Droit de Yale, a dit de cette démarche qu’elle était « choquante et potentiellement déstabilisante pour l’ordre international d’après-guerre ». Le gouvernement russe a dit que c’était une « indication du mépris que Washington manifeste pour les règles du droit international ».

Après cette décision de Trump, le Sénateur de l’Illinois Richard Durbin a demandé au Secrétaire d’État Mike Pompeo d’expliquer la différence juridique entre l’annexion du Golan par Israël et l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014, qui avait conduit les États-Unis à imposer des sanctions. Pompeo a répliqué qu’ « il existe une doctrine du droit international sur ce point précis. Nous n’avons pas le temps de commencer à l’examiner aujourd’hui. Mais [je suis] heureux d’avoir une équipe qui poursuivra et vous accompagnera dans cette étude ». Quand des journalistes ont pris la suite, le Département d’État n’a invoqué absolument aucune doctrine du droit international. Au contraire, un porte-parole du département a déclaré, absurdement, que « La politique américaine continue d’être qu’aucun pays ne peut modifier les frontières d’un autre par la force. »

Puis, en 2020, l’administration Trump a continué en faisant des États Unis le seul pays étranger à reconnaître l’annexion par le Maroc du Sahara Occidental, territoire que le Maroc a envahi en 1975 après le retrait de la puissance coloniale espagnole. L’ancien Secrétaire d’État James Baker III a dit de cette décision que c’était un « recul exceptionnel par rapport aux principes du droit international ». Une fois de plus, les États-Unis ont contredit les résolutions du Conseil de Sécurité qu’ils avaient eux mêmes soutenues. Une fois de plus, la Russie a tiré à boulets rouges sur les États-Unis pour avoir transgressé un principe « universellement reconnu comme un droit international ».

Depuis qu’elle a pris place, l’administration Biden n’a renversé->https://www.jpost.com/middle-east/us-no-change-to-policy-recognizing-israeli-sovereignty-on-golan-672052] aucune de ces décisions. Au contraire, les États-Unis continuent de fournir à Israël presque 4 milliards de dollars par an d’aide militaire en l’absence de toute condition sur les droits de l’homme, même alors que [Human Rights Watch et Amnesty International établissent qu’il pratique l’apartheid. L’administration Biden a également augmenté les ventes d’armes au Maroc même alors que l’observatoire de la démocratie basé au Maroc, Freedom House, rapporte que la population du Sahara Occidental jouit de moins de libertés que la population de la Chine ou de l’Iran.

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie donne à l’administration Biden une chance de reconsidérer cette voie dangereuse. Elle peut exploiter la révulsion mondiale actuelle face à l’agression de Poutine pour rétablir le principe selon lequel aucun pays ne devrait redéfinir par la force les frontières d’un autre pays. Mais seulement si elle renverse les décisions de Trump et prouve que les États-Unis sont prêts à vivre selon les normes qu’ils exigent de Moscou. Politiquement, ce ne sera pas facile parce qu’Israël, qui jouit d’un solide soutien à Washington, a profité des deux décisions de Trump – sa décision sur les Hauteurs du Golan et sa décision sur le Sahara Occidental, qui a aidé à convaincre le Maroc de normaliser ses relations diplomatiques avec l’État juif. Mais les normes internationales ne gardent leur force que si les pays les respectent quand elles sont gênantes. Et si les États-Unis choisissent de rester dans l’hypocrisie, cela rendra l’Ukraine, Taïwan et toute autre nation, plus faible et bordée par un voisin rapace, plus vulnérables.

Après que le Secrétaire d’État Pompeo ait défendu la reconnaissance par Trump de l’annexion des Hauteurs du Golan par Israël, le Sénateur Durbin a mis en garde en disant : « Je ne pense pas que l’administration réfléchisse clairement à la façon dont ceci peut bien se terminer. » Il avait raison. L’érosion continuelle de la norme contre une agression internationale ne peut pas bien finir. L’agression de la Russie sur l’Ukraine n’en est que le dernier signe. L’administration Biden peut contenir cette érosion maintenant. Mais à côté de la bataille militaire qu’elle soutient en Ukraine, elle doit mener une bataille politique chez elle.