Le Royaume-Uni accusé d’hypocrisie pour ne pas avoir soutenu la saisine de la CIJ pour génocide à Gaza

Des experts soulignent que la requête auprès de la Cour internationale de justice présentée il y a six semaines au sujet du Myanmar révèle un calcul “totalement insincère”.

L’Afrique du Sud va certainement mettre en évidence les arguments du Royaume-Uni relatifs au Myanmar, formulés conjointement avec le Canada, l’Allemagne, le Danemark, la France et les Pays-Bas, lorsqu’elle présentera son accusation de génocide contre Israël, dont les enjeux sont considérables.

Le Royaume-Uni fait face à des accusations de « deux poids, deux mesures » après avoir soumis en bonne et due forme des arguments juridiques détaillés à la Cour internationale de justice de La Haye, il y a six semaines, à l’appui d’allégations selon lesquelles le Myanmar aurait commis un génocide contre le groupe ethnique des Rohingya, du fait des mauvais traitements infligés massivement aux enfants et des privations systématiques infligées aux personnes quant aux logements et à la nourriture.

Le Royaume-Uni a présenté sa “déclaration d’intervention” de 21 pages aux côtés de cinq autres pays, mais ne soutient pas l’Afrique du Sud qui se prépare jeudi prochain à chercher à convaincre la CIJ qu’Israël court le risque de commettre un génocide contre le peuple palestinien.

La requête du Royaume-Uni relative au Myanmar assure que le seuil de détermination du génocide est plus bas lorsque les préjudices ont été infligés à des enfants plutôt qu’à des adultes. Selon ce document, d’autres actions pourraient être définies comme génocidaires si elles sont systématiques, notamment les déplacements forcés des personnes hors de leurs foyers, la privation de services médicaux et la réduction de l’alimentation au strict nécessaire.

Selon ce document, l’intention de commettre un génocide étant rarement déclarée, le critère utilisé par la Cour ne devrait pas consister en déclarations explicites ou en un décompte des morts, mais en déductions raisonnables tirées d’un ensemble de conduites et d’éléments de preuves.

Israël se défendra devant la Cour internationale de justice, un organe des Nations unies, en affirmant qu’il a cherché à protéger sa population civile en s’efforçant de détruire le Hamas et non le peuple palestinien. Il soutient que ses projets d’après-guerre relatifs à Gaza, comportant une gouvernance sous direction palestinienne, prouvent l’absence d’intention génocidaire.

Selon Tayab Ali, chef du service de droit international au cabinet juridique Bindmans, la requête déposée par le Royaume-Uni sur le Myanmar a l’intérêt de “montrer l’importance accordée par le Royaume-Uni à l’adhésion à la convention [des Nations unies] sur le génocide et [de] montrer qu’elle adopte une définition non pas étroite, mais large, des actes de génocide, et de l’intention de commettre un génocide. Elle a également souligné clairement que la Cour devait tenir compte de la mise en danger des vies après un cessez-le feu en raison des dommages subis, de l’incapacité des personnes à vivre dans leur foyer et de toute une gamme d’injustices.

“Il serait totalement insincère que le Royaume-Uni, six semaines après avoir proposé une définition aussi pertinente et large du génocide dans le cas du Myanmar, adopte maintenant une définition étroite dans le cas d’Israël.”

L’Afrique du Sud va certainement mettre en avant les arguments du Royaume-Uni relatifs au Myanmar, formulés conjointement avec le Canada, l’Allemagne, le Danemark, la France et les Pays-Bas, lorsqu’elle présentera son accusation de génocide contre Israël, dont les enjeux sont considérables.

La requête conjointe de novembre venait à l’appui d’une saisine de la CIJ par la Gambie en novembre 2019 selon laquelle des actes génocidaires avaient eu lieu au cours d’une campagne militaire menée en 2017 par le Myanmar, qui avait conduit 730 000 Rohingya à se rendre dans le Bangladesh, pays limitrophe.

Le Myanmar a toujours nié le génocide, rejetant les conclusions de l’ONU considérées comme “biaisées et erronées”. Il affirme que sa campagne visait les rebelles rohingya qui avaient mené des attaques terroristes dans l’État de Rakhine.

La CIJ a accepté à l’unanimité la requête de la Gambie demandant des mesures provisoires en décembre 2020, et a délivré au Myanmar l’injonction contraignante de mettre fin à ses actes génocidaires et de rendre compte à la Cour des mesures prises pour se conformer à cette injonction.

La CIJ, en décembre 2022, a rejeté l’affirmation du Myanmar selon laquelle la Gambie n’avait pas le droit de déposer cette requête , et elle procède maintenant à une appréciation de l’affaire au fond, autorisant des États nations comme le Royaume-Uni à intervenir au moyen d’arguments juridiques. De nombreux groupes de défense des droits humains ont bien accueilli l’intervention du Royaume-Uni.

Certains des principes essentiels sur la signification du génocide contenus dans la requête conjointe, ainsi que leur pertinence potentielle dans le cas de Gaza, ont également été dégagés aux États-Unis par Robert Howse, professeur à la chaire Lloyd C Nelson de droit international à l’université de New York.

Citons, parmi les passages qu’il met en avant : “Une conception étroite des actes de génocide dissimule la manière dont les meurtres et autres actes liés structurellement peuvent être commis ensemble dans le cadre d’une stratégie coordonnée visant à détruire un groupe protégé.

“Étant donné leur sens ordinaire, les mots ‘destruction physique’ dans l’article 11(c) ne sont pas limités à des cas où les membres du groupe meurent immédiatement en résultat des ‘conditions de vie’ infligées au groupe.”

La requête souligne aussi l’importance des enfants lorsqu’on évalue un génocide. Presque 10 000 enfants, y compris des bébés, ont été tués à Gaza, selon les autorités sanitaires du territoire, soit environ 40% des morts.

La requête relative au Myanmar précise : “le seuil relatif à un ‘préjudice corporel ou psychique grave‘ est plus bas lorsque la victime est un enfant … des actes qui … peuvent ne pas être considérés comme contribuant à la destruction physique ou biologique du groupe lorsqu’ils sont infligés à des adultes, pourraient être considérés comme correspondant à ces seuils lorsqu’ils sont infligés à des enfants.

“Il est important d’adopter une interprétation reconnaissant que, lorsqu’un enfant souffre d’un préjudice atteignant sa capacité à mener une vie normale et constructive, le préjudice subi peut être différent de celui que subirait un adulte.”

La requête rappelle à la CIJ qu’elle a déjà reconnu que l’“Article 11(c) de la Convention couvre des méthodes de destruction physique, autres que le meurtre, par lesquelles l’auteur de ces actes vise en dernière instance à provoquer la mort des membres du groupe.”

Elle précise que des exemples de pareilles conduites reconnus par le Tribunal pénal international pour le Rwanda comportent notamment “la réduction de l’alimentation d’un groupe de personnes au strict nécessaire, l’expulsion systématique des personnes hors de leurs foyers et la réduction des services médicaux essentiels en-dessous du strict minimum”.

Elle affirme : “Lorsqu’on examine la privation de nourriture ou le fait d’imposer une alimentation minimale, il faut considérer que la quantité de nourriture qui entraînerait en fin de compte la mort d’un adulte est différente de celle qui entraînerait la mort d’un enfant. De même, les besoins médicaux des enfants sont différents de ceux des adultes, et on doit tenir compte de ces différences lorsqu’on se demande si l’absence de tel ou tel service médical entraînerait des conditions de vie propres à causer la destruction de membres spécifiques du groupe.”

Selon une fuite vers le site étatsunien d’information Axios, Israël a déjà ordonné à ses diplomates de construire une opposition internationale à la démarche sud-africaine, soulignant qu’une décision défavorable “pourrait potentiellement avoir des implications importantes ne se limitant pas à l’univers juridique, mais susceptibles d’avoir des ramifications bilatérales, multilatérales, économiques et en matière de sécurité”.

Le gouvernement israélien cherche également à se dissocier de certaines des remarques les plus extrêmes relatives au déplacement des Palestiniens hors de Gaza faites par des ministres et des politiciens élus.

Le ministère des Affaires étrangères a été contacté afin d’obtenir des commentaires.