Le monde universitaire à Gaza a été détruit par l’« éducide » israélien 

Les universitaires palestiniens déplorent le « ciblage délibéré » de l’enseignement supérieur mais se jurent de le reconstruire une fois la guerre terminée.

Israël a été accusé de cibler délibérément les universités et les universitaires de Gaza dans le cadre d’une stratégie baptisée « éducide ». 

Après la démolition contrôlée de l’université Al-Israa, dont l’enregistrement par l’armée israélienne a été largement partagé sur les réseaux sociaux, on pense que chacune des institutions d’enseignement supérieur à Gaza a été soit détruite soit sévèrement endommagée depuis le début de l’invasion.

Samia Al-Botmeh, assistante en économie à l’université Bir-Zeit en Cisjordanie, a dit à Times Higher Education que l’effort élaboré pour détruire de grands bâtiments publics tels qu’Al-Israa montrait qu’il ne pouvait que faire partie d’un plan délibéré pour rendre Gaza « inhabitable ».

«  La destruction du secteur de l’éducation fait partie de cette stratégie globale de destruction de tous les aspects des services à Gaza qui y rendent la vie possible », a-t-elle dit. 

Des chiffres récents de Euro-Med Human Rights Monitor [Veille Euro-Med sur les droits humains] montrent que l’action militaire israélienne a tué au moins 94 professeurs d’université à Gaza depuis que le pays a entamé ses représailles face aux attaques du 7 octobre par le Hamas, ainsi que des centaines de maîtres de conférences et des milliers d’étudiants.

L’organisation a affirmé qu’Israël avait « ciblé des personnalités universitaires, scientifiques et intellectuelles dans la Bande de Gaza au cours de raids aériens spécifiques et délibérés sur leurs maisons, sans avertissement préalable ». 

Neve Gordon, professeur israélien de droit relatif aux droits humains à l’université Queen Mary de Londres, a dit que « le monde universitaire a été détruit » à Gaza dans le cadre d’un « éducide ». 

« Il faudra de 10 à 20 ans pour se remettre des dommages causés pendant trois mois », a dit le professeur Gordon, vice-président de la British Society for Middle East Studies [Société britannique pour les Études sur le Moyen-Orient].

Israël a défendu le bombardement de certaines universités en affirmant qu’elles étaient utilisées comme camps d’entrainement par le Hamas, mais Dr Al-Botmeh a dit que l’éducation était ciblée parce qu’elle était « un mécanisme de survie » pour les Palestiniens. 

« Nous le voyons comme un mécanisme de résistance et, bien sûr, Israël comprend cela, donc essaie de saper notre capacité à survivre, à résister et notre capacité à continuer comme peuple », a-t-elle dit.

Dr Al-Botmeh a dit que les attaques dépassaient Gaza, le personnel et les étudiants d’institutions de Cisjordanie étant aussi emprisonnés et les étudiants palestiniens dans des universités israéliennes étant radiés.

« Cela rendra difficile le processus en termes de reconstruction, mais cela ne nous arrêtera pas », a-t-elle dit. « Les peuples du monde entier ne sont pas brisés par les colonisateurs ». 

Elham Kateeb, doyenne de la recherche scientifique à l’université Al-Quds, a dit que toutes les universités palestiniennes de Cisjordanie donnaient des enseignements à distance et avaient ajusté l’enseignement en présentiel pour prendre en compte les inquiétudes à propos de la sécurité sur les routes et les problèmes aux checkpoints. 

« Malgré les obstacles, les universités peuvent jouer un rôle crucial en guidant les Palestiniens vers leurs objectifs et la construction d’un État », a-t-elle dit. « Cet engagement est intégré au coeur de leurs missions d’enseignement, de recherche et de service à la communauté. »

« Les universités palestiniennes ont été pionnières historiquement pour façonner l’identité nationale, encourager la résilience et contribuer au développement de la communauté. Cependant, sans un fondement de justice et de liberté, ce rôle devient plus compliqué. » 

Wesam Amer, doyen de la Faculté de Communication et des Langues à l’université de Gaza, a dit que les universitaires palestiniens qui survivaient devraient affronter des traumatismes graves et des problèmes psychologiques. 

Mais Dr Amer, qui a été évacué vers l’Allemagne avec sa famille, a admis qu’il était difficile de penser à l’enseignement supérieur à un moment où de nombreux universitaires sont focalisés sur la recherche de nourriture, d’abri et de sécurité pour leurs proches. 

« Il ne s’agit pas de la vie universitaire — bien sûr, elle est très importante et a été terriblement affectée par la guerre — mais je pense que nous avons besoin de beaucoup de soutien pour reconstruire », a-t-il déclaré. « Le premier objectif est de mettre fin à cette guerre — aujourd’hui, pas demain. »

patrick.jack@timeshighereducation.com