Le « Jewish Chronicle », plus vieux journal juif du monde, reconnaît avoir publié des « fake news » sur la guerre à Gaza

La direction a écarté un journaliste de cet hebdomadaire basé à Londres, soupçonné de distiller des fausses informations qui légitimaient la position du premier ministre israélien face au Hamas.

Le coup est dur pour la réputation du Jewish Chronicle, considéré comme le plus ancien journal juif au monde – cet hebdomadaire est publié sans discontinuer depuis 183 ans. Basé à Londres et rédigé en langue anglaise, la direction a reconnu, vendredi 13 septembre, que les informations signées de l’une des plumes de l’hebdomadaire, Elon Perry, récemment recruté, n’étaient pas fiables et que ses articles avaient été retirés du site Web.

« Le Jewish Chronicle a conclu une enquête approfondie concernant le journaliste indépendant Elon Perry, qui a démarré après que des allégations ont été formulées sur certains aspects de son travail. Même si nous comprenons qu’il a servi dans les forces de défense israéliennes, nous ne sommes pas satisfaits de certaines de ses affirmations. Nous avons donc supprimé ses articles de notre site Web et mis fin à toute collaboration avec M. Perry », précise sur son site la direction du journal. Cette dernière assure « regretter profondément la chaîne d’événements » ayant conduit à la publication d’articles aux informations douteuses, et s’excuse auprès de ses « fidèles lecteurs ».

Recruté il y a quelques mois, Elon Perry a tout récemment signé une série de scoops, dont l’un, le 5 septembre, s’appuyant sur des « sources venues du renseignement » israélien, détaillant un supposé plan du chef du Hamas, Yahya Sinouar, pour s’échapper de la bande de Gaza par le corridor de Philadelphie, le long de la frontière entre Gaza et l’Egypte. L’information, explosive, donnait soudain du crédit aux affirmations de Benyamin Netanyahou, formulées la veille, lors d’une conférence de presse. Le premier ministre israélien y insistait sur la nécessité de maintenir une présence militaire israélienne à la frontière entre Gaza et l’Egypte, une exigence que beaucoup, en Israël, considèrent comme un frein à la conclusion d’un accord de cessez-le-feu et de libération des otages détenus à Gaza.

« Dérive à droite »

Repris et amplifié par les médias d’extrême droite israéliens, et partagé sur les réseaux sociaux par Yaïr Nétanyahou, le fils du premier ministre, le scoop du Jewish Chronicle a cependant vite été remis en question par les journalistes israéliens. Les informations d’Elon Perry ayant été considérées comme sans fondement par un porte-parole de l’armée, Daniel Hagari. Le journal d’investigation +972 fait par ailleurs le lien avec un autre article, paru début septembre dans le quotidien allemand Bild, distillant des informations « fabriquées » sur la stratégie du Hamas, qui ne considérerait pas la recherche d’un cessez-le-feu comme une priorité.

Citant les investigations de la chaîne de TV israélienne Channel 13 sur les états de service d’Elon Perry (ce dernier, sur son site Web, prétend avoir fait partie de commandos de l’armée israélienne ayant combattu à Gaza), le magazine +972 avance même la thèse d’une campagne pro-Nétanyahou. Il cite le très expérimenté journaliste Shlomi Eldar qui n’hésite pas, sur X, à pointer des « fuites » venues directement du cabinet du premier ministre israélien pour « influencer » la presse étrangère.

Jenny Manson, coprésidente de l’association Jewish Voice for Labour (rassemblant des Britanniques juifs défendant la cause palestinienne), juge « très choquant » que le Jewish Chronicle ait pu publier de telles fausses informations. Elle n’est pour autant pas surprise : « Je suis juive laïque, de gauche, et très fière de mes racines juives. Le Jewish Chronicle fut un journal très longtemps respecté par ma famille. Mais sa dérive à droite a commencé il y a déjà des années, et elle est devenue criante, quand le journal a multiplié les accusations d’antisémitisme contre Jeremy Corbyn », témoigne au Monde Jenny Manson. L’ex-chef du Labour a été exclu de son propre parti par son successeur, Keir Starmer, désormais premier ministre, qui lui reprochait de n’avoir pas assez condamné les comportements antisémites au sein du mouvement quand il en était le chef.

Dimanche 15 septembre, quatre des contributeurs les plus connus du journal ont démissionné pour protester contre la publication des informations fabriquées. « Ce scandale est une honte (…), mais il n’est que le dernier en date », déplore sur X l’un d’eux, Jonathan Freedland, également contributeur au Guardian, qui regrette le côté « partisan » du Jewish Chronicle.