Le déplacement catastrophique des habitants du Camp de Jénine : où est l’Autorité Palestinienne ?

Un total de 3100 familles du camp a été déplacé par l’attaque israélienne – pratiquement l’ensemble de la population du camp. De plus, une centaine de familles de quartiers voisins ont aussi été déplacées, ce qui porte le nombre de personnes déplacées à environ 18 000.

Jénine – Cent jours ont passé depuis le lancement de l’opération militaire israélienne connue sous le nom de « Mur de fer » visant les camps du nord de la Cisjordanie – plus particulièrement le camp de réfugiés de Jénine. L’opération continue sans qu’une fin n’en soit annoncée ; elle a, jusqu’à présent déplacé environ 18 000 habitants du camp et de zones avoisinantes tandis que, selon WAFA (agence palestinienne de presse), environ 600 unités d’habitation ont été détruites et bien plus endommagées. Ces personnes ont été dispersées dans quelque 86 lieux dans le gouvernorat de Jénine et au-delà, sans être autorisées à emporter quoi que ce soit de leurs affaires et de ce dont elles ont besoin. Le désastre du déplacement a créé une énorme crise qui dépasse la capacité même d’institutions internationales et d’États.

IPS (Institut d’Études sur la Palestine) a réalisé l’interview suivant en avril avec Mr. Mohammed Al-Sabbagh, chef du Comité Populaire du camp, natif du camp de Jénine, ancien prisonnier qui a passé 23 ans en captivité en Israël. Il dirige le comité qui est au premier plan de ce lourd fardeau et il travaille sans relâche, jour et nuit, avec les membres du comité pour apporter de l’aide et du soulagement aux déplacés.

Voici comment s’est déroulé l’entretien :

Après trois mois de déplacements du camp de Jénine et de ses environs du fait de l’agression israélienne, quelle est la situation actuelle en chiffres ?

Un total de 3100 familles du camp a été déplacé par l’attaque israélienne – pratiquement l’ensemble de la population du camp. De plus, une centaine de familles de quartiers voisins ont aussi été déplacées, ce qui porte le nombre de personnes déplacées à environ 18 000. Ces personnes sont maintenant dispersées dans 86 lieux différents, le plus important étant la ville de Jénine-même où 1 300 familles ont loué des appartements privés. 520 autres familles résident en cité universitaire aux alentours de l’Université Arabe Américaine, les loyers étant couverts par le Comité Populaire, sauf dans le cas d’un bâtiment d’habitation. Le reste des familles déplacées se répartit entre 84 autres sites dans les villages autour de Jénine, les plus fortes concentrations se trouvant à Burqin, Qabatiya, Ya’bad, Yamun et Silat al-Harithiya, ainsi que dans deux villages du gouvernorat de Naplouse.

Quels sont les impacts visibles et invisibles de ce déplacement ?

Tout d’abord, le camp de Jénine est l’une des zones les plus pauvres de Cisjordanie. Ses habitants avaient les revenus les plus bas, avant même cette vague de déplacement. La situation s’est maintenant détériorée davantage, les habitants ne possédant plus rien – pas de maison, pas de moyens financiers, pas de biens personnels. Cela a un impact psychologique profond, en particulier eu égard à la fierté et à la dignité des habitants du camp de Jénine. Depuis longtemps ils sont considérés comme un symbole de sacrifice et de résilience dans la lutte nationale palestinienne – un exemple à suivre pour d’autres. Le déplacement a ajouté à leur souffrance. La plupart ont perdu leur source de revenus, que ce soient des emplois locaux ou au-delà de la Ligne Verte. Ils sont maintenant dans état qui mêle douleur et privation. Même leurs enfants et les étudiants souffrent d’un sentiment d’aliénation et d’instabilité dû à ces déménagements forcés. C’est une situation de profonde souffrance à tous niveaux.

Le camp de Jénine est sous la responsabilité de l’UNWRA. Comment évaluez-vous le rôle de l’agence dans cette crise ?

Mohammed Al-Sabah : le rôle de l’UNRWA est resté faible jusqu’à présent, à cause du siège financier auquel elle est confrontée et de la réduction de son budget – étant donné qu’il s’appuie sur des financements de pays donateurs. Pour être juste, l’agence a apporté une somme initiale de 1 640 shekels (398 €) à chaque famille déplacée au début de la crise. Plus récemment, elle a commencé des transferts par étapes de 1 000 shekels (243 €) mensuels à chaque famille déplacée pour trois mois, en ayant alloué 4 millions de dollars (3 500 000€) d’aide aux personnes déplacées de Jénine et de Tulkarem.

En outre, le Comité Populaire du camp de Jénine s’est assuré de l’engagement d’une autre organisation à apporter 500 000 dollars (442 000 €) aux déplacés de Jénine et des environs. Cette somme sera distribuée à raison de 700 shekels (170 €) mensuels par famille pendant trois mois. Les paiements de l’UNWRA (243 €) et de l’autre organisation (170 €) sont attendus prochainement.

Quel rôle a joué le gouvernement palestinien dans cette crise ?

La gestion de la crise par le gouvernement a été faible et continue à manquer de cohérence. Il a échoué à saisir la nature de la situation et des besoins urgents qu’elle occasionne. Notre désaccord avec le gouvernement porte aussi sur les mécanismes qu’il emploie pour traiter de la crise, y compris le comité qu’il a formé pour sa gestion – qui a abouti à une confusion importante.

Dès le début, nous (le comité) avons présenté une estimation des besoins et des priorités, en recommandant au gouvernement de fournir 1 000 shekels (243 €) à chaque famille déplacée et d’installer des abris ou des maisons mobiles répondant à un niveau minimum d’habitat digne.

La réponse du gouvernement a été partielle. Il a exprimé une volonté d’installer des abris sous forme de maisons mobiles, mais cela allait prendre des mois – et ne pas apporter de solution immédiate. Il a aussi abandonné l’idée de donner 243 € à chaque famille déplacée.

En ce qui concerne les maisons mobiles, le gouvernement a dit qu’il prévoyait de distribuer 200 unités d’habitation à des familles déplacées, à égalité entre Jénine et Tulkarem. Cela revient à 100 maisons mobiles pour Jénine à distribuer dans trois lieux de l’ouest de Jénine le 26 mai. Ce projet est irréalisable – il ne résout pas le problème ni ne sert la majorité des familles déplacées, vu le faible nombre d’unités et la nature éparpillée et limitée de leur installation.

L’occupation met en œuvre son plan ouvertement, avec des objectifs clairs – visant à effacer la question des réfugiés en démantelant les camps et en dispersant leurs habitants, ainsi qu’en affaiblissant l’Autorité Palestinienne. Alors, pourquoi le gouvernement palestinien ne mobilise-t-il pas toutes ses ressources pour faire face à ce plan ? Pourquoi ne pas répondre à cette crise dans l’urgence qu’elle mérite – à tout le moins – en particulier quand il prétend soutenir la détermination des Palestiniens et résister aux déplacements ?

Qu’anticipez-vous pour l’avenir de cette crise de déplacement dans les semaines et mois à venir ?

Ce sera difficile… Nous venons juste de passer trois mois rudes, dont le mois de Ramadan. Pendant ce temps, diverses organisations ont fourni beaucoup d’aide aux déplacés, mais le Ramadan est passé et ces institutions sont maintenant épuisées. Si des entités officielles – c’est-à-dire le gouvernement et l’UNWRA – n’avancent pas dans le sens nécessaire, la situation va empirer.

En tant que comité, nous payons actuellement 150 000 à 170 000 shekels (36 500 à 41 500 €) chaque mois simplement pour la location d’un seul site d’habitation – la cité universitaire de l’Université Arabe Américaine. Nous n’avons pas de ressources permettant de continuer à faire face à ces obligations financières. La situation est très difficile – extrêmement difficile.

Entretien traduit en anglais par Jehad Abusalim

Asri Faiad est un journaliste palestinien du Camp de Jénine

Mohammad Sabbagh est le chef du comité populaire du Camp de Jénine, ancine prisonnier libéré.