Stacy Gilbert, qui a quitté son poste de conseillère supérieure mardi, dit que le rapport contredit le consensus entre experts
Le Département d’État a falsifié un rapport plus tôt en mai pour exonérer Israël de la responsabilité du blocage des flux d’aide humanitaire pour Gaza, rejetant l’avis de ses propres experts, d’après une ex haute responsable états-unienne qui a démissionné cette semaine.
Stacy Gilbert a quitté mardi son poste de conseillère civile-militaire supérieure au bureau de la population, des réfugiés et des migrations du Département d’État. Elle avait été une des experts en la matière à avoir travaillé sur le rapport commandé dans le cadre du mémorandum de sécurité nationale n°20 (NSM-20) et publié le 10 mai.
Le rapport NSM-20 a établi qu’il « était raisonnable de juger » qu’Israël avait utilisé des armes américaines d’une façon « incompatible » avec le droit humanitaire international , mais qu’il n’y avait pas assez de preuves tangibles pour voir un lien entre des armes spécifiques fournies par les États Unis et les abus.
Objet de controverse encore plus marqué, le rapport a dit que le département d’État « ne déclarait pas actuellement que le gouvernement israélien interdit ou restreint d’une autre manière le transport ou la livraison d’aide humanitaire US » à Gaza.
Ce jugement était porteur d’enjeux importants parce que, selon une clause de la loi sur l’aide extérieure, les États-Unis seraient obligés d’arrêter les ventes d’armes et l’aide sécuritaire à tout pays identifié comme ayant bloqué la livraison d’aide états-unienne.
Gilbert, qui a vingt ans d’ancienneté au Département d’État et qui a travaillé dans plusieurs zones de guerre, a dit que la conclusion du rapport s’opposait au point de vue majoritaire des experts consultés sur ce rapport.
Elle a dit que l’accord était général sur le fait que tandis que d’autres facteurs gênaient le passage de l’aide dans Gaza dans un moment où la famine avait commencé à atteindre les 2,3 millions d’habitants- tels que le manque de sécurité dû au Hamas, aux opérations militaires israéliennes et au désespoir des Palestiniens à la recherche de nourriture – il était clair qu’Israël jouait un rôle dans la limitation de la quantité de nourriture et de fournitures médicales passant la frontière vers Gaza.
« Il y a un consensus au sein de la communauté humanitaire sur ce point. C’est absolument l’opinion des experts en matière d’aide humanitaire du département d’État et pas seulement de mon bureau mais aussi des gens qui considèrent cette question dans la communauté du renseignement et d’autres bureaux. Il serait difficile de trouver qui que ce soit ayant dit que (l’obstruction israélienne) n’est pas un problème » a dit Gilbert. « C’est pourquoi je m’oppose à ce que dit ce rapport, à savoir qu’Israël ne bloque pas l’aide humanitaire. C’est manifestement faux.
Interrogé sur ce qu’avance Gilbert, un porte-parole du Département d’État, Vedant Patel, a dit jeudi : « Nous soutenons le rapport du mémorandum 20 sur la sécurité nationale. Nous ne sommes pas une administration ou un département qui tord les faits et ces allégations sont sans fondement ».
« Comme tout rapport et comme tout processus engagé dans un processus de décision politique, ces processus sont délibératifs et ils intègrent des apports de gens qui ont des niveaux divers d’ancienneté et d’expertise » a ajouté Patel.
Gilbert était l’une des experts consultés dans l’élaboration du rapport NSM-20, mais elle a dit que cela leur avait été retiré à mesure qu’approchait l’achèvement.
“À un moment, à la fin d’avril, les experts en la matière ont été retirés du rapport et on nous a dit qu’il serait vérifié à un plus haut niveau. Aussi n’ai-je pas su ce qu’il y avait dans le rapport jusqu’à sa sortie » a-t-elle dit. « Mais lorsque le rapport est sorti, tard dans l’après-midi de vendredi (le 10 mai) je l’ai lu et j’ai dû le relire. J’ai dû revenir en arrière et imprimer cette section pour la lire parce que je ne pouvais pas croire qu’il déclarait aussi péremptoirement que notre évaluation était qu’Israël ne bloque pas l’aide humanitaire.
« Deux heures après la publication du rapport, j’ai envoyé un mail au service de diffusion et à l’équipe qui y travaille, disant que je démissionnais de ce fait » a dit Gilbert.
Selon le sénateur démocrate Chris Van Hollen, le rapport NSM-20 « aurait dû être fondé sur une évaluation sans complaisance des faits et du droit ».
“Les déclarations de Stacy Gilbert corroborent l’inquiétude quand j’ai dit que les observations du bureau et des experts le plus impliqués dans la distribution de l’aide et dans le respect du droit international, étaient contournées au profit de la convenance politique », a dit Van Hollen.
Gilbert a été une des deux agents états-uniens à démissionner cette semaine à cause de la politique de l’administration Biden sur Gaza . Alexander Smith, un entrepreneur qui travaille pour l’Agence US pour le Développement International (USAid), qui a démissionné lundi, a dit qu’il avait le choix entre la démission et le licenciement à la suite de la présentation qu’il avait préparée sur la mortalité maternelle et infantile chez les Palestiniens, qui a été annulée par USAid peu avant le moment de sa prestation, la semaine dernière.
Smith, qui est conseiller de haut niveau sur le genre, la santé maternelle, la santé infantile et la nutrition, a choisi de démissionner lundi après quatre ans à l’USAid. Dans sa lettre de démission à la cheffe de l’agence, Samantha Power, il s’est plaint de l’inconsistance de l’approche de l’USAid dans différents pays et crises humanitaires et du traitement des Palestiniens dans son ensemble.
« Je ne peux pas faire mon travail dans un environnement dans lequel je ne peux pas être reconnu comme pleinement humain, où les principes sur le genre et les droits humains s’appliquent à certains mais non à d’autres, en fonction de leur race » a-t-il écrit.
USAid a nié tout lien entre l’annulation de la présentation de Smith sur Gaza et son départ.
“USAid n’a entrepris aucune action personnelle en réponse à cette présentation » a dit un porte-parole. « En tant qu’agence, nous valorisons et cherchons intentionnellement une diversité de points de vue. La profondeur de l’expertise, de la diversité d’expérience et d’engagement dans l’aide à des gens dans le monde entier, que notre équipe apporte sur toutes les questions est ce qui fait la force de notre agence.
Smith et Gilbert ont fait passer le nombre total d’agents ouvertement démissionnaires de l’administration Biden à cause de la politique conduite par les USA à Gaza, à neuf, bien que Josh Paul, le premier à avoir démissionné, ait dit qu’au moins deux douzaines de plus ont quitté discrètement, sans déclaration publique.
« Je suis conscient que d’autres démissions vont se produire dans un futur proche de la part d’agents qui ont les mêmes préoccupations dans leurs propres domaines de travail », a dit Paul, actuellement conseiller principal chez Dawn, un groupe qui défend la démocratie et les droits humains au Moyen Orient et en Afrique du nord.
Les démissions se sont produites tandis que la famine se répand à Gaza et que seules des gouttes d’aide humanitaire arrivent par voie terrestre en passant des contrôles israéliens et qu’une jetée construite par les USA dans l’intention affichée de permettre des livraisons alimentaires, s’est effondrée , gravement endommagée par une tempête de la Méditerranée au début de la semaine.
Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou et sa cellule de guerre ont défié Biden en poursuivant une offensive sur Rafah, la ville le plus au sud de de Gaza, où plus d’un million de Palestiniens avaient cherché refuge face à l’assaut israélien. Plus de 900 000 d’entre eux ont été forcés de fuir les bombardements une fois de plus ces dernières semaines.