En 2016, un projet de loi, AB 2844, qui vise les organisations choisissant de désinvestir d’Israël, a été soumis au corps législatif de l’État de Californie. En 2015, le gouverneur….
En 2016, un projet de loi, AB 2844, qui vise les organisations choisissant de désinvestir d’Israël, a été soumis au corps législatif de l’État de Californie. En 2015, le gouverneur de New York, Marion Cuomo a, de son côté, promulgué un décret-loi créant une liste noire d’organisations qui soutiennent le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS) contre Israël. Ce contrecoup juridique ou « guerre juridique » contre le mouvement BDS est une réponse directe à la menace que représente ce mouvement pour le statu quo dominant.
Quelque chose d’impensable s’est produit aux États Unis depuis quelques années : le boycott des institutions académiques israéliennes s’est rapidement étendu, une association universitaire importante après l’autre endossant le boycott ou votant des résolutions de boycott. Aussi récemment qu’en 2010, il était inimaginable pour beaucoup de gens, dont des militants de la solidarité avec la Palestine et des Palestiniens eux-mêmes, que le boycott académique puisse être soutenu aux États Unis. Notre gouvernement, après tout, est le plus puissant allié d’Israël et a fourni à cet État un soutien inconditionnel militaire, politique et économique. Concomitamment, le thème de la libération de la Palestine a été supprimé et censuré dans l’enseignement supérieur étatsunien et dans la sphère publique, ce que beaucoup décrivent comme du Maccarthisme.
Le boycott a été un élément-clef pour défier ce verrouillage d’un débat ouvert sur la Palestine, sur Israël et sur le sionisme et pour la transformation de la question palestinienne en élément central de l’action collective progressiste dans le monde universitaire et du militantisme sur les campus. Aussi, ce qui est significatif n’est pas seulement l’adoption de résolutions de boycott mais, plus largement, les changements politiques et intellectuels aux États Unis. L’étouffement systématique de la critique d’Israël, y compris à gauche, a engendré une tendance politique que d’aucuns désignent par PEP (PSP en français : Progressistes Sauf sur la Palestine). La question nationale palestinienne ne pouvait être abordée que dans le cadre, si tant est qu’elle soit évoquée, d’un discours autorisé par l’État sur le « conflit » et d’une critique limitée à l’occupation militaire israélienne et à la conquête des territoires palestiniens en 1967. Le développement du mouvement BDS s’est accompagné d’un nouveau cadre qui, tout d’abord, place fondamentalement les droits des Palestiniens au centre des mouvements pour la justice sociale et, ensuite, parle de droits humains, de colonialisme de peuplement et de l’apartheid pour contester les récits fondateurs de l’État d’Israël – un État qui privilégie systématiquement un groupe racial et religieux et qui fut construit sur le déplacement des Palestiniens indigènes.
Ainsi, le boycott est un mouvement antiraciste, anticolonial qui repose sur le principe du refus de la collaboration avec les institutions académiques israéliennes, étant donné leur implication avec le régime israélien de gouvernance coloniale et raciale (voir les lignes directrices pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël). Le boycott a aussi été le lieu d’une construction significative de coalitions interraciales et de mouvements croisés, liant les thèmes du colonialisme, de la militarisation, de la surveillance policière, du racisme anti noir, de l’indigénat, des frontières et du travail.
Le mouvement BDS a été lancé en 2005 par des organisations de la société civile palestinienne, dont plus de 170 partis politiques, des organisations militantes, des syndicats et des groupes de femmes. L’appel au boycott académique et culturel d’Israël a démarré de fait l’année précédente, en 2004, mettant en lumière la centralité du front académique et culturel dans la lutte palestinienne. Il a fallu cinq ans de plus pour que les universitaires étatsuniens lancent une campagne nationale de mobilisation autour de cet appel et forment l’USACBI (Campagne US pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël) au moment de la guerre israélienne de 2008-2009 contre Gaza.
Les principes politiques de USACBI, sur lesquels BDS est basé, sont qu’il devrait y avoir un boycott académique et culturel d’Israël jusqu’à ce que celui-ci obéisse au droit international en 1) mettant fin à l’occupation et à la colonisation de toutes les terres arabes occupées depuis juin 1967 et démantelant le Mur ; 2) reconnaissant les droits fondamentaux des citoyens palestiniens d’Israël à la pleine égalité ; et 3) respectant, protégeant et promouvant les droits des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs maisons et dans leurs propriétés, comme stipulé dans la Recommandation 194 de l’ONU. Ces principes concernent les trois segments de la nation palestinienne fragmentée, soit les réfugiés, ceux qui vivent sous occupation militaire illégale en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem Est ; et les Palestiniens de l’intérieur des frontières israéliennes de 1948 qui vivent comme des citoyens de seconde ou de troisième zone.
Le paradigme du boycott unifie donc les groupes palestiniens déplacés et ségrégés et met au premier plan le retour à des mobilisations autonomes à la base, au-delà du langage de l’État et de la démocratie néolibérale des pouvoirs occidentaux et de l’Autorité Palestinienne. En Palestine, le mouvement BDS représente une revitalisation de la politique de masse dans un temps de désillusions politiques depuis les accords d’Oslo de 1993. BDS représente un rejet du paradigme d’Oslo qui a été un facteur majeur de pacification de la résistance de la nation palestinienne, comme de la fragmentation de la nation palestinienne par le Mur en extension et par les colonies illégales. Notons toutefois, et c’est important, que le mouvement BDS mondial ne cherche pas à supplanter les organisations de base en Palestine mais qu’il est un acte de solidarité avec le peuple palestinien, par la pression externe exercée par la société civile sur Israël, vu son refus de respecter les droits humains internationaux et de mettre fin à la plus longue occupation militaire de l’histoire moderne.
Les résolutions historiques de l’Association des Études Asiatiques Américaines et de l’Association des Études Américaines, toutes deux adoptées avec un immense soutien en 2013, ont conduit à un flot de mobilisation sur le boycott dans différents domaines. Depuis, l’Association des Études des Natifs Américains et Indigènes, l’Association d’Études Ethniques Critiques, l’Association Nationale d’Études des Femmes et l’Association Nationale d’Études sur les Chicanos et Chicanas, entre autres, ont endossé le boycott académique. En 2015, les membres de l’Association Américaine d’Anthropologie ont voté à une écrasante majorité une résolution d’endossement du boycott ; elle a été mise en ballotage ce printemps. Même si le boycott n’a pas été adopté, avec un écart très faible dans le nombre de voix, ce référendum dans une association académique très importante et dans une discipline centrale des sciences sociales, est terriblement significatif.
L’important n’est pas seulement l’adoption formelle de résolutions mais l’élargissement de l’espace intellectuel et politique qui s’est produit dans le monde universitaire américain dans le cadre de ce processus d’organisation du boycott académique. Il est aussi significatif que des étudiants de deuxième cycle aient été fortement engagés dans ces campagnes, manifestant un changement générationnel. UAW, qui représente les étudiants travailleurs en université (assistants, moniteurs diplômés) de l’Université de Californie, ont connu un vote historique en 2015, avec des plaidoiries individuelles pour le boycott académique ; c’est ainsi devenu le premier des syndicats professionnels généraux des États Unis à endosser BDS et à souligner les liens entre le boycott et le syndicalisme en milieu universitaire.
Le mouvement de boycott est sur la ligne de front de la lutte pour la démocratisation de l’université néo-libérale par des travailleurs universitaires non titulaires, des universitaires et des militants étudiants ; il a engendré un réseau de solidarité d’universitaires dissidents auquel la titularisation a été refusée, qui ont perdu leur emploi et qui ont été confrontés à du harcèlement et à des campagnes de calomnies pour avoir critiqué Israël. En 2014, le licenciement, par l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign, de Steven Salaita, un universitaire palestinien-américain défenseur du boycott (également responsable d’USACBI) a suscité un déferlement de solidarité parmi les universitaires, dont beaucoup ont boycotté l’université en signe de protestation. Ce dramatique exemple de nouveau maccarthisme a mis en lumière la convergence d’organisations sionistes puissantes (tel le Centre Simon Wiesenthal et la Coalition Israël sur le Campus) et des administrateurs de l’université qui ont sapé la gouvernance des enseignants et les droits des employés d’université.
Enfin, le mouvement BDS est central dans la guerre de légitimité qui a cassé l’image d’Israël comme État occidental démocratique et multiculturel. Le boycott n’est pas juste une menace pour le lobby pro israélien et pour l’État sioniste, mais aussi pour l’hégémonie impériale des USA, qui a compté sur Israël comme appui local; de ce fait, la législation anti BDS proposée dans divers États (New York, Maryland, Illinois et Californie) et les initiatives du Département d’État pour délégitimer la critique d’Israël comme antisémite se sont reportées sur la répression contre le militantisme sur les campus. L’alliance persistante américano-israélienne a été consolidée par un réseau d’organisations de droite racistes, islamophobes (voir The Business of Backlash). Le boycott est donc central pour les guerres contemporaines sur la culture et c’est un lieu important pour le militantisme académique et pour les luttes pour l’émancipation.