L’annexion illégale de la Cisjordanie par Israël boostée par Trump

Alors que le cessez-le-feu dans la bande de Gaza est en vigueur depuis le 19 janvier et qu’un nouvel échange de prisonniers et d’otages a eu lieu ce samedi 25 janvier, les partisans de l’annexion de la Cisjordanie se font plus bruyants et plus violents que jamais en Israël. En témoignent les attaques de ces derniers jours dans le nord du territoire palestinien.

Le cessez-le-feu à Gaza, qui connaît samedi 25 janvier un nouvel échange de captifs et de captives (voir notre encadré), se fera-t-il au prix de l’annexion progressive de la Cisjordanie par le gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël ?

À peine investi lundi 20 janvier, Donald Trump, qui s’attribue le mérite de la bien fragile trêve à Gaza, a envoyé un signal funeste en annulant le décret de son prédécesseur Joe Biden, qui avait poussivement pris en février 2024 une mesure certes dérisoire mais très symbolique : des sanctions financières contre plusieurs colons israéliens accusés de violences contre des Palestinien·nes en Cisjordanie occupée.

De quoi galvaniser les partisans d’un « Grand Israël »de la Méditerranée au Jourdain, qui rêvent d’annexer totalement le territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, qu’ils désignent par l’appellation biblique de « Judée-Samarie ». Pas une semaine sans qu’ils redoublent de violence, colonisent ou tentent de coloniser de nouvelles terres en toute impunité.

Depuis le 7-Octobre, dans l’ombre des massacres à Gaza et au mépris du droit international, on assiste même à une accélération inédite de la politique de colonisation en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. 

Au moins 850 Palestiniens y ont été tués par l’armée israélienne ou par des colons, selon le ministère palestinien de la santé, tandis qu’une trentaine d’Israéliens, dont des soldats, y sont morts dans des attaques palestiniennes ou dans des opérations militaires, selon Israël.

Un exemple parmi des dizaines d’autres : fin juin 2024, Israël a accaparé la plus vaste étendue de terres en Cisjordanie depuis trente ans et les accords de paix d’Oslo en 1993. 1 270 hectares dans la vallée du Jourdain ont été déclarés « propriétés d’État » pour favoriser l’expansion de colonies israéliennes.

Lundi 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump aux États-Unis, une cinquantaine d’extrémistes juifs a attaqué à la tombée de la nuit, à coups de pierres et de cocktails incendiaires, les villages d’Al-Funduq et de Jinsafut, dans le nord de la Cisjordanie. Sous le regard passif de soldats israéliens.

Dans cette commune en zone C, c’est-à-dire sous contrôle total de l’armée israélienne, la police est intervenue « au bout d’une heure seulement », a raconté au journal Le Monde Luay Tayim, maire du village. 

Les colons venus en découdre entendaient « venger » l’assassinat, début janvier, de trois habitants de la colonie de Kedoumim toute proche, où vit l’un des plus zélés promoteurs d’une annexion totale de la Cisjordanie, le colon et ministre israélien des finances d’extrême droite, et vice-ministre de la défense, Bezalel Smotrich, qui a voté contre l’accord avec le Hamas.

Le ministre suprémaciste, qui menace de faire tomber le gouvernement si Israël ne reprend pas la guerre à Gaza à l’issue de la première phase du cessez-le-feu, réclame qu’Al-Funduq soit réduit en ruines comme le camp de Jabaliya l’a été dans le nord de Gaza. 

Il a salué sur le réseau social X la première mesure de Trump en faveur des colons : « Votre soutien inébranlable et sans compromission […] est un témoignage de votre intense relation avec le peuple juif et notre droit historique sur notre terre ». Tout comme l’autre figure de l’extrême droite israélienne, Itamar Ben-Gvir, qui a démissionné dimanche 19 janvier de son poste de ministre de la sécurité nationale pour dénoncer l’accord de cessez-le-feu avec le Hamas palestinien.

Opération « Mur de fer »

Tandis que la terreur coloniale frappe Al-Fundunq et Jinsafut, au surlendemain de l’entrée en vigueur d’une trêve à Gaza et au lendemain de l’investiture de Donald Trump, les autorités israéliennes ont déplacé la guerre sur un autre des multiples fronts qu’elles ont ouverts depuis le 7-Octobre en lançant, au nom de « la lutte contre le terrorisme », une nouvelle offensive meurtrière en Cisjordanie.

Baptisée « Mur de fer », appuyée par des bulldozers, des avions et des véhicules militaires blindés, la vaste opération de l’armée et du service de renseignement intérieur israéliens vise le camp de réfugié·es, accolé à la ville de Jénine, également dans le nord du territoire. Un bastion historique de la lutte armée palestinienne, régulièrement attaqué, qui se trouve en zone A, soit sous contrôle de l’Autorité palestinienne (AP). 

Qu’importe le zonage, Israël investit le camp à sa guise, régnant par la force et humiliant encore un peu plus la bien faible et décriée AP, qui doit urgemment se réformer en profondeur, ainsi que son leader, l’impopulaire et indéboulonnable Mahmoud Abbas (qui s’est décidé, à reculons, sous intense pression diplomatique, en novembre 2024, à commencer à organiser sa succession, un sujet tabou pour lui, en désignant Rauhi Fattouh, un de ses fidèles, pour lui succéder si des raisons de santé l’empêchaient de gouverner). 

Le président de l’Autorité palestinienne, qui fêtera ses 90 ans en 2025 et revendique la gouvernance de Gaza, a tout fait ces dernières semaines pour prouver à Trump, à Israël et à la communauté internationale qu’il était capable de conduire son peuple en Cisjordanie comme demain dans l’enclave anéantie par quinze mois de bombardements massifs.

« Méthodes de guerre », selon l’ONU

Mais l’offensive israélienne, qui a déjà fait en moins d’une semaine plus de quatorze morts et des dizaines de blessés, parmi lesquels des soignants palestiniens, est un cinglant désaveu. Elle intervient quatre jours après la conclusion d’un accord mettant fin à près de deux mois de combat entre les groupes armés du camp de Jénine et les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. Depuis plusieurs semaines, ces dernières menaient dans le camp une offensive sans précédent contre ceux qu’elles dénoncent comme étant des « groupes palestiniens hors la loi » semant « le chaos et la fraude ».

Dans un communiqué, le Hamas accuse l’AP de « collaboration avec Israël », de « crime et de trahison du sang des martyrs », et dénonce une coordination sécuritaire avec le colonisateur « devenue extrêmement dangereuse, s’opposant totalement à la position du peuple palestinien et des organisations palestiniennes ».

Jeudi 23 janvier, au troisième jour de l’opération israélienne, des centaines d’habitant·es ont quitté les rues boueuses du camp de Jénine, emportant quelques affaires. « Ils veulent faire comme à Gaza », réagit auprès de Mediapart un Palestinien de Jénine.

Vendredi 24 janvier, l’ONU a condamné l’usage par Israël « de méthodes de guerre » et « le recours illégal à la force létale » à Jénine. Les opérations israéliennes « suscitent de graves inquiétudes quant à un recours inutile ou disproportionné à la force, notamment aux méthodes et moyens développés pour la guerre, en violation du droit international des droits de l’homme, des normes et standards applicables aux opérations de maintien de l’ordre », a déclaré Thameen al-Kheetan, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits humains.

« En s’abstenant constamment, au fil des ans, de demander des comptes aux membres de ses forces de sécurité responsables d’homicides illégaux, Israël non seulement viole ses obligations en vertu du droit international, mais risque également d’encourager la répétition de tels homicides », a encore ajouté le porte-parole.

Alors que le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio a promis par téléphone au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou mercredi 22 janvier un « soutien inébranlable » à Israël, alors que l’équipe de Donald Trump compte de fervents pro-israéliens, dont Mike Huckabee, figure de la droite chrétienne évangélique et ardent partisan de la colonisation, nommé au poste d’ambassadeur des États-Unis en Israël, pour qui « l’occupation, ça n’existe pas », tout comme la Palestine et le peuple palestinien, António Guterres, secrétaire général de l’ONU, s’alarme « de la menace existentielle » qui pèse sur « l’intégrité et la contiguïté du territoire palestinien occupé de Gaza et de Cisjordanie » et se dit « profondément préoccupé ».

« De hauts responsables israéliens parlent ouvertement d’une annexion formelle de la totalité ou de parties de la Cisjordanie dans les mois qui viennent. Toute annexion de la sorte serait une très grave violation du droit international », a-t-il confié lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur la situation au Proche-Orient, lundi 20 janvier.

Personne n’oublie le plan dit « de paix » non abouti de Donald Trump en 2020 lors de son premier mandat. Vanté par ce dernier comme « le deal du siècle », il enterrait définitivement ce qui était la base des négociations jusqu’ici (le tracé des frontières de 1967 et Jérusalem comme capitale des deux États) et prévoyait l’annexion d’une partie de la Cisjordanie par Israël, qui aurait notamment la souveraineté sur la vallée du Jourdain et Jérusalem comme « capitale d’Israël indivisible ».

Sans surprise, le plan avait suscité la colère du peuple palestinien. Le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, l’avait immédiatement rejeté, ainsi que le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

Rachida El Azzouzi

200 Palestiniens libérés en contrepartie de quatre soldates israéliennes

Quatre soldates israéliennes, retenues à Gaza depuis le 7 octobre 2023, ont été libérées samedi 25 janvier par le Hamas en contrepartie de la libération de 200 Palestiniens détenus dans les prisons d’Israël, dont une grande partie est incarcérée sous le régime de la détention administrative, c’est-à-dire de manière arbitraire, sans charge ni procès. C’est le deuxième échange de captifs depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 19 janvier.

Daniella Gilboa, Karina Ariev, Liri Albag et Naama Levy, qui avaient été enlevées dans une base militaire, ont retrouvé la liberté dans la matinée, au cours d’un échange mis en scène par le Hamas. Elles sont désormais prises en charge dans un hôpital en Israël.  

Une partie des Palestiniens libérés a été accueillie par une foule en liesse à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne. D’autres ont été envoyés en Égypte à bord d’autobus, « expulsés » par Israël, selon le média d’État égyptien Al-Qahera News. Seize autres Palestiniens ont été transférés vers la bande de Gaza, où Israël conditionne le retour des déplacé·es du sud vers le nord de Gaza à la libération de l’otage Arbel Yehud, qui serait « en bonne santé », selon deux dirigeants du Hamas.

Sur la liste des Palestiniens libérés ce samedi, figure Mohammed Tous, 69 ans et membre du Fatah, plus ancien Palestinien détenu sans discontinuer par Israël, avec près de quatre décennies passées derrière les barreaux.