La sombre vérité derrière la reconstitution de la guerre des six jours par l’armée israélienne

Le film de propagande populaire « Six jours » a glorifié les avancées d’Israël dans la guerre de 1967 – mais le coût en a été atroce

Près de 130 000 Syriens vivaient sur le plateau du Golan au début du mois de juin 1967. Deux mois plus tard, leur nombre était tombé à 6 396, presque tous étaient druzes. Au lendemain de la guerre des Six Jours, le sort de ces Syriens ne préoccupait guère l’opinion publique israélienne ; la conquête rapide de ces terres et la colonisation juive qui a suivi, ont contribué à effacer le souvenir qu’ils en avaient. En effet, les livres d’histoire locaux parlent rarement de ce qui est arrivé aux habitants indigènes du plateau du Golan.

Le livre instructif de l’historien Yigal Kipnis « The Golan Heights : Political History, Settlement and Geography since 1949 » (Routledge, 2013), (« Le plateau du Golan : l’histoire politique, le règlement et la géographie depuis 1949) rapporte que « le nombre d’habitants civils du Golan qui ont quitté la région lors de l’occupation israélienne, se situait entre 115 000 et 120 000 ». Les chiffres sont corrects, mais que signifie « quitté » ? Pour diverses raisons, les chercheurs ne se sont pas penchés sur le sort des dizaines de milliers d’habitants arabes du Plateau, dont les villages en ruines marquent encore le paysage de la région. Les archives disponibles sont également très maigres et, comme pour d’autres sujets politiquement sensibles, les documents accessibles ont été partiellement expurgés.

Les forces de défense israéliennes ont conquis le plateau du Golan les 9 et 10 juin, après trois jours de bombardements intenses qui ont provoqué une fuite vers le nord de ceux qui y vivaient. Le flot de civils a été rejoint par des troupes syriennes qui ont été dispersées dans différents postes de commandement. Leur corps d’officiers supérieurs, basé dans la ville de Quneitra, a également abandonné la zone.

Aujourd’hui, il existe diverses estimations, dont aucune n’est entièrement fiable, concernant le nombre de résidants locaux qui sont restés à la fin des combats, le 10 juin ; elles vont de quelques milliers à des dizaines de milliers. En tout état de cause, aucun registre de ceux qui sont restés sur place après la guerre n’a été établi avant le 10 août.

Après la conquête du plateau par Israël, les villageois restés sur place ont été soumis à un couvre-feu nocturne. Les habitants qui avaient fui vers les champs et les collines des environs pendant que les combats faisaient rage, n’étaient pas autorisés à rentrer chez eux s’ils étaient pris. En peu de temps, les musulmans sunnites qui restaient ont été chassés de leurs villes, emmenés à Quneitra et envoyés de l’autre côté de la frontière. Dans le même temps, aucune entrée n’était autorisée dans les villages, plus de 100, qui avaient été abandonnés (ou dont les habitants avaient été expulsés de force par les troupes israéliennes).

Des documents conservés dans les archives du Centre Yitzhak Rabin, et dont les textes ont été expurgés par le Malmab, le département de la sécurité du ministère de la défense, font la lumière sur l’anéantissement ultérieur de ces villages. Ainsi, Elad Peled, commandant de la formation Ga’ash de l’IDF, qui a conquis le sud du Golan, raconte comment la décision a été prise « d’éliminer les villages avec des bulldozers, afin qu’il n’y ait nulle part où retourner ». Des preuves supplémentaires sont fournies par Itzhaki Gal, qui a mené une enquête archéologique dans la région entre 1968 et 1971. « Ce que la guerre n’a pas consommé, les bulldozers l’ont détruit », écrit-il dans son journal. « Bravo l’armée », ajoute-t-il avec sarcasme, à propos de la démolition d’une structure antique dans l’un des villages.

Zeev Rav Nof, le critique de cinéma du journal Davar, a noté en 1968 que « lorsque la guerre a pris fin, il était clair que quiconque avait un peu de celluloïd filmé sur cette guerre, était en possession d’une marchandise de première classe. Le marché avait soif d’un film sur la guerre des Six Jours ».

Il s’est avéré que très peu de ces batailles avaient été filmées par des organismes officiels. Le Service du Film du Centre d’Information Israélien a trouvé une solution : ils allaient reconstituer la guerre. C’est ainsi que, quelques semaines après la fin des combats, un film de propagande intitulé « Sheshet Hayamim » (« Six Jours ») a été fait ; il a été réalisé par Alfred Steinhardt, qui est désigné au générique comme conseiller.

En 2007, Steinhardt (1923-2012), dans un entretien à la banque de données de témoignages du cinéma israélien, a rappelé l’aide considérable que l’armée avait apportée pendant le tournage du film.

« Nous avons commencé à faire des reconstitutions », a-t-il déclaré. « Toute l’armée était mobilisée… Dans chaque endroit, le commandant est venu m’expliquer ce qui s’était passé et comment les choses s’étaient passées. Nous faisions des signaux aux commandants, pour que les soldats ne marchent pas (par accident) sur les feux d’artifice et les explosifs… Cela a coûté beaucoup d’argent. C’est une reconstitution totale de toute la guerre ».

Sorti en mars 1968, le film de 90 minutes a été vu par près de 750 000 personnes en trois mois, selon les rapports des journaux de l’époque. Zeev Rav Nof a écrit : « L’impression est que vous regardez un document historique de premier ordre, et il n’y a pas non plus de quoi avoir honte de sa forme cinématographique ».

Les informations sur les coulisses de la production peuvent être obtenues auprès de sources étrangères. Alors que les archives israéliennes ne fournissent qu’une faible documentation sur le sujet, les archives du Comité international de la Croix-Rouge à Genève offrent une vue d’ensemble. Le CICR avait ouvert un petit bureau à Quneitra après la guerre, et son personnel rendait compte à Genève de l’évolution de la situation sur le plateau du Golan. Leurs comptes rendus reflètent la situation désastreuse des habitants syriens qui se trouvaient alors sous occupation israélienne, le pillage généralisé des villages abandonnés, et aussi les conséquences ruineuses de la reconstitution des batailles par les cinéastes : les caméras ont commencé à tourner environ un mois après la fin de la guerre, mais, du moins dans le Golan, Israël a manqué au devoir d’informer les habitants que les bombardements n’étaient pas réels.

« Nous avons participé – que cela nous plaise ou non – à une reconstitution impressionnante et extrêmement fiable de la prise de Quneitra par les forces israéliennes », ont rapporté des représentants de la Croix-Rouge le 13 juillet. « La reconstitution a eu lieu juste en face de la maison dans laquelle nous vivions, et beaucoup de ses fenêtres ont été brisées. Le but : un film ».

Les résultats ont été choquants : ceux qui étaient restés sur le Golan ont fui dans la panique.

« Pourquoi les Israéliens n’ont-ils pas informé les habitants qu’il ne s’agissait que d’une reconstitution pour tourner un film ? a demandé le mukhtar de Quneitra au personnel du CICR. Rien que dans le village de Mansura, à la périphérie de Quneitra, quelque 300 personnes ont fui.

Le 17 juillet, a dit la délégation, « ces habitants ont fui à la suite d’une reconstitution, très réaliste, trois jours plus tôt, que nous avons également vue de nos propres yeux, de la prise de contrôle de Quneitra par Israël. Les bruits de la bataille les ont tellement effrayés qu’ils ont préféré s’enfuir en douce. Le lendemain, en partant, nous avons vérifié ce qu’il en était de la fuite: il restait six personnes ».

Un recensement du plateau du Golan effectué par le gouvernement militaire israélien le 10 août a confirmé le maigre bilan de la Croix-Rouge pour Mansura : six personnes.

‘Un silence de mort’

Les représentants du CICR ont critiqué le « bombardement mis en scène » qui a poussé les habitants à fuir, le qualifiant d’acte insupportable. Un « silence de mort règne dans le village », ont-ils écrit après avoir visité Mansura le 18 juillet.

Ils ont ajouté qu’un représentant de l’armée, qui accompagnait le personnel du CICR, a essayé « de nous faire croire que les gens étaient partis pour chercher leurs proches en Syrie et les ramener ».

Mais personne n’a cru à cette explication : c’était un « mythe », a déclaré la Croix-Rouge à son escorte israélienne, selon un rapport daté du 18 juillet. Ils ont noté qu’en réponse, « il a souri et exprimé son accord ». Les centaines de personnes qui ont fui à la suite du tournage ne sont jamais rentrées chez elles.

Pendant les premiers mois de l’occupation, Israël s’est efforcé de vider le plateau du Golan de sa population arabe, en particulier des musulmans sunnites, qui représentaient 80 % de la population. Les autorités israéliennes ont décidé de permettre aux Druzes de rester chez eux, et ils s’en sont bien mieux sortis. Les habitants des autres villages ont été condamnés à l’expulsion.

Un rapport du CICR, suite à une visite au village de Faraj le 19 juillet, signalait son complet abandon, sans aucune trace de ses 60 habitants. De plus, l’armée a tenté d’empêcher l’équipe de la Croix-Rouge de s’y rendre. Lorsque l’un des représentants s’est finalement rendu dans le village, il l’a décrit comme ayant été abandonné à la hâte, ajoutant que certaines des maisons avaient été pillées et saccagées. D’autres maisons avaient été incendiées, avec tout leur contenu à l’intérieur.

La délégation a conclu que l’armée avait systématiquement expulsé les habitants et que la plupart de ceux qui étaient restés après la guerre avaient entre-temps été déplacés ailleurs. Un document daté du 27 août 1967, résumant la position de l’organisation internationale sur les expulsions d’après-guerre, indique que le 11 juin 1967, Israël a signalé la présence de 1 000 non-Druzes sur le plateau du Golan ; un mois plus tard, Israël a signalé 600 habitants, et un mois après, seulement 300 non-Druzes.

Un examen approfondi mené le même été par le CICR en Israël et en Syrie a révélé que « la majorité des réfugiés ont été expulsés – que ce soit par la violence, à l’arrivée des forces armées ou par des pressions ultérieures ».

Le colonel Shlomo Gazit, président du comité de coordination politico-sécuritaire dans les territoires (et plus tard directeur des renseignements militaires), a eu une explication du phénomène : le fait que les résidents syriens retournent en Syrie ne devait pas être considéré comme une expulsion. C’était également la réponse d’Israël aux plaintes concernant l’expulsion des Palestiniens de Cisjordanie vers la Jordanie au début des années 1970.

La Croix-Rouge a continué à demander l’arrêt des expulsions en cours en Israël. En juillet 1968, Michael Comay, qui a été l’ambassadeur d’Israël aux Nations unies de 1960 à 1967, a écrit : « Le fait est que l’expulsion des Arabes de Quneitra, qui se poursuit depuis plusieurs mois, nous oblige à répondre sans cesse aux allégations et aux demandes d’éclaircissements de la Croix-Rouge ».

La suggestion de Comay ? « Il nous semble que s’il n’y a pas d’autre choix, il est préférable d’éliminer le problème instantanément, de la manière la plus humaine possible. »

Et c’est ainsi que le plateau du Golan a été nettoyé.