La reconstruction de Gaza est « made in Israël » (sources Union Européenne)

RAPPORT SPECIAL/ Une discorde se profile suite à des allégations reprochant à Israël d’engranger des millions d’euros via sa politique interdisant l’entrée de matériaux de construction non-israéliens dans la bande de Gaza.

Au moins 65000 personnes sont sans abris dans la bande de Gaza suite aux 7 semaines de conflit avec Israël. Les infrastructures dont des centres de désalinisation de l’eau ou des centrales energétiques sont en ruines.

Même si il n’existe officiellement aucune interdiction formelle d’Israël d’importer des matériaux de construction non israéliens, certaines sources de l’UE sous couvert d’anonymat affirment qu’en pratique les exigences sécuritaires israéliennes en font un fait accompli.

« Si vous souhaitez faire acheminer des matériaux à Gaza, ils seront presque inévitablement de source israélienne, » déclarait un représentant l’UE. « Vous ne trouverez probablement nulle part un écrit officialisant cette politique, cependant c’est ce qui se passe dans les faits lorsque vous êtes amenés à négocier avec les israéliens. Cela augmente les coûts de construction et de transaction, c’est un vrai problème. »

De même que les restrictions sécuritaires d’Israël sur l’aide, « cela peut devenir très compliqué d’exporter des matériaux courants à Gaza », déclare-t-il. « Une quantité de matériaux, destinés à un de nos projets de reconstruction dans le secteur privé à Gaza, sont restés bloqués au port d’Ashdod pendant une très longue durée – des mois voire des années – ne laissant ainsi de facto aucun autre choix que de recourir à des matériaux israéliens. »

La source ajoute que cette politique a profité à l’économie israélienne à hauteur de plusieurs millions d’euros est était, selon lui, délibérée.

La commission européenne verse chaque année près de 300 millions d’euros d’aide au développement à Gaza et à la Cisjordanie, auxquels s’ajoute près de 200 millions d’euros d’aide humanitaire.

Les allégations du représentant de l’UE ont reçu le soutien d’agences internationales sollicitées par Euractiv et sont totalement en phase avec les enseignements d’un rapport des Nations Unies dont la publication est attendue aujourd’hui (03 Septembre).

L’étude réalisée dans le cadre de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) va rapporter que la moitié du montant de l’aide totale accordée aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza est utilisée pour combler un déficit commercial avec Israël.

“Biens à double usage”

Tel Aviv a imposé un blocus total à la bande de Gaza en 2007 après l’accession au pouvoir du mouvement islamiste Hamas, lequel a mené une politique d’attaques suicides et de lancements de requêtes sur Israël ayant coûté la vie à des centaines de civils.

Cependant les Nations Unies ainsi que les ONG ont protesté contre la punition collective infligée aux gazaouis à savoir les entraves au commerce et à la liberté de mouvement résultant de ce blocus.

Les matériaux de construction tels l’acier ou le ciment, indispensable à la reconstruction de Gaza, ont été qualifiés par Israël comme étant des biens de « double usage » – pouvant servir à la fabrication de munitions – ne pouvant être importés à Gaza que par les Nations Unies ou les agences humanitaires et sous supervision israélienne.

Mark Regev, un porte-parole du bureau du premier ministre israélien, a contesté les allégations affirmant que la politique israélienne d’accès à la bande de Gaza empêchait l’entrée des matériaux de construction non-israéliens.

“J’ai entendu parler de cette politique, et cela est faux” a-t-il précisé à Euractiv par téléphone depuis Jérusalem. Il fut cependant incapable de fournir des exemples de matériaux non-israéliens ayant été autorisés à passer dans la bande de Gaza, suggérant de se référer aux enquêtes du COGAT (Coordination of Government Activities in the Territories).

Le COGAT, corps israélien qui coordonne l’entrée de l’aide à Gaza, n’a répondu à aucune de nos demandes d’informations.

Mais “il existe peu d’alternatives”, déclarait Amir Rotem, directeur des affaires publiques de Gisha, une ONG israélienne. « Le marché israélien du ciment est monopolisé par une entreprise, et je n’ai jamais entendu parler de ciment de fabrication palestinienne qui serait utilisé en Cisjordanie, donc cela laisse peu de choix. »

“Chutzpah writ large” (arrogance décomplexée)

Les réactions internationales aux allégations du représentant de l’EU ont été vives.

“Il est scandaleux qu’un pays qui vient de démolir 25000 maisons demande à ce que son industrie puisse bénéficier des travaux de reconstruction tout ça aux frais de la communauté internationale », déclarait à Euractiv un diplomate occidental.

« J’appelle ça de la « chutzpah » (terme hébreu désignant le culot ou l’arrogance) décomplexée » affirma-t-il.

Mahmoud el-Khafif, coordinateur spécial du COGAT pour l’assistance au palestiniens, déclarait à Euractiv que les allégations de l’UE étaient correctes.

“En ce qui concerne le ciment et l’acier, je pense qu’Israël est l’unique source d’approvisionnement », affirmait-il. « Pour moi, en tant qu’économiste, cela représente un sérieux problème. Ce qui s’est déroulé à Gaza et ce qui se déroule actuellement en Cisjordanie en terme de contrôle dans la zone C est un processus destiné à réduire la capacité de production de l’économie palestinienne, ne laissant d’autre choix que d’importer d’Israël. »

Dans la journée, le nouveau rapport attendu du CNUCED va indiquer que le taux de croissance de l’économie palestinienne dans les territoires occupés a baissé de 11% en 2011 à seulement 1.5% l’année dernière, très en deçà du taux de croissance démographique.

“Un endroit inhabitable d’ici 2020”

Déjà avant le conflit récent dans la bande de Gaza, le taux de chômage y culminait à 36% et les habitants étaient plus pauvres qu’en 1990, lorsque débuta le processus de paix d’Oslo.

Avec le régime de restrictions actuel, reconstruire Gaza prendrait près de 20 ans, selon un rapport publié cette semaine par Shelter Cluster, une ONG dirigée par le Conseil Norvégien pour les Réfugiés, avec la participation de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) ainsi que la Croix Rouge Internationale.

Ce pourrait être trop tard pour de nombreux gazaouis. L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour la Palestine (UNRWA) estimait récemment que Gaza deviendrait « inhabitable » d’ici 2020 du fait de l’augmentation de la population et de l’épuisement des sources en eau douce d’ici 2016.

“Si on estimait que Gaza allait devenir un endroit inhabitable d’ici 2020 – et cela avant le dernier conflit – l’échéance est donc aujourd’hui considérablement avancée, » déclarait un porte-parole de l’UNRWA depuis Gaza

“Avec au moins 20000 maisons endommagées ou détruites, des kilomètres de structures d’acheminement de l’eau détruits, des millions de litres d’eaux usées déversés chaque jour dans la mer, ainsi que les effets destructeurs du blocus, l’espérance de vie de la bande à Gaza est encore davantage raccourcie, » a-t-il déclaré.

Plus de 2100 Palestiniens – en majorité des civils – ont été tués dans l’opération israélienne Bordure Protectrice, ainsi que 73 Israéliens – en majorité des soldats.

L’effort international pour la reconstruction de Gaza pourrait coûter jusqu’à 6 milliards de dollars, selon le député premier ministre Palestinien.