La présidente de l’Union européenne devrait faire l’objet d’une enquête pour complicité dans les crimes de guerre d’Israël, dit la principale experte de la Palestine aux Nations Unies

« Je ne suis pas quelqu’un qui dit : ‘L’histoire les jugera’ — ils devront être jugés avant cela », a dit Francesca Albanese dans une interview exclusive.

Alors que la Cour internationale de justice entame les étapes suivantes de son investigation et de ses poursuites sur les crimes de guerre commis dans la guerre d’Israël à Gaza, la principale experte de la Palestine aux Nations Unies fait pression pour que des comptes soient rendus à un niveau encore plus international.

Dans une ample interview exclusive avec The Intercept, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a appelé à ce que de hauts responsables de l’Union européenne — y compris la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen — fassent l’objet d’accusations de complicité dans des crimes de guerre, pour leur soutien à Israël pendant son attaque de 18 mois contre Gaza.

« Le fait que les deux personnalités de plus haut rang de l’Union européenne continuent avec Israël leurs engagements ‘business as usual’ est au-delà du déplorable », a dit Albanese. « Je ne suis pas quelqu’un qui dit : ‘L’histoire les jugera’— elles devront être jugées avant cela. Et elles devront comprendre que l’immunité ne peut équivaloir à l’impunité ».

Israël a tué plus de 50000 personnes et a détruit presque toute l’infrastructure civile de Gaza depuis son attaque par le Hamas en octobre 2023. La plupart des morts étaient des civils— dont des dizaines de milliers de femmes et d’enfants.

L’objectif initial d’Israël — récupérer les otages pris par le Hamas — s’est transformé en le projet soutenu par les États-Unis de nettoyer ethniquement Gaza des Palestiniens. À cette fin, l’armée d’Israël a intensifié les attaques meurtrières, avec un embargo étanche sur la nourriture, l’eau, l’électricité et l’aide humanitaire.

« Il est impossible de ne pas voir cela comme une intention d’exterminer », a écrit à la fin du mois dernier l’ancien chef des Affaires étrangères de l’Union européenne, Josep Borrell.

Une plainte contre von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a été déposée à la Cour pénale internationale en mai dernier, pour complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité à Gaza.

Depuis qu’elle a pris ses fonctions en décembre, la nouvelle cheffe des Affaires étrangères du bloc [européen] Kaja Kallas a blâmé le Hamas pour la décision israélienne de mettre fin au cessez-le-feu en mars, a continué les relations diplomatiques habituelles, et s’est engagée à « se tenir solidairement aux côtés d’Israël ».

« La convention sur le génocide de 1948 appelle les signataires non seulement à punir le génocide mais aussi à le prévenir », a dit Mouin Rabbani, analyste du Moyen-Orient et membre non résident au Centre des Études sur les conflits et les études humanitaires. « Ici nous avons les deux principales responsables de l’UE qui non seulement refusent de prendre une mesure même symbolique pour empêcher un génocide, mais le normalisent activement et le soutiennent, en pleine connaissance que leur aval favorise les crimes auxquels elles s’opposent nominalement ».

« Donc, bien sûr, les remarques et les observations de la Rapporteuse spéciale Albanese sont parfaitement pertinentes et entièrement correctes. »

Une porte-parole de la Commission européenne, l’organe exécutif de l’UE, a insisté sur le fait que le bloc était toujours attaché au droit international, arguant que les relations commerciales et diplomatiques des Européens avec Israël permettaient aux responsables d’exprimer leurs « positions et leurs inquiétudes ».

La porte-parole, Gioia Franchellucci, a dit : « L’accord d’association avec Israël est la base juridique de notre dialogue continu avec les autorités israéliennes et il fournit les mécanismes pour discuter des problèmes et faire avancer notre point de vue ».

À la fin de l’année dernière, The Intercept a révélé qu’un rapport interne par un haut-responsable des droits humains de l’Union européenne appelait les pays européens à suspendre toutes les relations politiques et le commerce d’armement avec Israël, à cause de preuves de crimes de guerre.

En plus de demander que les leaders de l’UE rendent des comptes, Albanse a dit qu’elle travaille à un rapport qui exposera des banques, des fonds de pensions, des compagnies de haute technologie et des universités pour leur complicité dans la destruction de Gaza.

« Tous ceux impliqués et engagés dans l’occupation illégale, qui lui fournissent leur soutien, aident et encouragent les violations du droit international et les violations des droits humains et un bon nombre de celles-ci équivalent à des crimes », a-t-elle dit. « Il peut y avoir une responsabilité individuelle pour ceux et celles qui aident et encouragent ou favorisent de tels crimes ».

Bien que la Cour pénale internationale [CPI] ait émis des mandats d’arrêt pour les leaders israéliens, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahou, William Schabas, professeur de droit international à l’université du Middlesex et expert sur les génocides, a dit que poursuivre en justice un haut responsable de l’UE créerait un précédent.

« Il est clair qu’il y un cas », a-t-il dit. « Tous les supporters d’Israël dans le monde ne pourraient pas être des ‘complices’, mais elle est à la tête d’une organisation intergouvernementale très importante et elle encourage Israël. Mais je pense qu’il n’est pas raisonnable d’espérer que le procureur de la CPI prendra cette affaire en charge, parce qu’il a seulement émis quelques mandats d’arrêt identifiant des personnes du gouvernement israélien et n’a pas montré le moindre intérêt à aller plus loin que cela. »

 Schabas a ajouté : « Von der Leyen reflète clairement une position adoptée par beaucoup de gouvernements de l’UE, qui est une position de soutien inconditionnel à Israël et ils font cela en dépit de l’information publique disponible suggérant qu’Israël commet des crimes terribles à Gaza et en Cisjordanie ».

Les derniers appels pour que des comptes soient rendus devant la justice sont lancés alors que continue l’audition publique devant la Cour internationale de justice sur les obligations d’Israël à donner accès à l’aide humanitaire — et aux agences d’aide — dans les territoires palestiniens occupés.

La Cour a précédemment conclu que les actions d’Israël à Gaza peuvent de manière plausible être considérées comme un génocide et a ordonné à Israël d’autoriser l’entrée de davantage d’aide.

La question a déclenché une effervescence politique mondiale et, tout en les dédramatisant, Albanese a dit que sa famille et elle ont été soumises à des menaces de mort depuis la publication de son rapport «  Anatomie d’un génocide » en mars 2024.    

« Ma sécurité est devenue moins certaine depuis que j’ai présenté mon rapport ‘Anatomie d’un génocide’ », a dit Albanese. « J’ai reçu des appels au milieu de la nuit avec des menaces contre moi, contre les membres de ma famille, contre mes enfants. Bien sûr, je ne peux pas vous dire que je suis à 100% en sécurité. Bien sûr je prends des précautions. Bien sûr, où je vis, j’ai une protection — on ne sait jamais !— mais en même temps, je ne vais pas me laisser paralyser à cause de ces techniques de mafieux.

« Je viens d’un endroit qui m’a appris que la mafia tue grâce au silence », a-t-elle dit. « Elle tue quand les gens n’y réagissent pas. C’est pourquoi je suis si motivée par ce que je fais. Je vais continuer à parler jusqu’à ce que je n’ai plus d’air dans les poumons. »