La lumière dans le sanctuaire kafkaïen de la Cour Suprême d’Israël

Pour nos juges, il suffit qu’eux sachent pourquoi un journaliste est détenu sans procès.

Les rayons du soleil dont la brillance traverse l’ouverture ménagée dans le plafond tombent directement sur les crânes soigneusement rasés des deux jeunes hommes. Leurs têtes chauves brillent de tout leur éclat. Celui qui a une barbe, écrit. L’autre (qui semble à l’auteure de l’article être d’origine russe), regarde et écoute sans montrer aucune émotion. Leurs noms ne sont pas indiqués ; ils sont probablement des agents du Shin Bet, le service de sécurité.

À la gauche de ces deux anonymes, sur le même banc, tout devant, est assise Marlène, une grande femme d’une cinquantaine d’années et deux gracieuses adolescentes, la sérieuse Ghazal et la souriante Marah.

La salle possède un long espace central. Deux rangées de piliers sur les côtés séparent la salle de deux allées dans chacune desquelles se trouve, au bout, un petit box en bois légèrement surélevé.

Omar Nazzal, âgé de 54 ans, est amené dans l’un de ces boxes par une porte latérale. Il est grand, chauve, et porte une barbe grisonnante. Son regard tombe sur les trois femmes assises sur le premier banc et son visage s’éclaire.

Au bout de la salle centrale, un mur concave et une estrade sur laquelle sont installées trois chaises à haut dossier. Les architectes Ada Karmi-Melamede et Ram Karmi ont-ils imaginé une église lorsqu’ils ont dessiné les salles d’audience de la Cour Suprême ? On peut voir des murs nus comme dans un temple protestant, un plafond haut comme dans une cathédrale gothique, le symbole de la Ménorah à la place de Jésus sur la croix. Et les juges à la place de qui vous savez.

Lundi dernier les juges étaient Menachem Mazuz, Salim Joubran et Daphne Barak-Erez. Ils prenaient connaissance de la requête de Nazzal contre sa détention sans procès. Il est journaliste et était en chemin pour se rendre à une conférence internationale de journalistes en Bosnie lorsqu’il fut arrêté le 26 avril au Pont Allenby qui relie la Cisjordanie à la Jordanie.

La grève de la faim

L’audience a donné l’occasion à Nazzal de voir, de loin, sa femme et ses filles. Il fait partie des détenus en grève de la faim en solidarité avec Bilal Kayed qui est en grève de la faim depuis deux mois en signe de protestation contre le fait d’être détenu sans procès, juste après qu’il ait fait 14 ans et demi de prison.

« Jugez nous ou libérez nous » disent-ils. Et les autorités carcérales punissent tous les grévistes en interdisant les visites de la famille (Kayed, qui est mourant de faim, est enchaîné à son lit à l’hôpital. Le juge du district, Aharon Mishnayot, un ancien juge militaire qui habite dans la colonie d’Efrat, a rejeté vendredi une requête pour le libérer de ses chaînes et lui permettre de voir un médecin indépendant).

Église ou pas, à la Cour Suprême ils comptent sur la lumière naturelle qui pénètre les salles d’audience, ainsi que l’a écrit Carmel Nahany, une avocate qui travaille sur les questions de construction et d’aménagement, dans un article de novembre 2013 dans Urbanologia, un blog en hébreu du Laboratoire de design urbain contemporain de l’Université de Tel Aviv. Elle compare le temple de justice de Jérusalem à la salle d’audience décrite dans Le Procès de Franz Kafka. Elle dit que les deux chambres ont la même taille, ce qui fait se sentir plus petits ceux qui y pénètrent.

« Les deux structures sont semblables dans l’usage qui y est fait de la lumière naturelle pour manifester l’accès au droit, mais elles représentent le positif et le négatif l’une de l’autre » écrit-elle. « Josef K. entre dans le bureau des juges et découvre qu’il y fait sombre ». Dans la salle d’audience de Jérusalem le rôle de la lumière est en fait de signifier la transparence et l’accessibilité du droit et de la justice.

Pour revenir à la procédure judiciaire, l’avocat Mahmoud Hassan explique aux juges que Nazzal, en tant que journaliste, a des relations avec des gens qui traitent de l’actualité dans toutes sortes d’organisations. Dans ses articles, il exprime ses opinions et il se peut que quelqu’un n’aime pas cela.

Mais l’emprisonner sans procès, sans accusation, sans preuve ? Il n’a même pas fait l’objet d’une enquête lors de son arrestation. Nous croyons, dit Hassan, qu’il a été emprisonné pour le faire taire en tant que journaliste. Pendant ce temps-là, Nazzal, sa femme et ses filles se parlent des yeux.

Josef K. encore

À ce stade, le détenu dont les jambes sont entravées, l’avocat, les membres de la famille, deux amis et les journalistes quittent la salle d’audience. Dans cette salle baignée de lumière restent les juges, le procureur et les deux hommes anonymes, tandis que la clarté éclaire directement leurs têtes.

On peut supposer qu’ils ont montré aux juges la parole de Dieu. Oops, pardon – le dossier confidentiel.

Seul l’avocat reste dans l’ombre » dit Hasan avec un sourire amer. Au bout d’environ 15 minutes, il est demandé à ceux qui avaient été priés de sortir, de revenir. Le représentant de l’État, l’avocat Reuven Eidelman, se lève et dit qu’il peut seulement dire que la détention de Nazzal n’est pas due à ses activités journalistiques mais à sa position dans le Front Populaire de Libération de la Palestine.

Tel un étudiant consciencieux, Joubran lit à haute voix la décision des juges. Ils considèrent qu’il n’est pas approprié d’intervenir dans l’ordre de détention administrative et ne s’opposent pas à son prolongement prévu fin août. Mais ils recommandent que celui-ci soit de trois mois et non de quatre.

Nazzal s’illumine une dernière fois vers sa femme et ses filles et disparaît par la porte.

Dehors, ses filles disent qu’elles ne comprennent pas. Ce n’est pas ce qu’elles connaissent des tribunaux : la défense y est en droit de savoir de quoi il est accusé ; l’avocat est censé examiner les preuves et questionner les témoins.

Dans son article, Hanany mentionne le Josef K. de Kafka « qui fut jugé par le système doté d’une autorité considérable et indéfinie, sans savoir quel crime il avait commis… Le système judiciaire kafkaïen est décrit comme renonçant à toute tentative d’instaurer une légitimité au cours de la procédure juridique et daignant seulement décréter son autorité et sa validité après avoir pris une décision ».