La longue histoire d’Israël contre l’ONU

Benyamin Netanyahou, ambassadeur d’Israël auprès de l’Organisation des Nations unies de 1984 à 1988, a choisi de pousser sa campagne de discrédit systématique de l’institution à un niveau d’agressivité sans précédent.

Israël est paradoxalement un Etat créé par une décision de l’Organisation des Nations unies (ONU) qui n’a cessé depuis sa fondation, en 1948, de contester la primauté des Nations unies. Mais l’histoire des relations entre Israël et l’ONU a beau avoir été émaillée de crises, c’est une provocation inédite à laquelle s’est livré, le 30 octobre à New York, l’ambassadeur israélien auprès des Nations unies. Gilad Erdan, ancien ministre du Likoud et fidèle du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a en effet arboré l’étoile jaune dont les nazis stigmatisaient les juifs comme un « symbole de fierté » face aux critiques de l’ONU à l’encontre de la campagne israélienne sur Gaza.

Cette accusation à peine voilée d’antisémitisme participait d’une escalade verbale à l’encontre des Nations unies et d’Antonio Guterres, son secrétaire général, qualifié de « danger pour la paix mondiale » et de << soutien à l’organisation terroriste Hamas », le 6 décembre, par Eli Cohen, le chef de la diplomatie israélienne. En outre, les bombardements israéliens sur Gaza ont déjà tué 134 employés locaux de l’ONU au 15 décembre, un bilan sans aucun précédent.

C’est pourtant l’ONU qui, par le vote de son Assemblée générale, en novembre 1947, a adopté un plan de partage de la Palestine, alors sous mandat britannique depuis un quart de siècle. Ce plan, approuvé par la direction sioniste, divisait ce territoire anciennement ottoman entre un Etat juif et un Etat arabe, l’ONU continuant de gérer une zone internationalisée à Jérusalem. La partie arabe rejeta un tel plan, au motif que la population juive, qui ne constituait alors qu’un tiers des habitants de la Palestine, recevait un Etat sur 55 % de ce territoire.

L’assassinat de Bernadotte

Les hostilités éclatèrent bientôt entre Juifs et Arabes, un conflit qui changea de nature à la fin du mandat britannique, en mai 1948, avec la proclamation de l’Etat d’Israël, contre lequel les six Etats arabes voisins entrèrent en guerre. L’ONU désigna comme médiateur Folke Bernadotte, qui avait négocié avec les autorités nazies, comme numéro deux de la Croix-Rouge suédoise, en février-mars 1945, le sauvetage de 21 000 prisonniers, dont 6 500 juifs.

Folke Bernadotte obtint une trêve dans les combats, à l’occasion de laquelle il proposa un règlement du conflit, fondé sur l’internationalisation de Jérusalem (dans l’esprit du plan de partage) et le retour des réfugiés palestiniens (qui se comptaient déjà par centaines de milliers). Il fut assassiné, en septembre 1948 à Jérusalem, par un commando israélien du groupe extrémiste Lehi. Deux des meurtriers furent condamnés par la justice israélienne à dix et huit ans de prison, mais libérés peu après dans le cadre d’une amnistie générale.

Le choc d’un tel assassinat fut immense à l’ONU, dont l’Assemblée générale adopta, en décembre 1948, une résolution sur le « droit au retour » des réfugiés palestiniens, ainsi qu’est désignée l’alternative proposée aux réfugiés entre rapatriement et indemnisation. Israël, radicalement opposé au principe même d’un tel « droit au retour », fit pourtant profil bas, ne serait-ce que pour ne pas compromettre son admission formelle à l’ONU, en mai 1949, comme « Etat pacifique ». Quant aux Etats-Unis, ils firent tout pour que l’Office des Nations unies pour le secours aux réfugiés de Palestine (UNRPR, dans son sigle anglais) devienne un simple Office des Nations unies pour le secours et les travaux (UNRWA, dans son sigle anglais), dont la mission excluait la mise en œuvre du rapatriement pour se concentrer sur les « travaux » des réfugiés palestiniens dans leur pays d’accueil.

Nétanyahou contre l’ONU

Ce soutien à Israël, de la part des Etats-Unis à l’ONU, devint encore plus déterminant après la guerre de juin 1967: alors que les Nations unies soulignaient « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre », la diplomatie américaine estimait que l’évacuation par Israël des territoires occupés, soit Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza, ainsi que le Sinaï égyptien et le Golan syrien, devait résulter d’une négociation directe, une approche consacrée par la formule « la terre contre la paix »>.

Une telle approche conduisit à la paix séparée de 1979 entre Israël et l’Egypte, paix conclue sous l’égide des seuls Etats-Unis. Cette pax americana excluait les Nations unies et avait pour pendant, au Conseil de sécurité de l’ONU, l’usage régulier du veto par les Etats-Unis au profit d’Israël. Loin de prendre fin avec la guerre froide, cette partialité demeura manifeste de 1989 à 2004, avec quatorze des dix-huit veto américains durant cette période en faveur d’Israël. Au-delà de ces veto effectifs, la simple menace d’une opposition américaine conduisait souvent à suspendre la discussion d’un projet de résolution jugé trop défavorable à Israël.

Benyamin Netanyahou n’a que 35 ans lorsqu’il est nommé, en 1984, ambassadeur d’Israël auprès de l’ONU, un poste où il se distingue durant quatre ans par sa pugnacité et ses polémiques. C’est le début d’une fulgurante carrière politique comme député du Likoud, en 1988, puis comme chef de ce parti, en 1993, avant de prendre la tête du gouvernement de 1996 à 1999, puis de 2009 à 2021.

Redevenu premier ministre depuis décembre 2022, Benyamin Netanyahou n’a rien amendé de son agressivité à l’encontre de l’ONU. Il demeure en effet déterminé à affranchir Israël des normes du droit international, au nom d’impératifs de sécurité qu’il a seul édictés et qui doivent, selon lui, s’imposer à toutes les parties, y compris I’ONU. Et il peut continuer de compter sur le soutien de la diplomatie américaine qui, en deux mois et demi de conflit, n’a laissé voter que deux résolutions au Conseil de sécurité de l’ONU : le 15 novembre sur des « pauses humanitaires » et le 22 décembre sur un acheminement « à grande échelle » de l’aide humanitaire à Gaza, mais sans aucun appel à un cessez-le-feu.