La gagnante d’un prestigieux prix israélien va donner le montant de son prix à des organisations de défense des droits de l’Homme

Féministe et savante, Evelyn Fox Keller, ancienne professeure au MIT, donnera le montant de son prix Dan David à l’organisation B’Tselem, à l’Association pour les Droits Civiques en Israël et à Médecins pour les Droits de l’Homme.

L’un des gagnants du Prix Dan David de cette année prévoit de donner le montant de son prix à trois organisations israéliennes de défense des droits de l’Homme.

La Professeure Evelyn Fox Keller, l’une des neuf personnes qui ont reçu dimanche soir ce prix à l’université de Tel Aviv, en donnera le montant à B’Tselem, à l’Association pour les Droits Civiques en Israël et à Médecins pour les Droits de l’Homme. Cette théoricienne des sciences et du féminisme a dit à Haaretz que, dès l’instant où elle a appris qu’elle avait remporté le prix, elle avait décidé qu’elle ne pouvait l’accepter que si elle en donnait le montant à des organisations qui combattaient la politique d’Israël envers les Palestiniens.

Dimanche, dans une déclaration écrite à Haaretz, cette femme de 82 ans, qui enseignait auparavant au MIT, a écrit : « Je suis profondément reconnaissante à la Fondation Dan David, à la fois pour l’honneur conféré par ce prix, et pour l’opportunité qu’il me fournit de soutenir ces parties de la société israélienne engagées dans la coexistence pacifique et dans la protection des droits de l’Homme pour tous. »

Alors qu’on lui demandait pourquoi elle ne refusait pas simplement le prix, puisqu’il était attribué par une université israélienne qui fait partie du système et ne le critique pas, elle a répliqué : « Je ne l’ai pas vu ainsi. J’accepte le prix pour soutenir ceux qui résistent au système. Je ne voyais pas à quoi cela aurait servi de le refuser. Dans une déclaration politique, cela a plus de force si je prends le prix et que je le cède. »

L’interview de Fox Keller a eu lieu jeudi denier, moins de 24 heures après son atterrissage en Israël. Elle a dit qu’elle avait décidé d’annoncer son projet concernant le montant du prix dans cette interview plutôt que pendant la cérémonie parce que « Je ne voulais pas que ce soit une déclaration à la ‘vas te faire voir’. Je ne veux pas être le point de mire de la soirée. »

Samedi, elle a révélé son projet à ses deux co-récipiendaires dans la catégorie « Passé – Histoire des Sciences », la Professeure Lorraine Daston de l’Institut Max Planck de Berlin pour l’Histoire des Sciences et le Professeur Simon Schaffer de l’université de Cambridge. Les six autres gagnants l’étaient dans les catégories « Présent – Bioéthique » et « Futur – Médecine Personnalisée ». La bourse de 3 millions de dollars sera également répartie entre ces neuf lauréats.

Le prix, qui tient son nom de l’entrepreneur international et philanthrope qui l’a institué, est attribué tous les ans « pour des réalisations qui ont un impact scientifique, technologique, culturel et social remarquable sur notre monde », selon son site internet. Fox Keller l’a gagné pour « son travail de pionnière sur le langage, le genre et la science » qui « a eu une énorme influence sur la formation de notre regard sur l’histoire des sciences ». Sa recherche s’est spécialisée dans la physique théorique, la biologie mathématique, la pensée féministe et l’histoire des sciences.

La mention du site sur son « travail de pionnière » fait référence à sa découverte du degré auquel la pensée scientifique moderne et sa peinture des phénomènes naturels étaient façonnés par l’idéologie et le langage patriarcaux. Par exemple, les biologistes ont recherché une molécule « maître » – une molécule dominante qui actionnerait un système entier – plutôt que de reconnaître la coopération et l’auto-organisation des diverses composantes.

Christina Agapagis, biologiste et rédactrice fondatrice du trimestriel « Method Quarterly », a écrit dans son introduction à une interview de Fox Keller en 2014 : « Tout au long de sa carrière, elle a repoussé les limites de la science, traversant hardiment les frontières qui séparent les disciplines et faisant tomber les barrières qui maintiennent les femmes hors de portée des plus hauts exploits scientifiques. »

Alors qu’on lui demandait si elle pensait que les universités israéliennes devraient s’exprimer contre les violations de la liberté académique des Palestiniens – telles que le refus d’Israël de laisser les étudiants de la Bande de Gaza étudier en Cisjordanie et les obstacles qu’il place devant les universitaires et étudiants étrangers qui souhaitent enseigner ou étudier dans les territoires occupés – Fox Keller a répondu : « Bien sûr que je pense qu’elles le devraient, mais elles ne le font pas. Et elles ne le veulent pas et elles n’ont pas voix au chapitre. »

Il n’y a pas que l’université de Tel Aviv qui « n’en a pas la volonté », a-t-elle ajouté. « Aucune des universités d’Israël n’a cette volonté. »

Sa dernière visite ici remonte à dix ans, lorsqu’elle fut accueillie par l’Institut des Sciences Weizmann. Elle a dit qu’elle était choquée par les changements perçus chez ses amis, qui se considéraient autrefois comme libéraux et socialistes, et n’avaient pourtant aucune idée de ce qui se passait dans les territoires palestiniens sous l’autorité israélienne.

« Le plus gros changement, ce sont les enfants, les effets que l’armée a sur eux », a-t-elle dit.

« J’ai dit [alors] qu’Israël me rend honteuse d’être juive », a-t-elle ajouté. « Oui, je ressens la même chose aujourd’hui. »

Comme on lui demandait pourquoi elle devrait avoir ce sentiment, puisqu’elle est une Juive américaine plutôt qu’israélienne, elle a répondu : « Ce n’était qu’une réponse viscérale. Je ne peux pas m’en empêcher… [sauf à dire que] mes engagements politiques sont tout ce qui reste de mon héritage juif de gauche. »