La législation qui a rendu possible à Israël de déporter de Jérusalem Est l’avocat Salah Hammouri vers la France – et le véritable scandale qui le sous-tend.
Avec la déportation dimanche vers la France de l’avocat Salah Hammouri, né à Jérusalem d’une famille hiérosolymite, Israël avertit en effet tous les résidents palestiniens de la ville, actuels et futurs, que, s’ils ne sont pas soumis, silencieux et obéissants, leur statut de résidence permanente sera révoqué.
Le cas d’Hammouri, qui a été déporté sur ordre de la ministre de la Justice Ayelet Shaked, montre qu’Israël se sent suffisamment confiant pour augmenter ses techniques de soumission et d’intimidation et que les protestations diplomatiques (de la France en ce cas) ne l’impressionnent pas.
Ce n’est que par hasard, parce que Hammouri se trouve être un citoyen français, qu’il a été possible de l’expulser hors des frontières d’Israël. D’autres résidents de Jérusalem, dont le statut de résident pourrait être révoqué et qui ne sont pas citoyens ou résidents de quelque autre État, pourraient être expulsés de chez eux vers l’une des enclaves palestiniennes de Cisjordanie, comme l’expulsion dans la décennie précédente de trois anciens membres du Hamas au parlement palestinien et un ancien ministre du cabinet d’Ismail Haniyeh, premier ministre palestinien de l’époque.
Ou peut-être pourraient-ils être expulsés vers la Bande de Gaza, qu’Israël a de toutes façons utilisée comme une colonie pénitentiaire depuis la Seconde Intifada. Ou ils pourraient rester à Jérusalem, dépourvus des droits fondamentaux de résidence (principalement les soins de santé et l’éducation), ce qui aurait de façon certaine un effet négatif également sur leurs familles.
La déportation d’Hammouri a été précédée il y a plus d’un an par la révocation de son statut de résident, fondée sur la modification de la loi de mars 2018, votée par la Knesset, qui permet l’annulation du statut de résident pour « rupture de confiance envers l’État d’Israël ».
A la base de l’amendement se trouve l’application de la Loi sur la Citoyenneté et l’Entrée en Israël pour les Palestiniens nés à Jérusalem, dont les familles y ont vécu depuis bien avant la création d’Israël.
Voilà le véritable scandale. Après tout, c’est Israël qui est « entré » ; ce ne sont pas eux qui sont entrés en Israël. Et encore, le cadre juridique conçu pour permettre à Israël de contenir, traiter et tolérer la présence de Palestiniens à Jérusalem Est depuis son annexion à Israël est celui d’une loi destinée aux non-juifs, citoyens d’autres pays, qui choisissent d’immigrer en Israël et auxquels la Loi du Retour ne s’applique pas.
En d’autres termes, ils sont autorisés à être en Israël grâce à un geste de générosité, aux yeux d’Israël. Leur résidence est temporaire et elle expirera au moment où ils resteront un certain nombre d’années à l’étranger, ce qui pourrait indiquer qu’ils avaient choisi de quitter Israël.
La personne qui a aidé à faciliter le traitement par le gouvernement des Palestiniens de Jérusalem comme des immigrants, résidents conditionnels et effectivement temporaires qui sont chez eux par complaisance plutôt que par droit, n’était autre que l’ancien Président de la Cour Suprême Aharon Barak.
En 1988, il a statué que le gouvernement pouvait déporter Mubarak Awwad, qui était né à Jérusalem en 1943 et avait reçu une carte d’identité de résident quand la ville avait été occupée en 1967. Il était parti à l’étranger pour ses études et avait voyagé régulièrement pendant des années entre les États-Unis et Jérusalem. La veille de la première intifada, il a commencé à irriter Israël avec son projet de révolte populaire non violente contre l’occupation.
Décision a été prise de le déporter et, quand il a fait appel à la Haute Cour de Justice, Barak a procuré au gouvernement le cadre juridique : Le statut de résident de Jérusalem Est, a-t-il décidé, est réglé par la Loi sur l’Entrée en Israël qui, même si elle n’était pas explicitement établie en 1967, accordait aux Palestiniens hiérosolymites le permis de résidence en Israël. La loi autorise aussi le ministre de l’Intérieur à décider des conditions du permis de résidence permanente. Cela ouvre depuis lors un chemin facile vers un test pratiquement permanent de loyauté-envers-l’Etat.
En se fondant sur cette exégèse juridique, Israël a révoqué la résidence de 14.727 résidents de Jérusalem, surtout depuis 1995, en prétendant que le centre de leur vie n’était plus à Jérusalem, mais à l’étranger (ou en Cisjordanie). Au cours des années, de nombreuses requêtes devant la Haute Cour contre la révocation du statut de résident ont conduit à un certain éloignement de la vérité – les Palestiniens de Jérusalem sont des résidents autochtones avec des droits et ils ne devraient pas être traités comme des immigrants.
Israël révoque pourtant la résidence de Palestiniens de Jérusalem après un séjour prolongé à l’étranger, mais beaucoup moins que ceux qui vivent à Ramallah ou à Bethléem. En septembre 2017, la Haute Cour a ordonné l’annulation de la révocation du statut de résident des membres susmentionnés du parlement palestinien et de l’ancien ministre.
Mais dans la même foulée, la Haute Cour a signalé au gouvernement que, si la loi allait être amendée, ce statut pouvait être révoqué plus tard pour « rupture de confiance envers l’Etat ». Et en fait, la loi a été amendée moins d’un an plus tard.
La définition de « rupture de confiance » est suffisamment large, vague et générale pour que le service de sécurité du Shin Bet, en lien avec le ministère de l’Intérieur, puisse y inclure n’importe quel Palestinien hiérosolymite qu’ils veulent et quand ils le veulent. Selon l’amendement, n’importe quel item de la liste suivante peut constituer une rupture de confiance : acte de terrorisme, aide ou encouragement au terrorisme, ou part active à une organisation terroriste ou une organisation déclarée terroriste, trahison et cas graves d’espionnage.
Ceux qui déterminent ce qui constitue du terrorisme ou une trahison sont les législateurs, les membres du Shin Bet et les divers lobbies de l’occupation. Ils sont les représentants de l’État qui règne par la force sur les Palestiniens, qui a transformé leur ville en enclave séparée du reste du territoire palestinien, les a appauvris, a confisqué leur terre et l’a découpée avec des colonies juives hostiles.
La définition de « rupture de confiance » est apparentée à la définition de « dangereux pour la sécurité de l’État », concept qui permet d’utiliser la détention administrative – incarcération de quelqu’un sans acte d’accusation, charges claires ni respect du droit du prévenu à se défendre.
Hammouri a été en fait accusé dans le passé, quand il avait à peu près 20 ans, et condamné à sept ans de prison pour participation à un projet de tentative échouée d’assassinat du chef spirituel séfarade le Rabbin Ovadia Yosef. Depuis sa libération en 2011, il a fait des études de droit et a commencé à travailler comme avocat pour l’Association de Soutien aux Prisonniers et de défense des Droits de l’Homme Addameer, et a été plusieurs fois en détention administrative.
Il est plusieurs fois entré et sorti de prison, sans que le Shin Bet ni le ministère public soient capables de fournir une seule inculpation contre lui. Même l’introduction d’un logiciel espion Pegasus dans son téléphone, comme l’ont rapporté il y a environ un an trois organisations internationales qui ont examiné son appareil, n’a permis de produire aucune accusation permettant des poursuites ou preuve d’aucune des allégations précises ou imprécises portées contre lui.
Le flou est volontaire – que ce soit le « danger pour la sécurité de la région » qui conduise à la détention administrative ou la « rupture de confiance » qui conduise à la révocation du statut de résident. Le flou est susceptible de dissuader suffisamment de personnes d’abandonner une activité ou une organisation politique, et même de conserver des relations amicales avec d’autres, de peur que l’activité soit définie comme de la résistance au régime qui leur a été imposé.