Les soldats pourront ouvrir le feu sur des lanceurs de pierres et de cocktails Molotov, même après les faits. Un changement qui ravit la droite.
En autorisant ses soldats à tirer à balles réelles sur des lanceurs de pierres ou de cocktails Molotov, même s’ils ne constituent plus une menace immédiate, l’armée israélienne a considérablement assoupli ses règles de tir dans les territoires palestiniens de Cisjordanie. L’information, révélée par la chaîne de télévision publique Kan le 19 décembre, a été confirmée par plusieurs porte-paroles des forces militaires sous couvert d’anonymat. Dans ses déclarations publiques, l’armée maintient une forme de flou : « Les procédures opérationnelles sont régulièrement mises à jour si nécessaire. Etant classées secret-défense, elles ne peuvent pas être publiées. »
Jusqu’ici, les règles n’autorisaient l’utilisation de la force létale que pour prévenir une attaque imminente. Mais selon cette nouvelle procédure, les soldats pourraient tirer et « neutraliser » un civil palestinien qui mettrait la vie de civils israéliens en danger du seul fait de sa présence dans la « zone de combat ». Elle ne concerne pas les civils israéliens : ces derniers bénéficiant de la protection du système judiciaire civil, alors que c’est le régime militaire qui s’applique aux Palestiniens de Cisjordanie.
Le premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, qui a qualifié ces nouvelles règles de « politique d’exécution », a appelé à l’intervention urgente de la communauté internationale. En théorie, cette autorisation de tir irait à l’encontre des lois internationales ainsi que du cadre global de la Loi israélienne, qui n’autorise formellement ses soldats à faire usage de leurs armes que s’ils estiment qu’une vie est en danger.
« Transposition de la réalité sur le terrain »
Cette nouvelle règle « ne constitue pas un changement, mais plutôt une transposition de la réalité sur le terrain », critique l’organisation de défense des droits humains B’Tselem. « Dans les faits, la situation est déjà catastrophique : nous documentons continuellement des cas de civils tués, même des enfants, alors qu’ils ne constituaient aucun danger », dénonce Yael Stein, directrice de recherche de l’ONG.
« Les principes des règles d’engagement sont très clairs. On les apprend par cœur, on les rappelle avant chaque opération, précise Nadav Weiman, un ancien tireur d’élite qui milite aujourd’hui avec Breaking the Silence, une organisation d’anciens soldats qui témoignent de leur service au sein des forces armées. Mais, sur le terrain, il existe ce qu’on appelle “l’esprit du commandant”. Au bout du compte, on fait ce qu’on veut. Tout est basé sur le comportement des officiers. » Avec peu de conséquences à la clé – les soldats israéliens mis en cause dans des tirs indiscriminés ne sont que très rarement sanctionnés au regard des faits. « Les autorités militaires se protègent derrière des pages et des pages de langage juridique opaque, que personne ne comprend », ajoute Mme Stein, de B’Tselem.
Plus les directives militaires sont floues, plus elles sont simples à transgresser. D’autant plus que le système protège les individus : dans un rapport cinglant publié le 2 décembre, B’Tselem a dénoncé les manquements de l’enquête interne qu’Israël mène sur les 223 morts provoquées par la répression des grandes manifestations de la « marche du retour » à Gaza, en 2018-2019.
« Les règles autorisent les soldats à tirer sur un civil, même s’il n’est pas armé, s’ils jugent que c’est l’un des principaux instigateurs d’une manifestation. On parle ici de personnes âgées de 18 ou 19 ans », explique Nadav Weiman, de Breaking the Silence. Cette pratique a encore été constatée cette année, lors des manifestations hebdomadaires dans la ville de Beita, en Cisjordanie, pour protester contre l’établissement de l’avant-poste israélien voisin d’Evyatar : huit Palestiniens y ont été tués depuis le mois de mai. Les autorités israéliennes nient avoir utilisé des balles réelles.
Rassurer les colons
L’annonce de ces nouvelles règles a été accueillie positivement par toute une frange de l’opinion publique israélienne, convaincue que ses forces armées sont restreintes dans leur liberté d’action par peur des poursuites. « Cela fait dix ans que les mains des soldats sont liées, a ainsi réagi, dans un communiqué, Matan Peleg, directeur d’Im Tirtzu, une association d’activistes universitaires liée à la droite idéologique israélienne. C’est un changement positif qui aidera à mettre un terme à l’épidémie incontrôlable de lancer de pierres ces derniers temps. »
« Ces trois derniers mois, les lancers de pierre et autres attaques ont augmenté, passant d’une ou deux par jour à une vingtaine », affirme de son côté Natalie Sopinsky, porte-parole de l’organisation de secouristes bénévoles Hatzala, qui s’adresse en particulier aux colons, lesquels se sentiraient de plus en plus en danger sur les routes de Cisjordanie.
Mais cette annonce pourrait désinhiber les soldats israéliens, souvent émotionnellement liés aux colons qu’ils protègent, avertissent les défenseurs des droits humains : « Même si l’état-major israélien n’a pas vraiment entériné ce changement de règlement, rien que le fait que cela soit rendu public dans les médias pourrait encourager des soldats à prendre l’initiative », prévient Yael Stein, de l’ONG B’Tselem.