Dans un tweet du 19 mars, le ministre de la défense de l’Etat hébreu, Israel Katz, offre une fausse « alternative » aux Gazaouis: partir ou mourir. Dans une tribune au « Monde », les professeurs de droit international pénal estiment qu’on a rarement entendu un responsable d’Etat exprimer aussi ouvertement un projet se conformant à la définition juridique du génocide.
Le 19 mars, juste après la rupture du cessez-le-feu à Gaza, le ministre israélien de la défense, Israel Katz, publiait un nouveau message sur le réseau social X. Dans ce tweet, ce membre éminent de différents gouvernements Nétanyahou depuis plus de quinze ans s’adressait aux « résidents de Gaza » : « Il s’agit du dernier avertissement. (…) Suivez le conseil du président des Etats-Unis : rendez les otages et jetez dehors le Hamas, et de nouvelles options s’ouvriront pour vous – y compris la relocalisation dans d’autres parties du monde pour ceux qui en font le choix. L’alternative est la destruction et la dévastation totale. »
Le tweet du ministre renvoyait expressément au message de Donald Trump sur le réseau Truth Social, le 5 mars, s’adressant au « peuple de Gaza » : « (…) Un beau futur vous attend, mais pas si vous gardez les otages. Si vous le faites, vous êtes MORTS ! Prenez une décision intelligente. RELÂCHEZ LES OTAGES MAINTENANT, OU IL Y AURA UN ENFER À PAYER PLUS TARD. »
Comment qualifier de tels propos ? L’enjeu est essentiel au regard du poids des paroles d’Israel Katz sur les troupes placées sous l’autorité de son ministère. Comprendre la violence qui frappe les Palestiniens de Gaza implique aussi de bien saisir juridiquement les mots des dirigeants israéliens. Sans totem ni tabou. Et, en l’espèce, le message d’Israel Katz révèle bien une intention génocidaire au sens de l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948. Celui-ci définit en effet le génocide comme une série d’actes commis dans l’intention spécifique de « détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Cette intention spécifique se manifeste dans les déclarations de responsables comme dans les faits et les circonstances du terrain.
Procédés criminels combinés
Là où le message de Donald Trump promet la « mort » aux Palestiniens de Gaza, celui d’Israel Katz est plus explicite encore, puisqu’il utilise le terme de « destruction », qui est exactement celui de la convention sur le génocide. Rarement dans l’histoire on aura entendu un haut responsable étatique, chargé des opérations militaires, exprimer aussi ouvertement une intention de destruction d’une partie d’un groupe humain. Et jamais, à notre connaissance, une telle intention n’avait été formulée si clairement que par le message récent du ministre israélien de la défense. Même si ces déclarations s’ajoutent à des dizaines d’autres émanant de responsables politiques israéliens, dont le contenu particulièrement vindicatif cible les Gazaouis dans leur ensemble ou suggère une assimilation avec les terroristes du Hamas.
L’organisation Amnesty International en a recensé 102 de ce genre entre octobre 2023 et juin 2024 et la Cour internationale de justice (CIJ) a pris ces déclarations en compte pour considérer qu’il existait un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé au droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide (ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024).
Pour mémoire, et au-delà de l’appréciation d’une intention spécifique, le crime de génocide n’est pas subordonné à l’anéantissement de fait d’un groupe tout entier. Concernant le massacre de Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine, en 1995, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a conclu qu’un génocide avait eu lieu et résultait de la combinaison du meurtre d’environ 8 000 hommes en âge de combattre et de la déportation forcée du reste de la population musulmane de la ville.
En la circonstance, le message d’Israel Katz n’offre qu’une fausse « alternative » aux Gazaouis : partir ou mourir. Dans l’un ou l’autre cas, c’est la destruction d’une partie du groupe national palestinien qui est annoncée. Dans les faits, les deux procédés criminels se combinent, puisque l’on compte déjà, depuis le 7 Octobre, des dizaines de milliers de morts civiles et des centaines de milliers de blessés ; et que le premier ministre israélien prévoit désormais explicitement une « migration volontaire » des populations gazaouies, cela en vue de mettre en œuvre le « plan Trump » consistant à transformer Gaza en une « Riviera », sans les Palestiniens.
Un « narratif » éprouvé
Comme si son attention avait été attirée sur le risque juridique représenté par ses déclarations, le ministre de la défense a modifié, après le 19 mars, la transcription écrite en anglais de son message : le « conseil » de Trump n’est plus mentionné et la dernière phrase évoque comme « alternative » la « dévastation totale », mais pas la « destruction ». Deux autres tweets d’Israel Katz, publiés dans les semaines suivantes, reprennent un « narratif » éprouvé si la population civile de Gaza meurt sous les bombes et les tirs de l’armée israélienne, la faute doit en être imputée entièrement au Hamas, qui se fond à la population civile tout en s’abritant dans des hôpitaux. Or, si le fait d’utiliser des boucliers humains est incontestablement un crime de guerre, la commission d’un tel crime par l’adversaire n’exonère en aucun cas l’attaquant de ses obligations de précaution et de proportionnalité dans l’attaque.
En l’occurrence, il a été montré à de nombreuses reprises que les forces israéliennes n’ont pas respecté, même au minimum, ces principes, raison pour laquelle la Cour pénale internationale (CPI) a conclu, en novembre 2024, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Benyamin Netanyahou et le prédécesseur d’Israel Katz à la défense, Yoav Gallant, étaient chacun pénalement responsables du crime de guerre consistant à diriger intentionnellement des attaques contre la population civile. La contrition n’est donc qu’apparente et probablement sans effet sur les forces engagées sur le terrain, qui peuvent continuer à se sentir autorisées, sinon encouragées, à commettre l’irréparable.
En définitive, la probabilité que la responsabilité de l’Etat d’Israël, et celle, au pénal, de ses dirigeants, puisse être engagée pour le crime de génocide est aujourd’hui plus forte que jamais, cela sans préjudice d’autres qualifications de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Nul doute que les déclarations d’Israel Katz retiennent à présent toute l’attention du procureur de la CPI, Karim Khan. Il paraît aussi hautement probable que les responsables politiques américains, au premier rang desquels le président Donald Trump, puissent être considérés comme complices si un génocide à Gaza venait à être constaté judiciairement. Armer un régime potentiellement génocidaire et l’encourager dans son plan pour Gaza, c’est être comptable de son œuvre.
Dire cela n’enlève rien à la condamnation sans réserve des atrocités commises par le Hamas lors de l’attaque terroriste du 7 Octobre, ni au droit d’Israël de se défendre contre de telles attaques, ni à son droit d’œuvrer à la libération des otages, en conformité avec le droit international. Cela n’enlève rien non plus à l’horreur qu’inspirent les instrumentalisations antisémites de la situation. Dire cela devrait plutôt constituer un signal d’alarme, un wake-up call pour tous les responsables politiques, pour tous les vrais amis de l’Etat d’Israël. L’expression aussi transparente d’une intention génocidaire par un responsable politique fait sauter toutes les digues construites en droit international après 1945 pour empêcher le retour de politiques criminelles. Au point où nous en sommes, rien ne nous garantit plus avec certitude contre un tel retour. A moins d’un sursaut.
Julian Fernandez et Olivier de Frouville, agrégés de droit public et professeurs à l’université Paris-Panthéon- Assas, enseignent tous les deux le droit international pénal.